contradictions

Chez la plupart des théoriciens, on trouve des textes réclamant ou soutenant, dans certains cas, l’opposé précisément de ce que ces auteurs sont fameux pour avoir réclamé et soutenu. Il ne s’agit pas de contradictions, mais de raffinements.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 32.

David Farreny, 13 avr. 2002
quelqu’un

Colline et arbres fruitiers, et puis, là-bas vers le haut, sous les pommiers, trois épaves de voiture dont une brûlée, que quelqu’un garde.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 35.

David Farreny, 24 janv. 2003
inquiétant

Dans l’obscurité, on a plus de goût à être ce qu’on est. Le visage peut se détendre enfin, se permettre d’être inquiétant.

Jean Giono, D’Homère à Machiavel, Gallimard.

David Farreny, 2 juin 2005
lâchent

Mais mes identités me lâchent avant la fin de mes phrases.

Renaud Camus, « samedi 26 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 79.

David Farreny, 30 juil. 2005
valeur

Le silence commence à muer.

Autour de moi quelque chose, d’extrême, de fin, de pas définissable, petit balayage en tous sens et qui se rapproche. Dans le voisinage une multitude avance.

En bruissements, comme il en émane d’une maisonnée, la chambre solitaire s’est changée.

Mots qui prennent une valeur extrême. Présentement, le mot « milliers ».

Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 355.

David Farreny, 8 déc. 2005
valeur

Je descends par un petit raccourci boueux, entre deux longs murs, pour porter mes lettres à la poste. Je regarde la terre noire et jonchée de minces débris de plante et les souvenirs sont là. D’abord, je ne sais pourquoi, une promenade que je fis avec Olga sur les quatre heures du matin, en juin, dans la rue Eau-de-Robec ; cette nuit-là nous ne nous sommes pas couchés. Ensuite un chemin d’Arcachon, tapissé d’aiguilles de pin, où nous marchions, le Castor et moi, entourés d’un silence poitrinaire ; ça sentait la mer, le sable chaud et la résine. J’ai essayé de penser : j’ai eu tout cela, moi. Comme mon Roquentin qui essaye de penser qu’il a vu le Gange et le temple d’Angkor. Et ça n’a rien donné. Ce que j’aurais voulu surtout, c’était sentir ce personnage maussade et croûteux — qui portait comme chaque jour des lettres à la poste — revêtu de la passion et, pourquoi pas, de la grâce que je pouvais avoir en cette nuit de Rouen. C’était un moment de ma vie qui avait eu une valeur. […]

Cette nuit-là est embaumée ; j’avais une valeur — elle aussi, j’en suis sûr ; je n’étais pas très heureux, je n’avais aucun espoir mais nous étions ensemble et je l’avais à moi pour toute la nuit, et la nuit nous enserrait de tous côtés, c’était inutile de chercher à savoir ce qui arriverait le matin (par le fait le matin ce fut une catastrophe, haine, brouille et je ne sais quoi). Je crois vraiment que cette nuit fut pour moi un moment privilégié ; je me demande quel souvenir elle en a gardé. Peut-être aucun, peut-être avait-elle des arrière-pensées que je ne soupçonnais pas, peut-être la haine du lendemain lui a masqué pour toujours l’abandon de cette nuit. Et puis ce n’est plus la même Olga, ni pour moi ni pour elle. Et moi je ne suis plus le même. C’est ce que je voulais noter ici — et puis je me suis laissé entraîner à décrire cette nuit. Quand le souvenir est venu, je lui ai adressé comme un appel, j’aurais voulu qu’il me colorât discrètement, qu’il me sortît de ma sale peau crasseuse de militaire. Et, en un sens, il a bien répondu, il s’est donné à moi tout autant qu’il pouvait, il s’est ouvert devant moi comme une mère gigogne et a laissé échapper tout un tas d’autres petits souvenirs. Mais il n’a pas fait ce que je lui demandais : il n’a pas mordu sur moi. Ce que je voulais être en somme, c’était l’homme qui a vécu cette nuit. Je ne voulais pas seulement qu’elle fût devant moi, comme un fragment du temps perdu, mais que ma passion d’alors fût en moi comme une vertu. Je voulais justement que ce temps perdu mais vécu avec tant de force ne fût pas, justement, du temps perdu. […] Je me sentais si grêle, si malingre sur ce sentier boueux, tellement « militaire qui va mettre ses lettres à la poste » et seulement cela, que j’aurais voulu m’engraisser de toutes mes amours et mes peines passées. Mais en vain : je me suis senti totalement libre en face de mes souvenirs. C’est la rançon de la liberté, on est toujours dehors. On est séparé des souvenirs comme des mobiles par rien, il n’est pas de période de la vie à laquelle on puisse s’attacher, comme la crème brûlée « attache » au fond de la casserole ; rien ne marque, on est une perpétuelle évasion ; en face de ce qu’on a été on est toujours la même chose : rien. Je me sentais profondément rien en face de cette nuit passée, elle était pour moi comme la nuit d’un autre. J’avais pressenti cette faiblesse désarmée du passé, dans La nausée, mais j’avais mal conclu, j’avais dit que le passé s’anéantit. Cela n’est pas vrai, il existe toujours au contraire, il existe en soi. Seulement il n’agit pas plus sur nous que s’il n’existait pas. Ça n’a aucune importance d’avoir ce passé-ci ou ce passé-là. Il faut, pour qu’il existe, que nous nous jetions à travers lui vers un certain avenir ; il faut que nous le reprenions à notre compte pour telle ou telle fin future. C’est un acte de liberté qui décide à chaque fois de son efficacité et même de son sens. Mais il ne sert à rien d’avoir couru le monde, éprouvé les passions les plus fortes, nous serons toujours, quand il le faudra, ce soldat vide et pauvre qui s’en va porter ses lettres à la boîte ; toute solidarité avec notre passé est décrétée dans le présent par notre complaisance.

Jean-Paul Sartre, « mercredi 13 mars 1940 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, pp. 587-589.

David Farreny, 27 déc. 2006
rassurant

Le réveil qui sonne le matin renvoie à la possibilité d’aller à mon travail qui est ma possibilité. Mais saisir l’appel du réveil comme appel, c’est se lever. L’acte même de se lever est donc rassurant, car il élude la question : « Est-ce que le travail est ma possibilité ? » et par conséquent il ne me met pas en mesure de saisir la possibilité du quiétisme, du refus de travail et finalement du refus du monde et de la mort.

Jean-Paul Sartre, « L’origine du néant », L’être et le néant, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 11 oct. 2008
tombe

Si j’ose dire, ma propre vie me tombe des mains.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 215.

David Farreny, 26 avr. 2009
personnage

Pendant deux ou trois heures, j’ai eu le sentiment d’être et de ne pas être celui auquel on s’adressait. Non seulement parce que je jouais un personnage, ce qui nous arrive à tous chaque jour et qui est mon sport favori depuis quelques temps, mais parce que je me disais, au moment même où je dégoisais mes mensonges à propos de mon déménagement, de mes projets d’avenir et de mes vacances prochaines dans ma famille, que je n’étais rien d’autre que ce personnage. Je mentais, c’est sûr, mais, derrière mes mensonges, il n’y avait rien.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 76.

Cécile Carret, 27 fév. 2011

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