passages

Étranger, néanmoins, c’est encore une espèce de statut, une épithète pour le voyageur, un label pour ses rapports avec le ciel, les passages cloutés, les fontaines, les visages. À Chamalières, je ne suis même pas étranger. Qu’importe que j’avance, me hâte, coure peut-être, me retourne, lève les yeux, sourie dans le vide ? Je peux bien aller jusqu’à changer de trottoir. Nulle part je ne serai mieux innommable, ni plus rigoureusement inqualifiable ; jamais chose plus transparente, ni corps mieux dépecé.

Renaud Camus, L’élégie de Chamalières, P.O.L., p. 28.

David Farreny, 7 juin 2003
verre

J’ouvre ici un chemin de verre brisé.

Richard Millet, Le goût des femmes laides, Gallimard, p. 107.

David Farreny, 24 fév. 2006
déplaisir

Vieillir dans pareil monde augmentera le déplaisir de l’âge. Peut-être, aussi, rendra-t-il moins terrible de s’en aller. Pas envie de m’attarder parmi les hommes, et les femmes, de maintenant. Ils ne m’inspirent que de la colère et du mépris.

Pierre Bergounioux, « mercredi 24 mai 2000 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 1192.

David Farreny, 28 déc. 2007
confirme

Jadis en Argentine, il m’est arrivé de naviguer sur le haut Parana — fleuve aux méandres largement étalés — accueillant en moi avec un sentiment de tension atroce des paysages que chaque tournant du cours d’eau renouvelait — comme s’ils avaient pu m’affaiblir ou me rendre plus puissant, et ce n’est pas autrement que, durant les longues années de mon travail littéraire, je scrutais du regard le monde, cherchant à savoir si mon Temps me confirme ou au contraire m’abolit.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 519.

David Farreny, 3 mars 2008
flegme

S’en vont dans la foule dense au masque inquiet, tragique. La foule qui manque de fric.

Une église lourde, séculaire, majestueuse, indifférente, dresse la puissance de ses hautes colonnes, de ses porches noircis de mystère. Étrange témoin placide, à peine touché par les flashes affolés. Tranquillement appesanti dans le flegme des pierres.

Hélène Bessette, La tour, Léo Scheer, p. 51.

Cécile Carret, 18 mars 2010
ductilité

On est beaucoup plus endurant à dix-sept ans qu’avec deux fois cet âge. On n’en porte que la moitié. On n’a rien que des illusions à dépouiller, une douleur à répudier. On a une espérance, l’idée neuve, étourdissante qu’on peut. Puis on en a le double. On a fait ce qu’on devait. Ce qu’on voulait tarde à se produire et on n’ira surtout pas se demander si ce ne serait pas, par hasard, parce qu’on ne pouvait pas. Il est trop tard pour l’admettre. On a perdu la ductilité ou la ténacité qui permettrait, ça aussi, de le subir en plein, de le penser. On va feindre, aussi, de ne pas trop bien savoir ce qu’on fabrique alors qu’on s’occupe activement du chantier obscur qu’on avait abandonné dix-sept ans auparavant.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 171.

Élisabeth Mazeron, 21 juin 2010
protestantisme

L’origine de la révolte généralisée dans laquelle nous vivons, c’est la Résistance ; les résistants ont ennobli, glorifié, mis au goût du jour ce nouveau protestantisme ; il n’y aura bientôt plus que des révoltés, d’abord côte à côte, puis, lorsque l’objet de la révolte aura disparu, face à face.

Paul Morand, « 5 août 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, pp. 302-303.

David Farreny, 26 août 2010
affluent

Vu passer, dans une travée, un chat qui tenait dans sa gueule un oiseau plumé, un pigeonneau, sans doute, dérobé à la boucherie. Nous sommes vraiment entrés dans l’affluent society.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 mai 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 485.

David Farreny, 2 fév. 2012
exil

Cela signifie que la vie de la majorité des gens n’est plus faite que d’animus – contrainte, effort, mise à disposition de son être. L’anima, cette marge de quant-à-soi, cette puissance de récupération, de repos, de latence, indispensable à l’équilibre du psychisme humain, a été bannie de nos existences.

Si le rêve est bien ce mouvement par lequel on confirme et approfondit sa propre participation au monde, encore faut-il, pour l’accomplir, pouvoir accéder librement et à soi, et au monde. Pour la plupart des gens, ce n’est aujourd’hui pas le cas. Et, en effet, à y bien réfléchir, ce qui nous maintient dans un exil qui serre le cœur a toujours à voir avec le travail – ou alors avec son absence, ou avec la peur de le perdre.

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 47.

Cécile Carret, 1er mai 2012
vérité

Et ce qui s’imposa à moi dans cette matinée de janvier, et que le reste de ma visite ne vint pas contredire, ce fut la sensation, en ce lieu de convalescence, d’une sorte d’équivalent populaire de La Montagne magique, et cela non au prix d’un effort de pensée ou d’une réflexion, mais avec la spontanéité et le naturel d’une musique que j’aurais soudain entendue. Suite à ce choc devant l’évidence de ce roman virtuel, j’eus la certitude que le territoire tout entier était truffé de tels romans et qu’à ce titre il méritait d’être revisité, non par acquit de conscience mais parce qu’un puissant écho de vérité se dégageait de ces instants. C’est ainsi que l’idée me vint de dresser une liste de lieux dont je pouvais penser qu’ils me réserveraient de telles surprises : c’étaient les lieux eux-mêmes qui m’envoyaient leurs signaux, et ils le faisaient avec d’autant plus d’insistance qu’entre-temps, grâce aussi (à partir de 1997) à mon travail d’enseignement à l’École nationale de la nature et du paysage de Blois (travail dont bien des échos s’entendront dans ce livre), je me retrouvais plus souvent qu’auparavant sur les routes et porté par la nécessité d’interpréter, comme un apprenti musicien, la partition de ce que je voyais.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
peine

La traversée de la Loire à pied ensuite, par l’Ancien pont, le pont Jacques Gabriel, subissait le même mépris, flétrissure et déconsidération.

Dès lors, on y voyait des personnages de misère, des déments, des vieux s’y engager, dans la giflure des bourrasques et l’échevèlement, ralentis dans l’ascension du tablier qui forme un dos. On les laissait à peine traverser les clous lorsqu’ils en avaient besoin.

Dessous, il y avait la sauvagerie stupéfiante de la Loire et de ses remous.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 133.

Cécile Carret, 30 sept. 2013
parfois

La noblesse humaine est l’œuvre que le temps cisèle parfois dans notre ignominie quotidienne.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 65.

David Farreny, 20 mai 2015
connivences

Le scepticisme et la foi présentent certaines connivences : tous deux minent la présomption humaine.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 32.

David Farreny, 3 mars 2024

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