Freins. De plus en plus de freins. Je mets du temps, beaucoup de temps dans ma stupeur pour remarquer ma stupeur.
Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 925.
Il ne restait à Danton qu’à se montrer aussi impitoyable à sa propre mort qu’il l’avait été à celle de ses victimes, qu’à dresser son front plus haut que le coutelas suspendu : c’est ce qu’il fit. Du théâtre de la Terreur, où ses pieds se collaient dans le sang épaissi de la veille, après avoir promené un regard de mépris et de domination sur la foule, il dit au bourreau : « Tu montreras ma tête au peuple ; elle en vaut la peine. » Le chef de Danton demeura aux mains de l’exécuteur, tandis que l’ombre acéphale alla se mêler aux ombres décapitées de ses victimes : c’était encore de l’égalité.
François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 315.
Voilà qui est excellent ! Allons voir Sicelli ! Allons voir Bismarck ou l’Archimandrite de Noskokentovo pendant que j’y suis ! Car, comme l’écrivait le jeune Fédor à son frère Michel : « Dans l’ensemble, la situation n’est pas favorable. » Pourquoi donc hésiter, mon goloubtchik ? Allons voir Dieu s’il le faut avec sa gueule d’escargot ! Très certainement Il résoudra ce menu problème comme tant d’autres, et nous n’en parlerons plus.
Louis Calaferte, Septentrion, Denoël, p. 344.
C’est d’autre chose qu’il s’agit. De la vache. Comment se comporter face à une vache ?
Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 519.
On n’a pas expugné une chimère qu’un troupeau, que mille se bousculent pour prendre sa place. On n’a jamais eu autant de souci qu’au moment d’embrasser un parfait repos. Il faut disputer avec tous les échos de la mauvaise part, opposer qu’il n’est pas plus déraisonnable de ne plus bouger que de faire le contraire, qu’il n’y a rien de criminel à préférer un goût de sève aux âcretés de la cendre et du sang, qu’il n’est pas moins légitime d’y sacrifier qu’à quoi que ce soit d’autre dont elles proclament l’importance.
Un tiers, un promeneur attardé rentrant par les bois et me découvrant le dos à un tronc, les jambes aux corps, les bras enserrant les genoux n’aurait jamais soupçonné de quelles empoignades féroces l’inertie de souche qu’il constatait était le fruit. Peut-être s’en serait-il douté en me voyant frémir, prendre appui dans l’humus, les feuilles sèches, esquisser le mouvement de me lever, lorsqu’une injonction péremptoire, inattendue, me touchait.
Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 70.
Le cobalt commence à brûler. Cou en sang. Tonne de pommade. Plus moyen d’avaler. On doit me broyer la viande. Purée. Nuits difficiles, assis, comme dans un carrosse en route vers l’autre nuit, l’autre noir. Qui sait ?
Georges Perros, « L’ardoise magique », Papiers collés (3), Gallimard, p. 319.
Oui, pirates, baleiniers,
navigateurs tenaces du sensible,
n’ayant d’aucun destin à témoigner,
ont traversé ces mers accoutumées
dans l’anonyme flux des horizons,
traçant partout leurs routes — de fumées.
À peine un fin sillage de leur court
périple.
Noms sur une pierre
encres
séchées sur un registre.
Bref discours :
nés à…
morts à…
perdus en mer…
Et une
date en regard de ces événements
fragiles feux follets d’une lacune,
pas même attestés par des témoins
de bonne foi, présents à ce scandale
d’apparitions et de disparitions
mystérieuses…
Benjamin Fondane, Le mal des fantômes, Verdier, p. 79.
car personne ne sait vraiment le savoir. tout le monde a la science à chacun. mais que savoir du savoir et pour quoi faire ? pourquoi ne pas se suicider tout de suite, après tout ? je n’ai aucune réponse à la vie. toutes les vies sont des réponses, mais il n’y en a aucune de bonne. car il n’y a pas de question.
Charles Pennequin, « Il n’y a jamais eu d’avancée… », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 124-125.