métriques

Le port sécrète de l’avenir, réconforte avec ses quintaux métriques d’éléments vitaux et premiers.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, pp. 64-65.

David Farreny, 22 mars 2002
index

Swann aurait eu plaisir, sans doute, à s’asseoir un moment sur ce rocher qui n’est, en lui-même, qu’un émoi de gros cailloux sans conséquence. La vue embrasse, de là, un haut plateau en cirque sur la rive gauche de la Cure. Près du village du Vieux-Dun se trouvait, d’après Chemin faisant, un oppidum. Lacarrière relate qu’il a cherché en vain, dans ce village « si peu gaulois », un café, mais qu’en pénétrant, un peu plus au sud, dans le hameau de Mézauguichard, il y découvrit une « buvette » (ce mot lui plaît), La Petite Halte. Il ne trouva, à l’intérieur, que trois ou quatre vieillards qui parlaient de la mort. Chemin faisant n’a pas encore, sans doute, le statut de classique littéraire et pourtant j’ai eu un plaisir étrange à découvrir cette buvette perdue, parce qu’un livre en parlait. Je lis la France. Le monde est un index fautif à la bibliothèque universelle, un instrument cafouilleur de vérification chipoteuse.

Renaud Camus, « jeudi 24 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 63.

David Farreny, 30 juil. 2005
néant

Sans doute n’est-il de mysticisme vrai que celui de l’agnostique. L’athée soustrait du vide tout un champ du possible, le croyant l’encombre d’un trop-plein qui interdit le jeu, l’errance, le labyrinthe sacré de l’incertitude. La foi n’offre d’autre vertige que la formidable indifférence de Dieu, que la religion, d’ailleurs, s’épuise à démentir pour le fidèle. À celui-là seul qui ne sait pas — et pourvu qu’il ait le courage d’explorer sans faiblir son insondable ignorance, d’en scruter tous les gouffres et d’en affronter toutes les ombres, fussent-elles dernières —, à celui-là seul est promise la pleine expérience du néant.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 285.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
avaries

C’est le trait terrible dans le vieillissement : il vous donne bientôt la gaîté de cœur qui permet d’accepter comme allant de soi des retranchements sur les sens et sur le cœur, considérés auparavant comme de monstrueuses avaries.

Pierre Drieu La Rochelle, « Récit secret », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 12.

David Farreny, 5 juil. 2009
racheter

Tu te disais : ces choses banales et qui sont à n’importe qui, elles vont devenir moi. Ils verront, tous, ceux qui l’ignorent, à quel point je suis malin. Je passe pour intelligent, oui, mais toute intelligence est hypothétique. On ne sait pas où elle est, on ne l’a jamais sous les yeux. Avec le livre, elle deviendra visible, indubitable. Ce sera l’intelligence absolue, celle qu’on peut toucher, celle pour laquelle on fait un chèque au libraire. Le problème, bien sûr, c’est qu’à vouloir paraître malin, on l’est moins. Or toute la ruse est là : je ne serai pas mon livre. Il se sera produit malgré moi, je me serai montré intelligent sans le faire exprès. L’auteur d’un livre est innocent de son propre génie. Voilà ce à quoi il faut parvenir : être justifié par le livre, et en même temps rester au-dessus de ça. Aussi tu t’évertuais devant ton écran à être et à n’être pas ton livre, à l’écrire sans l’écrire. Avec cette technique, il n’avançait pas beaucoup.

Tu en avais pourtant besoin. Ces longues stations à ton clavier t’évitaient de devoir admettre que tu n’étais que toi. Tu n’imaginais pas qu’on puisse ne pas vivre un pied dans l’éternité, dans ce monde comme si on n’était pas déjà, en partie, hors du monde. Aussi demeurais-tu incapable de comprendre les réactions et les motivations de tous ceux qui ne pouvaient pas, au prix de ces heures à frapper sur des touches, se racheter de leur vie.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, pp. 244-245.

Élisabeth Mazeron, 5 nov. 2009
œil

Le jardin s’agite, mais pas l’œil.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 50.

Cécile Carret, 4 mars 2010
âge

Dix ans plus tard, Gregor est en train de mettre ses chaussettes avant d’aller chercher ses souliers sous le lit. Lentement, il les enfile avec cet air sérieux qu’ont parfois les hommes de son âge affairés à des activités pareilles, une expression grave de vieil enfant solitaire, appliqué, minutieux, coupé du monde et concentré sur sa tâche.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 162.

Cécile Carret, 17 oct. 2010
dormait

K. dormait ; ce n’était pas d’un sommeil véritable ; il entendait les discours de Bürgel peut-être plus nettement qu’éveillé, dans l’accablement de la fatigue ; il distinguait chaque mot, mais du fond d’une âme inconsciente, adieu son importune conscience, il se sentait parfaitement libre, Bürgel ne le retenait plus, le sommeil avait fait son œuvre, s’il n’était pas au fond du gouffre il était déjà submergé. Nul ne devait plus pouvoir lui arracher cette conquête. Il lui semblait qu’il venait de remporter un triomphe et que déjà toute une société se trouvait là pour le célébrer ; il levait son verre de champagne en l’honneur de cette victoire (si ce n’était lui, c’était un autre, peu importe) ; et, pour que tout le monde sût bien de quoi il s’agissait, on recommençait le combat et la victoire ; ou, pour mieux dire, on le livrait à neuf, et on l’avait déjà fêté, et on ne cessait pas de le fêter parce que l’issue, par un heureux hasard, en était connue à l’avance.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 758.

David Farreny, 24 oct. 2011
réponse

La réponse n’est pas hors du texte ou dans le texte. Elle est le texte.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 24 mars 2012
impossible

Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier.

En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d’un souffle de vent dans la cime d’un arbre, je me dépêche de m’emparer de ma victime.

Qu’ai-je alors entre mes bras ?

Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l’effroi à bander. Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé par la mort : un animal vivant et bien chaud, un cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit bien dur.

Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Actes Sud, pp. 11-12.

David Farreny, 9 nov. 2012

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