conservatoire

Il faut donc dire que la même source de perturbations, de « bruit » qui, dans un système non vivant, c’est-à-dire non réplicatif, abolirait peu à peu toute structure, est à l’origine de l’évolution dans la biosphère, et rend compte de sa totale liberté créatrice, grâce à ce conservatoire du hasard, sourd au bruit autant qu’à la musique : la structure réplicative de l’ADN.

Jacques Monod, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Seuil, p. 152.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
demeure

C’était le contraire d’un voyage. Plutôt que moyen de transport, le bateau nous semblait demeure et foyer, à la porte duquel le plateau tournant du monde eût arrêté chaque jour un décor nouveau.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 66.

David Farreny, 29 nov. 2003
hiver

Recensement ininterrompu

reprenons

le toit l’arbre

le ciel le toit

l’arbre le ciel

tous mes possibles

rentrez vite

la vie vous mangerait

j’attends la neige

qui prouve le miracle

mais l’été est bref

comme un coït

et l’hiver ne chatoie

que dans un très vieux

livre imprimé

chez Mame

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 25.

David Farreny, 20 août 2006
rigoles

Il pleuvait. Il pleut toujours. Voilà quatre jours qu’il tombe une pluie fine, invisible et que je suis machinalement des yeux les rigoles d’eau sur les vitres. Dans mon lit, je jouais à deviner si une de ces bandes liquides obliquerait à gauche ou à droite et je me suis presque toujours trompé.

Georges Simenon, L’homme au petit chien, Presses de la Cité.

Cécile Carret, 11 mars 2007
giflait

Près de nous, un vieux poirier tordait sa pyramide de branches, mangées de lichens et de mousses… quelques poires y pendaient à portée de la main… une pie jacassait, ironiquement, au haut d’un châtaignier voisin… tapi derrière la bordure de buis, le chat giflait un bourdon… Le silence devenait de plus en plus pénible, pour Monsieur… Enfin, après des efforts presque douloureux, des efforts qui amenaient sur ses lèvres de grotesques grimaces, monsieur me demanda :

— Aimez-vous les poires, Célestine ?

— Oui, monsieur…

Je ne désarmais pas… Je répondais sur un ton d’indifférence hautaine. Dans la crainte d’être surpris par sa femme, il hésita quelques secondes… et soudain, comme un enfant maraudeur, il détacha une poire de l’arbre et me la donna… Ah ! Si piteusement ! Ses genoux fléchissaient… sa main tremblait…

Octave Mirbeau, Le journal d’une femme de chambre, Gallimard, p. 85.

Cécile Carret, 11 mars 2007
facultatives

Une dernière particularité décuplait la magie des omnibus auxquels leur cargaison de fruits, de bêtes donnaient des airs d’arche de Noé : c’étaient les haltes facultatives ménagées à intervalles irréguliers pour les habitants de hameaux invisibles perdus dans les vallées, enfouis dans la forêt. Parfois, une aubette aux supports de fonte moulée sur une plate-forme de ciment indiquait l’arrêt. Mais parfois, c’était simplement une pelletée de mâchefer cernée d’herbe haute, entre le ballast et l’orée du bois. Lorsqu’il n’y avait personne dans la flaque enchantée, le convoi poursuivait sa course fantasque dans le décor d’affiche.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, p. 38.

David Farreny, 4 mars 2008
égaré

Égaré dans ces images de maisons basses et d’étoiles, j’aperçus tout à coup un avion – un garçon, les bras tendus en ailes, vrombissant comme un supersonique, qui tournait, virevoltait, atteignit une petite place, devint automobile, gronda, actionna ses leviers, saisit son volant, fit, d’une grosse voix muée, rugir son moteur et, les poings en pare-choc, freina brusquement devant une autre voiture pour pisser contre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 22.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
fléché

Mes cheveux dégouttaient encore sur mon front. Cette femme, les lèvres un peu ouvertes, bienveillante et à peine étonnée, considérait patiemment mon silence. Elle attendait ce que je voulais. Je parlais dans un rêve, d’une voix nette pourtant. Elle se détourna, son aisselle apparut quand elle leva le bras vers son rayonnage, et la main franche, suave, baguée, s’ouvrit sous mes yeux avec dans son creux le paquet rouge et blanc de la Marlboro. J’effleurai cela en prenant le paquet. Pour voir encore ce geste peut-être, la monnaie dans la paume, les ongles peints se réunissant, se défaisant, j’achetai aussi le saint fléché de la carte postale. Elle souriait tout à fait. « Vous voulez une enveloppe ? » dit-elle. Bien sûr que j’en voulais une. La voix était généreuse aussi, les paroles y venaient comme un don. Une fois de plus le bras blanc plongea, la main prit, les sequins caressèrent la joue.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
chafouin

Arrêtons-nous quelques instants sur le jeune Angus Napier. C’est un garçon de petite taille à l’air apeuré quoique dangereux, sournois bien qu’une innocence parfois égarée dans son regard, naïve et butée comme celle d’un ange, fasse concurrence à cet aspect chafouin et donne l’impression d’un enfant assez fou, capable de torturer quelqu’un à mort tout en le serrant en larmes contre lui, lui vouant son amour et sa vie entre deux séances au fer rouge – plagiant ainsi, donc, par anticipation l’habitus de l’acteur Elisha Cook Junior qui va naître à San Francisco dans dix ans, comme Richard Widmark un 26 décembre, avant de venir grandir ici même à Chicago, puis d’aller déployer à Hollywood ses talents de comédien de second plan.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
reprise

K. était convaincu qu’Amalia se trompait, Amalia sourit, et ce sourire, bien qu’il fût triste, illumina ce visage si gravement fermé, rendit le mutisme parlant, supprima les distances, livra un secret, livra une possession jusqu’alors gardée qui pouvait bien être reprise, mais jamais complètement.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 663.

David Farreny, 22 oct. 2011

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