caquet

Quel moraliste a dit : « Dans la société tout me rapetisse ; dans la solitude tout me grandit » ? Faux. Il lui semble qu’il en est ainsi, mais c’est parce que dans la solitude il n’y a personne pour rabattre l’impudent caquet de sa vanité.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 693.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2008
insignifiance

Insignifiante, la scène lutte cependant avec l’insignifiance. Tout partenaire d’une scène rêve d’avoir le dernier mot. Parler en dernier, «  conclure  », c’est donner un destin à tout ce qui s’est dit, c’est maîtriser, posséder, disperser, assener le sens ; dans l’espace de la parole, celui qui vient en dernier occupe une place souveraine, tenue, selon un privilège réglé, par les professeurs, les présidents, les juges, les confesseurs : tout combat de langage (maché des anciens Sophistes, disputatio des Scolastiques) vise à la possession de cette place ; par le dernier mot, je vais désorganiser, «  liquider  » l’adversaire, lui infliger une blessure (narcissique) mortelle, je vais l’acculer au silence, le châtrer de toute parole. La scène se déroule en vue de ce triomphe : il ne s’agit nullement que chaque réplique concoure à la victoire d’une vérité et construise peu à peu cette vérité, mais seulement que la dernière réplique soit la bonne : c’est le dernier coup de dés qui compte.

Roland Barthes, « Scène », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 247.

Élisabeth Mazeron, 25 janv. 2010
tenir

L’immédiateté de l’Idée de la vie consiste en ceci, que le concept n’existe pas comme tel dans la vie, que, par conséquent, son être-là se soumet alors aux multiples conditions et circonstances de la nature extérieure et peut apparaître dans les formes les plus misérables ; la fertilité de la Terre fait croître la vie en tous lieux et de toutes les manières. Le monde animal est, ou peu s’en faut, encore moins capable que les autres sphères de la nature de présenter un système rationnel d’organisation qui soit en lui-même indépendant, de tenir ferme aux formes qui seraient déterminées par le concept, et de les empêcher, face à l’imperfection et aux mélanges des conditions, de se confondre entre elles, de se gâter et de passer en d’autres. — Cette faiblesse du concept dans la nature en général ne soumet pas seulement la formation des individus à des contingences extérieures — l’animal développé (et l’homme en tout premier lieu) est exposé à des monstruosités —, mais elle soumet aussi entièrement les genres aux variations de la vie universelle extérieure de la nature, dont l’animal vit, en y étant accordé, l’alternance, ce qui fait qu’il n’est qu’une alternance de santé et de maladie. Le contexte de la contingence extérieure ne contient presque que de l’étranger ; c’est continuellement qu’il exerce une violence et fait peser une menace de dangers sur le sentiment de l’animal, qui est un sentiment d’incertitude, d’anxiété et de malheur.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Le genre et les espèces », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 323-324.

David Farreny, 7 fév. 2011
gloire

Ma Marinette allait, venait, défilait comme chaque jour le long de la terrasse où se faisaient bronzer les clients, et vraiment l’industriel Jina avait raison, elle était à croquer ce jour-là ; mais comme elle passait tout près des premiers adorateurs du soleil, je vis les femmes se retourner sur elle en étouffant un rire, et plus elle approchait de moi, plus je les voyais qui se tordaient de rire ; les hommes tombaient à la renverse, se couvraient le visage d’un journal, faisaient semblant de s’évanouir ou préféraient fermer les yeux ; puis Marinette me dépassa et je vis, sur un de ses skis, juste derrière ses chaussures, un énorme caca, gros comme un presse-papiers, comme dans le beau poème de Jaroslav Vrchlicky… En une seconde, je sus que c’était là le second chapitre de la vie de Marinette, de qui il est écrit qu’elle devra supporter sa honte sans connaître sa gloire. Quant à l’industriel Jina, en apercevant ce que Marinette avait fait sur ses skis, quelque part derrière les pins rabougris du Mont-d’Or, il se trouva mal et en resta encore tout paralysé l’après-midi tandis que, jusqu’à la racine de ses cheveux, une rougeur fleurissait sur le visage de Marinette. Les cieux ne sont pas humains et un homme qui pense ne l’est pas davantage, j’écrase dans ma presse paquet après paquet, au cœur de chacun d’eux un livre est ouvert à la page la plus belle, je travaille à ma presse mais je suis en pensée avec Marinette ; ce soir-là, nous avions noyé jusqu’à mon dernier sou dans le champagne, le cognac ne nous suffisait plus ; en défilant devant la société avec son caca sur ses skis, Marinette, dans l’image qu’elle donnait d’elle, avait dérapé. Je passai toute la nuit à lui demander un pardon qu’elle me refusa et, fière et droite, elle quitta l’hôtel Renner, accomplissant ainsi les mots de Lao-tseu : connaître sa honte et soutenir sa gloire. Un être comme elle est un exemple sous le soleil…

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 40.

Cécile Carret, 13 juin 2011
carte

Ni l’un ni l’autre nous n’avions l’habitude de ces restaurants dont la carte présente une variété presque infinie. Ma femme surtout. Dans l’impossibilité de goûter simultanément à tout, elle ne parvenait pas à fixer son choix, ses yeux passaient d’un coin de la carte à l’autre, reflétant l’image coloriée de plats qui s’annulaient l’un l’autre, se mouillant, elle s’absorbant dans un rêve consultatif et silencieux, pendant que le garçon irrité tapait du pied devant sa chaise, se raclait la gorge avec une impertinence de plus en plus marquée et finissait par disparaître comme si on l’avait insulté.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 78.

Cécile Carret, 18 juin 2012
chat

On ne possède jamais que le chat du voisin.

Éric Chevillard, « mardi 9 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 juil. 2013
s’efforçant

Malentendu : écrire éloignerait l’écrivain de la réalité, le couperait de la vie, dit-on, alors que celui-ci fait au contraire, sans divertissement ni autre faux-fuyant, l’expérience de la vie même en acceptant justement la solitude essentielle de l’être – celle de la naissance et de la mort, celle à laquelle nous sommes ramenés toujours par les deuils et les ruptures, quand se défont les fusions, les osmoses – et en s’efforçant de rendre celle-ci féconde.

(L’osmose entre deux êtres ne dure que tant qu’ils se croisent.)

(D’autrui ne me parvient le plus souvent que la basse obsédante, martelée, insupportable.)

Éric Chevillard, « mardi 24 septembre 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 24 sept. 2013
licite

On peut attaquer un philosophe, polémiquer avec n’importe qui. S’en prendre à un écrivain est beaucoup plus grave. Je ne peux pas tomber sur un écrivain (mort ou vivant) comme je tomberais sur n’importe qui. Il y faut une loi. L’attaque d’un écrivain devient licite dès lors qu’il se conduit en thérapeute social, en médecin du monde, guérisseur sans frontières.

Philippe Muray, « 17 avril 1982 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 166.

David Farreny, 2 mars 2015
portée

Ne pas naître est sans contredit la meilleure formule qui soit. Elle n’est malheureusement à la portée de personne.

Emil Cioran, « De l'inconvénient d'être né », Œuvres, Gallimard, p. 898.

David Farreny, 1er mars 2024

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