deviner

Personne ne saurait même deviner l’infini de ma désertion.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 377.

David Farreny, 20 mars 2002
fureur

Savoir n’est pas nécessaire. D’abord, ça suppose qu’on prenne du recul, qu’on arrête un peu et le temps manque. Il y a trop à faire pour qu’on s’offre le luxe de s’interrompre un seul instant. Les choses sont là, obstinées dans leur nature de choses, corsetées de leurs attributs, rétives, dures, inexorables. Elles ne livrent leur utilité qu’à regret. Elles réclament toute la substance des vies qu’elles soutiennent. Encore le temps dont celles-ci sont faites ne suffit-il pas toujours. Il faut y verser quelque fureur. C’est à ce prix qu’on demeure.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
absence

Castres a de longue date joui pour moi d’un très grand prestige romanesque, dû pour partie à son nom effrayant, mais surtout à l’absence de toute image précise à elle associée.

Renaud Camus, « jeudi 5 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 415.

David Farreny, 9 août 2005
réserve

Il n’y a pas grand-chose à faire. Je propose mes services à qui en veut. Justement, le service d’ordre manque de bras. Je me présente aux barrières, où l’on contrôle les vignettes. Il y a là quatre ou cinq gars, très peuple, et comme chaque fois qu’il me faut agir à la base, c’est en passant outre la réserve instinctive que m’inspirent la dégaine, le ton, les plaisanteries des camarades. C’est au nom d’une certaine morale, tout abstraite, que je les ai rejoints, à vingt ans, et il m’en coûte toujours autant de composer avec la réalité humaine qui en est porteuse. […] Deux, au moins, des gars sont de ces gens au commerce desquels je préférerais, comme Stendhal l’avoue dans son journal, la solitude du cachot, épais, au physique et au moral, hâbleurs, amis de la grasse blague et des Kronenbourg. Les autres, des métallos, ont cette allure entière, ouvrière, dans l’action et l’expression, l’affirmation de soi, à quoi s’oppose ma retenue de petit-bourgeois. Le public est à l’avenant, très populaire. Frappé du nombre et de la force des marques et stigmates corporels, mutilations et handicaps, déformations, tatouages, colifichets, maquillage. Les femmes arborent de prodigieux embonpoints, des fards agressifs, les hommes de fortes moustaches, et parlent haut. Je me surprends à adopter, malgré moi, une posture d’observation et non de participation. Tout, hormis de vastes et vagues idéaux de justice sociale, tout me sépare d’eux.

Pierre Bergounioux, « samedi 11 juin 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 213-214.

David Farreny, 14 mars 2006
gratuit

Tout ce qui est gratuit rend ingrat.

Stephen Smith, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, Calmann-Lévy, p. 115.

David Farreny, 27 mars 2007
dilate

Un dilemme dilate le temps. C’est une torture qui prend le temps de désenfouir de la conscience et d’examiner des arguments contradictoires, et de revenir sur les uns et les autres pour les renforcer.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, p. 16.

Élisabeth Mazeron, 18 mars 2009
zigomars

Ces zigomars – les auteurs – font en définitive ce qu’ils veulent avec nous ; soit qu’ils nous vantent les conséquences bienfaisantes d’une consommation régulière de Sanella ; soit qu’ils nous rendent incapables de bégayer autre chose que leurs formules, constructions, locutions. […] je suis allé dans les marais de l’Ems – mon Dieu, quel pays ! : impossible de communiquer avec les habitants autrement que par signes ; on n’y a jamais les pieds au sec ; et la pluie, qui pleut toute la sainte journée – et cela uniquement parce qu’un auteur y avait situé des scènes d’amour ; des scènes d’amour ! : l’air s’y répandait soi-disant saturé de chaleurs, comme du verre en fusion ; et les filles y prenaient spontanément des poses qu’on ne rencontre d’ordinaire que dans les Mille et une nuits – – : Je ne veux plus lire ! !

Arno Schmidt, « Que dois-je faire ? », Histoires, Tristram, p. 77.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
univoques

Peu après, son père mourut d’une crise cardiaque, une mort rapide, claire et nette. Pour ce faire, il s’était mis au lit d’abord et s’était étendu bien droit sur le dos. C’était un homme qui aimait l’ordre, convaincu de la logique des choses. Quand il essayait de s’exprimer, il alignait les phrases univoques. Il misait sur la clarté. Et comme les phrases univoques sont souvent contradictoires, il édulcorait la première et arrangeait un peu la seconde, afin qu’elles s’ajustent l’une à l’autre, après quoi la troisième lui paraissait suspecte, raison pour laquelle il l’élaguait, elle aussi. À la fin, on se retrouvait régulièrement devant un enchevêtrement confus de phrases univoques mal taillées, un gargouillis embroussaillé auquel personne ne comprenait rien. Son père présentait ça comme s’il n’y avait rien de plus naturel, persuadé qu’il était de la limpidité de sa propre création. Si Maurice s’était planté devant lui et qu’il lui avait avoué qu’il ne parvenait pas à suivre son raisonnement, oui, qu’il n’arrivait même pas à distinguer et à remonter les fils de sa propre pensée, son père aurait été outré de cette faiblesse de son fils et il aurait dit : « Fais voir, t’inquiète pas, on va y arriver, il y a une logique dans toute chose. »

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 188-189.

David Farreny, 11 mars 2010
illimitation

Il est étrange de penser que ce qui fut, durant deux siècles, la souffrance de l’ère industrielle, la vibration puissante et grave des machines, ébranlant jusqu’à le ruiner le corps des travailleurs, est devenue la réjouissance des oisifs. Le pire est peut-être la cadence invariable des coups portés, l’égalité de la hauteur de la vibration, le bruit sourd et toujours identique, sans modulation, comme un symbole de l’illimitation du mal, ce qui se répète et qui ne change pas, comme un glas infernal et infini.

Jean Clair, « Agressions », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 21 mars 2011
voient

La femme dit : « Faisons encore une photo avant de nous en aller. » Sur l’image on la voyait tout d’en bas, baissant le regard, sur fond de ciel ; avec à peine la pointe des sapins. La femme s’écria comme effrayée : « Alors, c’est ainsi que les enfants voient les adultes ! »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 96.

Cécile Carret, 30 juin 2013
éteignoir

car on est prisonnier de la vie du corps. si le corps s’éteint, et il s’éteint progressivement dans la vie, le corps est un éteignoir pour la vie.

Charles Pennequin, « Le harcèlement textuel », Pamphlet contre la mort, P.O.L., p. 103.

David Farreny, 11 fév. 2014
sage

Ne serait-il pas plus sage d’emprisonner plutôt tous ceux qui n’ont encore tué personne ?

Éric Chevillard, « jeudi 11 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

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