secret

Mais on ne peut pas être indiscret avec moi, sauf en m’imposant ses propres discours, sa propre musique, ses propres bruits. Je n’ai pas de secrets et je m’en félicite tous les jours. Je trouve que rien n’est ennuyeux comme les secrets. Je respecte ceux des autres, puisqu’ils sont aux autres. Mais je ne les estime pas.

Rien ne serait épouvantable, cela dit, comme une société où les secrets seraient interdits. Le mépris du secret est une règle morale, et personnelle, nullement un impératif social…

Renaud Camus, « jeudi 26 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 60.

Élisabeth Mazeron, 5 sept. 2003
sanctuaire

Les livres sont le seul poids de mon existence. Sans eux, je pourrais vivre à l’hôtel, voyager sans cesse, danser la vie. Je n’ai d’autre attache que la bibliothèque. Mon rêve était d’en établir une une fois pour toutes, d’édifier pour mes proliférants volumes un sanctuaire éternel, aussi précairement éternel, du moins, que je le suis moi-même. La bibliothèque serait bien calée quelque part, stable, sûre, facile d’accès, et moi je serais libre de courir le monde autour d’elle, à partir d’elle, revenant à elle pour consultation dès que le besoin s’en ferait sentir.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 127.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
confirme

Jadis en Argentine, il m’est arrivé de naviguer sur le haut Parana — fleuve aux méandres largement étalés — accueillant en moi avec un sentiment de tension atroce des paysages que chaque tournant du cours d’eau renouvelait — comme s’ils avaient pu m’affaiblir ou me rendre plus puissant, et ce n’est pas autrement que, durant les longues années de mon travail littéraire, je scrutais du regard le monde, cherchant à savoir si mon Temps me confirme ou au contraire m’abolit.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 519.

David Farreny, 3 mars 2008
automne

Le sentier venait de sortir à ciel ouvert et de retrouver le bord du lac, la lumière grise de la surface. Dans l’eau, les pentes de la montagne s’emboîtaient dans leur propre reflet comme dans un jeu de construction merveilleux qui faisait hésiter sur le niveau réel de la surface. Le ciel, d’un gris très clair, semblait collé au fond comme une lentille. Tout en bas de ce retournement vertigineux, on voyait l’antenne de la station de transmission qui permettait aux habitants de l’Altefrau de bénéficier de la télévision et qui arrosait les vallées et les zones montagneuses.

Il y avait un silence énorme, une humidité froide. Des nuages fins comme une gaze salie recouvraient les sommets. On sentait à l’œuvre cette immobilité du temps propre à l’automne, ce pourrissement propre à l’automne, les plantes s’exténuant doucement sous la roche.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, p. 70.

David Farreny, 16 août 2010
on

J’avais décidé de délaisser l’école. L’apprentissage me répugnait de plus en plus. Je n’arrivais plus à assimiler de nouvelles matières et n’améliorais aucune de mes connaissances anciennes. C’est ainsi : soudain, le goût de l’étude se disloque, la curiosité s’émousse, on commence à décliner et on ne s’attriste pas. On reste assis en face d’une brassée d’épinards, on surveille du persil et on s’en contente. Quand je dis on, on aura compris que je parle de Yasar Dondog, c’est-à-dire de moi et de nul autre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 104.

Cécile Carret, 14 sept. 2010
carpes

Carpes d’un or éclatant, hors de la boue, écailles d’or bordées de noir, nageoires corail, de l’art le plus fin, des couleurs les plus exquises, comme dans l’art sung. Brochets, gardons, truites ; les poissons blancs meurent vite, tournent sur le ventre immédiatement ; les carpes, vingt-quatre heures. Vent nord-ouest glacial. Grand feu de bois, bûches noires, dessous rougeoyant, le haut noyé de fumée bleue. Les camions de marchands de marée arrivent de partout, on pèse (8 F le kilo) au sortir du bac, les chalands viennent tremper leurs doigts dans un seau d’eau chaude posé sur les bûches ardentes. Les tables gluantes grattées par les palettes visqueuses, entre deux arrivées d’épuisettes, lourde chacune de 20 kg de poisson. Odeur fade du poisson d’eau douce, de la vase ; l’eau des bacs bouillonne de vie, d’écume, traversée du saut d’agonie des poissons, sillonnée d’arêtes dorsales, de nageoires roses ou noires, battant l’air. Tous les vingt hommes, dirigés par E., qui travaille de ses mains rouges, allant du canal de dérivation à l’étang qui se vide et se déverse au fond du pré. (Apremont, ce jour.)

Paul Morand, « 11 février 1976 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 727.

David Farreny, 23 sept. 2010
heurté

Elle portait le costume ordinaire des Laponnes, et n’y avait ajouté pour la solennité qu’une coiffe-casque ornée de petites plaques d’argent, derrière laquelle pendait une énorme touffe de rubans de coton tramés de cuivre et d’argent. Les libéralités de sa famille ou de son fiancé lui avaient, en outre, permis d’attacher après elle une quantité de petits fichus de laine ou de coton de fabrique anglaise, choisis des couleurs les plus éclatantes. Tout cela était accroché autour d’elle pêle-mêle, comme à un portemanteau, et ces tons tranchés, ces lambeaux flottants, ce désordre criard et heurté, contribuaient à rendre son costume aussi disgracieux que sa personne.

Chacun se tenait debout et en silence autour de la chaire. Bientôt le ministre arriva. Il lut les versets consacrés, unit les mains des époux, échangea leurs anneaux, puis leur fit en langue laponne une allocution qui dut être touchante, car tout le monde se mit à pleurer à chaudes larmes.

Mon ignorance de la rhétorique laponne ne me permit pas de prendre part à l’émotion générale ; mais en regardant les contorsions de physionomie de tout cet horrible petit monde, j’entrevis à la laideur humaine des horizons variés et infinis que je n’avais même pas soupçonnés jusqu’alors.

Cette partie de la cérémonie achevée, le marié retourna au milieu de ses amis d’un côté de l’église, et la mariée près de ses compagnes de l’autre ; puis toute l’assistance entonna un psaume d’une voix fausse et rauque à faire fuir des ânes.

Léonie d'Aunet, « Lettre V. Les Lapons », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 143.

David Farreny, 8 sept. 2011
façon

Elle vit un échalas crasseux à la longue tignasse grise, vêtu d’un simple sac postal ficelé à la ceinture et chaussé de sandales sonores. Elle était seule dans la rue avec lui. Quand elle jetait un œil dans son dos, l’homme détournait le regard, ralentissait et inclinait la tête d’une façon coupable. Ensuite elle reprenait sa marche, et lui de même, faisant claquer ses mauvaises sandales comme s’il venait de les voler à quelqu’un le surpassant de trois pointures. […] Le cochon de lait roula au sol dans son torchon et elle se jeta dessus à plat ventre. L’homme la prit par les cheveux et la redressa.

— Donne-moi ton c’chon. Ton c’chon !

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 38.

Cécile Carret, 9 mars 2012
oublier

Il y a pire que la chute. C’est la mauvaise pente. Ces traînées de mots qui traversent notre steppe intérieure, excluant tout autre langage, extinction totale des feux. Il va falloir les oublier, mais c’est impossible. Ineffaçable. On ne pourra plus jamais éviter cette ornière, il faudra passer par là.

Georges Perros, « Chutes de lecture », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 152-153.

David Farreny, 27 mars 2012
rêvaient

Un moment, ils restèrent ainsi, en position horizontale, dévêtus, couchés côte à côte sous leurs légères couettes d’été.

Puis une étrange lueur brilla derrière leurs paupières closes, et ils se levèrent, se quittèrent, traversèrent les murs, les années, s’en allèrent dans différentes directions, par des sentiers inconnus d’eux-mêmes, revêtus désormais de toutes sortes de costumes imaginaires.

Le miracle quotidien s’était accompli ; ils rêvaient.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 48.

Cécile Carret, 4 août 2012
nécessité

Lorsqu’on voyage en seconde classe, on ne voit pas bien la nécessité des premières ; mais la réciproque n’est pas vraie.

Bernard Delvaille, « Vesteraalens Dampskibsselskab », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 49.

David Farreny, 12 août 2012
petitesse

Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes ; et dans l’éloignement d’où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse. Loué, exalté, et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir, et qu’il n’aura jamais […].

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 211.

Guillaume Colnot, 27 fév. 2013

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