Ne comptez pas sur moi
Je ne reviendrai jamais
Je siège déjà là-haut
parmi les Élus
Près des astres froids.
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre j’ai fait
un chemin de pèlerin.
Je m’éloigne totalement sans voix
Le vécu mille et mille fois m’a brisé, vaincu.
Moi le fils des Rois.
André Laude, « dernier poème », Œuvre poétique, La Différence, p. 725.
Les crêtes, les ravins, les fronces de la zone métamorphique, l’eau glacée qui sourd, les étangs de plomb, les tourbières, la clarté louche que filtre le taillis, les rampes bossuées dissuadent d’aller.
Pierre Bergounioux, « Sauvagerie », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 16.
Je vous ai tant aimée car vous m’avez permis
de n’être plus moi-même au fond de vos trois chairs :
la très humide, la soyeuse et parfois l’autre,
imaginaire, où vous prenant et reprenant,
torture et griserie, je prenais les cent femmes
logées dans ma mémoire. Alors vous m’enleviez,
carnivore soudain, au nom de la douleur,
si pure en vous, si noble et douce, mes vertèbres.
J’étais heureux de m’allonger dans votre songe,
plus transparent que le regard, plus désinvolte
qu’une langue en voyage autour de vos seins nus.
Privé d’âme et de corps, je vous laissais le soin
de décider si je serais votre épagneul,
votre miroir brisé, votre peau de rechange.
Alain Bosquet, « Lettre d’amour », Sonnets pour une fin de siècle, Gallimard, p. 97.
Le temps coulait fondu par le feu des fatigues.
Je paressais immensément,
épelant d’A à Z le Larousse prodigue
en faciles enchantements.
Raymond Queneau, Chêne et chien, p. 42.
Au nombre des animaux qui assistèrent à l’exécution de Will Scheidmann, on compte les ruminants qui paissent autour des yourtes et qui, non sans indifférence, parfois dirigeaient leurs regards vers le poteau contre quoi Will Scheidmann vomissait leur lait, mais, surtout, il y eut un oiseau qui était originaire du lac Hövsgöl, un échassier d’humeur folâtre, critiqué parmi les siens pour ses comportements individualistes, et qui ce matin-là s’amusait à tracer de courtes boucles au-dessus du terrain des opérations et à faire du sur-place tantôt à la verticale des chamelles, tantôt à la verticale des sœurs Olmès. Ses plumes caudales un peu rabougries desservaient l’élégance de sa silhouette, mais peu importe. […]
Dans le monde des chevaliers à pattes vertes et des chevaliers aboyeurs, cet échassier était connu sous le sobriquet de Ioulghaï Thotaï. […]
Ioulghaï Thotaï se déplaça vers l’ouest puis il agita les ailes avec une lenteur tournante, glissant et planant selon un dessin d’entonnoir et freinant sa trajectoire au point de paraître immobile en plein ciel. Il avait appris à voler de cette manière, profondément étrangère à ceux de son espèce, en observant les mouvements d’une buse et en les adaptant à sa corpulence et à sa charpente.
Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 74.
C’est incontestable, on a parfois besoin d’autrui. Je n’aurais jamais réussi à m’ennuyer comme ça tout seul.
Éric Chevillard, « mardi 21 mai 2013 », L’autofictif. 🔗
L’habitacle roule vers le Nord, les amples et veloutés nuages dont la frange supérieure réalise la lumière roulent vers le Sud. Par mon seul regard souverain qui ne peut rien posséder mais qui peut tout recevoir, je jouis de la douceur solide de l’habitacle et de la légèreté lumineuse des nuages. Ces deux couvertures me protègent de tout excès de dépense pendant que je traverse les nobles provinces.
Jean-Pierre Vidal, « Quelques heures de silence », « Théodore Balmoral » n° 71, printemps-été 2013, p. 109.
Cet anarchiste espagnol fusillé en compagnie de prêtres et de fascistes et qui, entendant les prêtres crier « Viva el Cristo Rey » et les franquistes « Viva Franco », était ennuyé de ne trouver à crier sous les balles que « Vive la Sécurité sociale ».
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 106.
Malgré tout, les cages fournissent, à peu près, un rayon de soleil par barreau.
Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.
Cette phrase me plaisait décidément beaucoup et je décidai de m’installer dedans pour y vivre désormais. Tout y était sans contradiction à la fois harmonieux et surprenant, inédit mais ordonné. Comme je m’y sentais bien ! Puis sont arrivés les lecteurs.
Éric Chevillard, « lundi 5 novembre 2018 », L’autofictif. 🔗