contradiction

Il y a contradiction dans toute existence ; mais le désordre ne la résout pas — et l’ordre, en tout cas, la respecte.

Henri Thomas, Londres, 1955, Fata Morgana, p. 11.

David Farreny, 13 avr. 2002
fureur

Savoir n’est pas nécessaire. D’abord, ça suppose qu’on prenne du recul, qu’on arrête un peu et le temps manque. Il y a trop à faire pour qu’on s’offre le luxe de s’interrompre un seul instant. Les choses sont là, obstinées dans leur nature de choses, corsetées de leurs attributs, rétives, dures, inexorables. Elles ne livrent leur utilité qu’à regret. Elles réclament toute la substance des vies qu’elles soutiennent. Encore le temps dont celles-ci sont faites ne suffit-il pas toujours. Il faut y verser quelque fureur. C’est à ce prix qu’on demeure.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
masque

— Vous vous détruisez en vivant ainsi, en ayant honte de paraître ce que vous n’avez pas honte d’être. Vous confirmez par votre attitude tous les préjugés des autres à votre égard. […] Aucune considération ne doit vous dissuader de jeter vos masques, ni professionnelle, ni sociale, ni familiale ; et même pas celle, la plus insidieuse, du chagrin que vous pouvez causer ; car ce chagrin, si réel qu’il soit, est un chantage, et il découle d’une idée fausse, d’une erreur morale, et il ne saurait être mis en balance avec votre droit à être vous-mêmes (mais je tournerais mon discours autrement, bien sûr ; et tâcherais d’éviter toutes les vulgarités de langage et niaiseries de tournures, s’assumer, être soi-même, qui pointent gaiement dès que s’exprime la conviction. Être soi-même ! Mais au moins doit-on pouvoir choisir son masque).

Renaud Camus, « jeudi 5 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 417.

Élisabeth Mazeron, 17 déc. 2005
dire

Nous n’aurons pas connu la terre. Encore une saison de passée. Ce que j’en ai vécu, je serais incapable de le dire.

Renaud Camus, L’épuisant désir de ces choses, P.O.L., p. 115.

David Farreny, 11 fév. 2006
choisi

J’ai hésité entre reprendre la plume et maçonner et, lâchement, choisi les obtuses fatigues du terrassement.

Pierre Bergounioux, « dimanche 19 mai 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 44.

David Farreny, 20 nov. 2007
défaite

On ne cesse d’osciller, dans l’irrésolution la plus critique, entre la position de neutralité attentiste, flirtant avec la tentation de s’abstenir, de faire le mort ou de renoncer purement et simplement, et l’envie d’aller quand même de l’avant, de répondre coûte que coûte à l’appel réitéré, à l’invitation paradoxale de la vie. Mais rarement quelqu’un se trouve là au bon moment, derrière soi, susceptible de comprendre ce dilemme, cette angoisse d’exister, cette défaite en puissance, et de tendre le bras pour une caresse de consolation, un geste réconfortant, un signe qui rompe le délaissement, atténue la déception, restaure un peu de la confiance perdue.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 66.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
aveu

Eh bien, cette propension à l’aveu que je manifeste de temps à autre vient, me semble-t-il, de deux sources bien différentes. La première étant, comme j’ai dit, la certitude bien ancrée qu’aucun aveu ne change quoi que ce soit à sa propre personnalité, ne guérit ni n’aggrave ses éventuelles failles, la certitude anti-psychanalytique en somme — une des seules peut-être qui ne m’aient jamais quitté, avec celle de l’inexistence de Dieu. La seconde étant une extraordinaire surestimation de moi-même dont il m’arrive de temps à autre d’être victime, et qui m’amène à penser qu’aucun aveu ne pourra épuiser l’indéfinie richesse de ma personnalité, qu’on pourrait puiser sans fin dans l’océan de mes possibles — et que si quelqu’un croit me connaître, c’est simplement qu’il manque d’informations.

Je me sens parfois comme Nietzsche jugeant bon, dans Ecce homo, de livrer à l’impression le détail de ses habitudes alimentaires, comme son goût pour le « cacao fortement dégraissé », persuadé qu’il était que rien de ce qui le concernait ne pouvait être absolument sans intérêt (et le pire est que ce sont des pages qu’on lit, en effet, avec un certain plaisir ; des pages qui, peut-être, survivront à Ainsi parlait Zarathoustra).

Michel Houellebecq, Ennemis publics, Flammarion-Grasset, pp. 47-48.

David Farreny, 18 sept. 2009
bâillante

Dieu sait quel désir avait à ce point levé la terre et les arbres sur la terre et le ciel parfait au-dessus des arbres. L’homme qui croyait savoir, d’expérience et de réflexion, l’essentiel de la vie, n’en revenait pas de la densité de joie qui fixait le temps aux marges infimes de l’éternité. De hautes fleurs bleues balançaient leurs clochettes. Il aurait fallu respirer sans bouger et que, dans les veines, le sang courût sans mouvements. Alors peut-être, proie toute pure de sa ferveur, l’homme eût-il atteint ce qu’il était venu chercher : un souvenir aboli, un mot oublié, un désir inconnu — la vérité dont son être était le fruit égaré, la plénitude de ce qui n’avait guère été jusqu’à présent, chez lui, que le vide, le creux, la vallée bâillante et sans foi.

Claude Louis-Combet, « La tombe à son plus haut point », Rapt et ravissement, Deyrolle, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 29 mars 2010
cerveau

Heureusement voici Dino Egger avec son 109) échelle de corde ! Ah ! le pitre ! Merci la science ! Certes, il a le front proéminent, il y en a des cellules amalgamées sous son crâne bulbeux. Quel cerveau ! On en mangerait ! Des circonvolutions comme pour gravir l’Everest à bicyclette. C’est gris, c’est rose, ça bat, ça tremble, ça vibre, ça flageole, c’est incontestablement parcouru de pensées fulgurantes. Nous allons nous électrocuter si nous y touchons, prudence. Mais je n’y mettrai pas les doigts, aucun risque. Me dégoûte un peu, la grosse éponge à songes.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 113.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
direction

L’acteur et la femme suivirent le père des yeux, puis se donnèrent la main pour se dire au revoir et sursautèrent en même temps du fait d’une légère décharge électrique.

La femme dit : « En hiver, tout se charge d’électricité. »

Ils voulurent se séparer mais remarquèrent alors que leur direction était la même, aussi allèrent-ils, côte à côte, sans parler. Devant le parking où ils rattrapèrent le père, ils se séparèrent encore une fois avec un hochement de tête mais continuèrent cependant ensemble parce que leurs voitures se trouvaient presque l’une à côté de l’autre.

En roulant, la femme vit l’homme la dépasser ; il regardait droit devant lui ; elle obliqua.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 86.

Cécile Carret, 30 juin 2013
double

Röskilde. La cathédrale de briques sans grâce est le Saint-Denis du Danemark, avec ses gisants de pierre attroupés, dont le nom même est depuis longtemps silence (le Danemark, par une singulière fortune, n’a eu qu’un roi et qui n’a pas régné : Hamlet). Tout autour, le silence nordique des rues et des ruelles, fané et sédatif — plus engourdissant que celui de la Hollande — qui est celui des franges du monde habité : malgré la nécropole royale toute proche, on sent que le charroi brutal de l’Histoire n’a jamais éveillé cette calme et végétale bourgade : elle n’écoute que le vent bruissant qui remonte le fjord plat et passe sur les prés d’un vert cru, les cris des oiseaux de mer au-dessus de l’herbe, le carillon austère et luthérien qui tombe d’heure en heure des clochers. Il n’y a rien à chercher, rien à prendre à Röskilde : respirons une seconde le vent acide, hivernal encore en avril, qui souffle du Belt, arrêtons-nous quelques minutes à la pâtisserie, confortable et somnolente, pour manger un gâteau danois à la crème danoise, qui est une crème double, et partons — puisque nous n’avons pas assez de temps pour le seul, simple et profond plaisir que promet la ville et qui aurait été non pas d’y vivre, mais d’y dormir ; d’y dormir une vraie nuit danoise : une nuit double.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 241-242.

David Farreny, 20 oct. 2014
méridienne

La même doctrine doit servir sous la lumière méridienne et dans les moments livides.

Seul est vérité ce qui vaut indistinctement pour l’âme affligée comme pour l’exaltée.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 266.

David Farreny, 26 mai 2015

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer