dormir

Il n’est pas aujourd’hui, dans la commune, un habitant sur dix pour y avoir vu le jour. Cette banlieue n’est plus offerte qu’au sommeil. On s’y presse de très loin pour y dormir la vie.

Renaud Camus, L’élégie de Chamalières, P.O.L., p. 66.

David Farreny, 7 juin 2003
ombre

Que la fenêtre donnait sur la rue, si peu. Parce qu’au bout du couloir il y avait bien une porte, qui donnait sur la rue, et qui maintenant est l’entrée principale du cabinet médical. Mais nous on ne s’en servait pas, on passait par le jardin, et la cuisine. Dans le couloir il y avait quoi ? Je n’en sais plus rien. J’y verrais bien une machine à coudre Singer, ancien modèle à pédalier, avec son couvercle, mais peut-être j’invente. J’ai souvenir de cette ombre, je dois faire avec l’ombre.

François Bon, Mécanique, Verdier, pp. 36-37.

David Farreny, 5 sept. 2004
phrase

Montlosier était resté à cheval sur la renommée de sa fameuse phrase de la croix de bois, phrase un peu ratissée par moi, quand je l’ai reproduite, mais vraie au fond. En quittant la France, il se rendit à Coblentz : mal reçu des Princes, il eut une querelle, se battit la nuit au bord du Rhin et fut embroché. Ne pouvant remuer et n’y voyant goutte, il demanda aux témoins si la pointe de l’épée passait par-derrière : « De trois pouces », lui dirent ceux-ci qui tâtèrent. « Alors ce n’est rien », répondit Montlosier : « monsieur, retirez votre botte. »

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 400.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
réalité

Ce récit, comme L’orphelin, tient de la protestation idéaliste, malgré moi. Il dénonce ce qu’il énonce, au mépris de la causalité conditionnelle qui fit de ceux dont je parle ce qu’ils furent. Ils ne pouvaient être autres. Telle était la réalité. Mais c’en était une autre, pour immatérielle et mince qu’elle fût, que le déplaisir, la crainte, l’ennui corrosif, l’animosité que j’ai gagnés à leur commerce forcé.

Pierre Bergounioux, « lundi 27 février 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 530.

David Farreny, 18 janv. 2008
désœuvrement

Les champions de l’art actuel ont épuisé leurs dernières cartouches en accusant ceux qui le dénigrent d’être aussi obtus que les spectateurs du siècle passé lorsqu’ils riaient de Manet ou de Cézanne, et s’opposaient à l’érection du Balzac de Rodin. Ils n’ont fait que poursuivre une opération de chantage et d’intimidation qui commence à sentir le renfermé. Quant aux avant-gardistes d’autrefois (de l’époque maintenant antédiluvienne où cette notion avait un sens), s’ils ont été dénoncés comme suspects de ne pas toujours avoir été là où ils devaient être, c’est-à-dire à la pointe du progrès et de la lutte pour l’émancipation, c’est que ceux qui s’occupent des avant-gardes d’aujourd’hui sont d’abord et surtout à la pointe du pouvoir. Progressistes dans le vide, émancipateurs sans risque, avant-gardistes connivents, tous les sourcilleux examinateurs de la « récupération » des mouvements révolutionnaires de jadis sont des récupérés de naissance ou de vocation dont le travail consiste à camoufler sans cesse cette récupération. Les souteneurs de l’art contemporain mènent une nouvelle guerre de l’opium pour faire accepter comme œuvres d’art la pacotille que bricolent depuis près de cinquante ans des hommes et des femmes qui ne s’intitulent artistes que par désœuvrement.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 75-76.

David Farreny, 19 janv. 2008
écorner

Quelque chose, chez lui, interdisait peut-être qu’on s’[…]inquiétât sérieusement, ou bien c’était moi qui lâchais, qui décrochais, soudain, et […] je songeais à ces efforts que tous trois nous déployions, finalement, quand nous étions au fond des solitaires, qui s’efforçaient de l’être moins, sans doute, mais qui, se faisant, se contentaient d’écorner quelque contrat passé avec eux-mêmes.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 96.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
sinon

À quoi servent les journées ?

À être le séjour de notre vie.

Elles viennent, elles nous réveillent

Tant et tant de fois.

Il faudra que du bonheur s’y loge.

Où vivre, sinon dans les journées ?

Philip Larkin, « Journées », Où vivre, sinon ?, La Différence, p. 85.

David Farreny, 12 fév. 2011
trouvée

La lumière est de la matière incorporelle, voire immatérielle ; cela paraît être une contradiction, mais nous ne pouvons pas nous arrêter à cette apparence. Les physiciens disaient que la lumière ne pouvait pas être pesée. Mais on a, avec de grandes lentilles, concentré de la lumière en un foyer, et on l’a fait tomber sur l’un des plateaux de la plus fine des balances ; or, ce plateau, ou bien ne fut pas abaissé, ou, s’il le fut, on trouva que le changement produit dépendait seulement de la chaleur que le foyer concentrait en soi. La matière est pesante dans la mesure où elle ne fait que chercher l’unité en tant que lieu ; mais la lumière est la matière qui s’est trouvée.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 398.

David Farreny, 28 fév. 2011
ou

J’avais espéré satisfaire un peu mon amour pour elle en lui donnant mon bouquet, c’était complètement inutile. Cela n’est possible que par la littérature ou le coït. Je n’écris pas cela parce que je l’ignorais, mais parce qu’il est peut-être bon de mettre fréquemment les avertissements par écrit.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 147.

David Farreny, 13 oct. 2012
introuvable

Plus tard encore, je pensais que cela venait du fait que notre maison, vingt ans après que mon frère avait disparu, était restée une maison mortuaire ; que l’introuvable, à la différence d’un mort de mort certaine, ne laissait pas sa famille en paix mais lui mourait encore chaque jour entre les doigts sans qu’ils pussent faire la moindre chose.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 58.

Cécile Carret, 4 août 2013
pion

Tourner la loi. Se prendre pour… Les filles disent « mon fiancé », elles s’imaginent grandes dames-XIXe siècle, du temps où il y avait des fiançailles. Elles disent « ton mec », c’est le fantasme provisoire crapule Carco. On dit « ton Jules », ça fait encore plus fortifs, du temps où il y avait une marge, c’est-à-dire une société. « Ton ex », ça signifierait qu’à un moment il a été actuel. Alors que de toute façon, dans tous les cas, ça n’a jamais été qu’un pion de rencontre sur un échiquier d’ennui et de brouillard. Développer.

Me souvenir des excellents clichés mis en scène dans Les Nuits de la pleine lune vu hier. Rapports de force à feu doux, liberté, vie commune tempérée, illusions d’exister.

Philippe Muray, « 6 janvier 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 536.

David Farreny, 3 juin 2015

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