digéré

L’araignée royale détruit son entourage, par digestion. Et quelle digestion se préoccupe de l’histoire et des relations personnelles du digéré ? Quelle digestion prétend garder tout ça sur des tablettes ?

Henri Michaux, « La vie de l’araignée royale », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 445.

David Farreny, 20 mars 2002
fraise

Ada était un rêve de beauté blanc et noir avec une touche de fraise à quatre endroits, une reine de cœur symétrique…

Vladimir Nabokov, Ada ou l’ardeur, Fayard, p. 447.

David Farreny, 21 mars 2002
ensemble

Les Ématrus sont lichinés ou bien ils sont bohanés. C’est l’un ou l’autre. Ils cousent les rats qu’ils prennent avec des arzettes, et sans les tuer, les relâchent ainsi cousus, voués aux mouvements d’ensemble, à la misère, et à la faim qui en résulte.

Les Ématrus s’enivrent avec de la clouille. Mais d’abord ils se terrent dans un tonneau ou dans un fossé, où ils sont trois et quatre jours avant de reprendre connaissance.

Naturellement imbéciles, amateurs de grosses plaisanteries, ils finissent parfaits narcindons.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 42.

David Farreny, 13 avr. 2002
surprise

Elle portait ses éternels vêtements bleus, jean, tee-shirt, chaussures de sport bon marché, et elle arpentait lentement les rues de leur quartier, les yeux écarquillés, croyant toujours apercevoir dans la touffeur grise et poussiéreuse son frère Lazare qui tournait au coin d’une rue. La pierre qu’elle avait entre les côtes lui rendait pénible de manger, de boire, de respirer. Les larmes lui montaient aux yeux dès qu’elle reprenait son souffle. Elle continuait d’avancer à pas engourdis, ses yeux dilatés remplis de larmes qui ne coulaient pas et lui brouillaient le regard. Elle ne connaissait personne à qui parler.

— Je cherche un certain Lazare Carpe, murmurait-elle de temps en temps, surprise d’entendre sa voix, ayant prévu cette surprise mais malgré tout surprise.

Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, pp. 64-65.

David Farreny, 27 déc. 2002
secret

Mais on ne peut pas être indiscret avec moi, sauf en m’imposant ses propres discours, sa propre musique, ses propres bruits. Je n’ai pas de secrets et je m’en félicite tous les jours. Je trouve que rien n’est ennuyeux comme les secrets. Je respecte ceux des autres, puisqu’ils sont aux autres. Mais je ne les estime pas.

Rien ne serait épouvantable, cela dit, comme une société où les secrets seraient interdits. Le mépris du secret est une règle morale, et personnelle, nullement un impératif social…

Renaud Camus, « jeudi 26 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 60.

Élisabeth Mazeron, 5 sept. 2003
bord

Ce n’est point qu’elle fût laide, madame Puta, non, elle aurait même pu être assez jolie, comme tant d’autres, seulement elle était si prudente, si méfiante qu’elle s’arrêtait au bord de la beauté, comme au bord de la vie, avec ses cheveux un peu trop peignés, son sourire un peu trop facile et soudain des gestes un peu trop rapides, ou un peu trop furtifs.

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, p. 136.

Bilitis Farreny, 12 oct. 2003
paucité

Un jour, peut-être, nous aussi, quand le béotisme aura vaincu, eh bien ! nous serons moines, s’il le faut ; nous protesterons par notre paucité.

Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 52.

David Farreny, 25 déc. 2004
ruine

Tactiques, géographies, temps qu’il fait et propos civils ne sont pas du côté des morts. À nous en prélude l’humidité, la confusion, la fadeur nauséeuse des jours, un peu de salive au coin des lèvres, une stupeur immobile, qui ne valent cependant ni quitus ni consentement à ces perspectives de ruine.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 44.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
jamais

Le répit n’est jamais qu’un instant de la trépidation.

Éric Chevillard, Commentaire autorisé sur l’état de squelette, Fata Morgana, p. 70.

David Farreny, 30 déc. 2007
obstacle

Dans l’allée, dans le sable ensoleillé, au pied d’un if, le plus sombre, une colonne de fourmis noires. Avec un petit seau d’eau, un seau à sable de plage, et de l’eau prise dans la cour, à la fontaine, l’obstacle d’une flaque jetée par les jumeaux interrompait les lignes militaires de transport des fourmis. La flaque d’eau, un véritable lac pour les insectes, troublait l’affairement des fourmis transporteuses de graines, les fourmis des régiments d’un « génie fourmilier », pontonnières en brindilles. Il y avait un mouvement perpétuel de circulation fourmilière dans les deux sens. Croisements, mots de passe, reconnaissance d’antennes ; concentrations, coagulations noires autour d’une énorme guêpe morte, comme des Lilliputiens autour du géant entravé, Gulliver.

Jacques Roubaud, Parc sauvage, Seuil, p. 59.

Cécile Carret, 22 janv. 2008
institution

Je fis ainsi d’innombrables pages d’écriture et arrivai à quelques kilomètres d’écriture, à la plume Sergent-Major, l’« étroite » ou la « lance », plus large mais plus dangereuse à manier car on y écrasait trop facilement les pleins et faisait des déliés trop gros. Lorsque les lettres n’étaient pas convenablement formées, on devait joindre les doigts de manière à les regrouper tous autour du pouce, garder la main verticale, bras tendu, pour qu’il soit tenu plus facilement si on tentait de le retirer. Je recevais chaque fois de cinq à dix coups de règle carrée en fer sur le bout des doigts, une douleur indescriptible qui remonte le corps entier et pendant laquelle on se demande comment il se fait qu’on soit encore en vie, le pire des châtiments corporels – la badine ou les verges sont presque un plaisir en comparaison.

Ce qu’on a fait et que l’on fait encore aux enfants est difficilement imaginable. Personne ne mesurera jamais ce que peut être la souffrance d’un enfant, et ce que les adultes prennent pour une simple et juste correction est une immense tragédie qui n’a jamais été écrite, parce qu’elle est démesurée, inaccessible à toute parole, et qu’il existe bien peu de moyens de se guérir d’une telle affliction, d’une blessure de l’être même. Elle reste toujours ouverte en profondeur, en sommeil dans l’âme, prête à se raviver dans toute son ancienne intensité. Le miracle, c’est que tant d’enfants, par un moyen ou un autre, s’en soient tout de même tirés. Il est probable que bien des crimes commis en ce monde ont pour origine la souffrance toujours injustement infligée aux enfants. Mais il est aussi bien des orphelins qui découvrirent grâce aux châtiments corporels la suprême recollection, bientôt détenteurs et maîtres exclusifs d’un septième ciel, de jour en jour prolongé, affiné, illustré par l’image même de ce qu’ils subirent et différé jusqu’à l’ultime cri.

Ces coups de règle sur les doigts faisaient partie de l’arsenal quotidien de la pédagogie de l’époque, aussi bien, semble-t-il, dans l’enseignement laïque que dans l’enseignement dit « libre ». À l’école libre, dont l’institution où on m’élevait dépendait, c’était à ce point courant que cela n’était même plus de l’ordre de la punition.

Tout enfant pensionnaire de l’époque vivait dans la punition, c’était un état naturel. On était presque soulagé d’être encore puni, le temps intermédiaire n’étant que l’intervalle entre deux punitions. Lignes et punitions de tous ordres devenaient ainsi un véritable refuge dans un univers d’enfance sans recours. Le tarif variait de cent à cinq cents lignes, c’est-à-dire de cinq pages de cahier à vingt-cinq environ. Il fallait écrire autant de fois qu’il y avait de lignes « Je ne dois pas parler en classe », ou bien « Je ne dois pas sucer mon pouce », ou encore « Je dois écouter ce qu’on me dit ».

Des lignes, j’en fis des milliers, et lorsque bien plus tard je commis avec un autre pensionnaire je ne sais plus quelle faute – en tout cas, ce n’est pas ce qu’on pourrait penser –, j’en fus le seul puni (les parents de l’autre payaient mieux). Je fus condamné à faire deux mille lignes (il n’y avait déjà presque plus de restriction de papier) et on eut l’intelligence de me faire copier un texte littéraire, je ne sais plus lequel. Je copiai avec passion. Je me rendis compte alors que copier n’était ni aussi mécanique ni aussi sot qu’il y paraissait et qu’il y fallait à la fois attention et précision. J’appris ainsi, à seize ans passés, l’orthographe une fois pour toutes. Jusque-là, je faisais en général de vingt à trente fautes dans une dictée de vingt lignes.

L’agenouillement sur une règle carrée ou sur ses propres doigts était lui aussi chose courante et, quoique nous ne fussions plus guère qu’une douzaine en 1941 ou 1942, il y en avait toujours au moins un dont on voyait les semelles et qu’on entendait geindre dans un coin. La directrice, qui enseignait toutes les matières sauf les mathématiques et l’anglais, se tenait au fond de la salle, gifle prête. Comme elle portait des semelles de crêpe, on ne l’entendait jamais venir et on avait beau être sur ses gardes, la gifle n’en tombait pas moins, appliquée de toute la main un peu en creux, de sorte à bien prendre ; on en avait la tête qui bourdonnait et on voyait tout en rouge. Je ne vivais plus que bras replié, coude en avant, abritant le visage.

On m’accusait alors d’avoir « mauvais esprit » et de vouloir faire croire à tout le monde qu’on passait son temps à me gifler, et on me giflait à tour de bras pour bien m’apprendre qu’on ne me giflait pas.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 185.

Cécile Carret, 15 juil. 2011
réponse

La réponse n’est pas hors du texte ou dans le texte. Elle est le texte.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 24 mars 2012
inopportunément

Non seulement un enfant non voulu quelquefois naît de tes accouplements mais, par la suite, il lui arrive encore de surgir inopportunément quand tu baises.

Éric Chevillard, « mardi 16 juin 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 16 juin 2015
éclat

Et c’est un vrai printemps qui est venu, terriblement jeune. Il resplendit avec trop d’éclat pour nos yeux.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 22.

Cécile Carret, 12 mai 2024

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