fioriture

En arrivant au collège, vers sept heures et demie, j’ai entendu chanter un merle, un brave, un impatient qui jetait son éclatante fioriture dans l’obscurité désastreuse, encore, de février.

Pierre Bergounioux, « lundi 6 février 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 285.

David Farreny, 25 mars 2006
vide

Pour tromper son vide, battre son plein.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 65.

David Farreny, 19 nov. 2006
routes

Mais enfin, d’une manière générale, j’aurais tendance à appeler vivre décemment disposer de tout ça qui est nécessaire pour n’avoir pas à se soucier du nécessaire : un toit, un peu d’amour, deux ou trois repas par jour, des livres et le goût des livres, la télévision puisque vous y tenez, de la musique, que sais-je, le loisir de prendre la porte de temps en temps, et la route, les routes.

Et le loisir tout court, évidemment, fût-il loisir de travailler ; mais à condition que le travail soit un loisir, pas une triviale obligation d’entrailles.

Ce qui est fâcheux c’est qu’un seul mot, le travail, se mêle de désigner deux types d’activités qui peuvent se ressembler comme deux gouttes d’eau, c’est vrai, de l’extérieur, mais qui à la vérité sont par essence complètement différentes : le travail obligatoire, en somme, celui de la vieille malédiction, celui que l’homme doit fournir, depuis la chute, pour gagner sa vie ; et le travail choisi, élu, le travail pour soi-même, sur soi-même, étude, bricolage, gymnastique, exercice perpétuel, le travail qu’il décide d’effectuer pour dépenser sa vie, au contraire, pour user au mieux de son capital de temps, pour s’acquérir de l’être, toujours plus d’être.

Renaud Camus, Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi, P.O.L., p. 30.

Cécile Carret, 27 mars 2007
peu

Nuit noire, cadence de mes pas sur la route qui sonne comme porcelaine, froissement furtif dans les joncs (loir ? ou justement courlis ?), autour de moi, c’était bien ce « rien » qu’on m’avait promis. Plutôt ce « peu », une frugalité qui me rappelait les friches désolées du Nord-Japon, les brefs poèmes, à la frontière du silence, dans lesquels au XVIIe siècle, le moine itinérant Bashô les avait décrites. Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi, et marcher seul, au chaud sous la laine sur une route d’hiver est un exercice salubre et litanique qui donne à ce « peu » — en nous ou au-dehors — sa chance d’être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste, toujours présente mais dont notre surdité au monde nous prive trop souvent.

Nicolas Bouvier, Journal d’Aran et d’autres lieux, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 4 fév. 2008
se

À quoi puis-je reconnaître ce qui me lie à Wanda ? Je n’ai pas erré sans domicile, je n’ai pas abandonné d’enfants, je n’ai jamais remis le cours de mon existence ou simplement celui de mes affaires à un homme, le cours le plus quotidien de ma vie je ne l’ai jamais confié à quiconque, me semble-t-il, j’ai abandonné des hommes, et parfois brutalement, avec la joie vibrante qu’on éprouve à bifurquer, à s’évanouir dans une foule, à sauter sans prévenir dans un train, à faire faux bond, le plaisir aigu et rare de se dérober, de se soustraire, de disparaître dans le paysage – mais pas celui de se soumettre.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 63.

Cécile Carret, 16 mars 2012
cela

— Est-ce que ta mère est vivante ?

— Elle est morte, elle avait vingt-trois ans, elle a rempli de glace un petit pain, qu’elle a mangé d’un coup. C’est cela qui l’a tuée. J’ai une marâtre.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 65.

Cécile Carret, 12 juin 2013
aubergiste

Les gens se trompent quand ils croient qu’ils mettent au monde des enfants. Ils accouchent d’un aubergiste ou d’un criminel de guerre suant, affreux, avec du ventre, c’est celui-là qu’ils font naître, pas des enfants. Alors les gens disent qu’ils vont avoir un petit poupon, mais en réalité ils ont un octogénaire qui pisse de l’eau partout, qui pue et qui est aveugle et qui boite et que la goutte empêche de bouger, c’est celui-là qu’ils mettent au monde. Mais celui-là, ils ne le voient pas, afin que la nature puisse se perpétuer et que le même merdier se poursuive à l’infini.

Thomas Bernhard.

David Farreny, 9 déc. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer