Moi, je ne sais pas ce qui se passe, je n’ai jamais su ce qui se passait. Certaines personnes, certains livres semblent le savoir, mais ces livres ne m’intéressent pas. Ils ont l’intérêt de la fiction, ils ont une intrigue. Mais je ne crois pas qu’il y ait d’intrigue.
Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…
François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.
Le vrai mendiant d’amour (c’est-à-dire le véritable angoissé) ne veut pas être aimé à cause, mais malgré.
Renaud Camus, « lundi 30 novembre 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 512.
Cependant, les jeunes abandonnent ces forêts nourricières à cause des filles qui ne veulent plus vivre dans la solitude ; qui veulent être « sapées » en citadines – vont crever la faim à Clermont-Ferrand et reviennent bluffer le dimanche au pays.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 61.
L’homme est un immense marécage. Quand l’enthousiasme le prend, c’est, pour le tableau d’ensemble, comme si dans un coin quelconque de ce marais une petite grenouille faisait pouf dans l’eau verte.
Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 509.
Par exemple, il marche dans la rue et les magasins ne l’intéressent pas, il a l’impression d’être dans une gaine plastique bleue, les personnes sont comme des choses, les choses comme de l’eau qui coule. Cyrille, fort de ce qu’il a appris en Italie, a nommé cette affection le Syndrome de Raphaël parce qu’on a souvent rencontré un problème identique avec les peintures de Raphaël : les peintures étaient là avec toute leur beauté, mais les gens ne les voyaient pas. De nos jours, les choses sont simples, nous avons les cartels et les guides touristiques qui nous indiquent avec précision ce que nous devons trouver beau ; mais, à une époque où on était tellement moins bien organisé, les gardiens du Vatican racontaient que les gens, à la fin de la visite, réclamaient de voir les célèbres fresques de Raphaël, alors qu’ils étaient déjà passés devant sans y prêter la moindre attention.
Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 19.
Le soleil se leva. Dans le jardin, après la nuit chaude et sèche, pas une goutte de rosée. En revanche, un scintillement dans le pommier : une goutte de résine exsudée d’une tige que traversaient les premiers rayons ; la plus minuscule des lampes.
Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 26.
Le réel, le monde tangible. Le décor pratique, celui qui fait la toile de fond de notre présence au monde.
Celui que les enfants ne gouvernent pas et que leur organisent les adultes ; leur frénésie de tuteurs affairés et pressés, souvent irascibles au moment des transitions vers d’autres univers. Leur mécano du quotidien, qui a souvent pour public la distraction des petits.
La noria des gestes refaits chaque jour.
Les gestes opiniâtres et répétitifs, le corset de nos jours. La Maison. L’école.
Et puis le reste, ce qui ne se voit pas dans le décor. Les pensées, les envies, les rêves, les cauchemars, les détestations : la lune.
Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 99.
Toute idée féconde tourne en pseudo-idée, dégénère en croyance. Il n’est guère qu’une idée stérile qui conserve son statut d’idée.
Emil Cioran, « Le mauvais démiurge », Œuvres, Gallimard, p. 711.
Et c’est un vrai printemps qui est venu, terriblement jeune. Il resplendit avec trop d’éclat pour nos yeux.
Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 22.