possession

Peut-on reprendre possession d’une chose ? N’est-ce pas la perdre ?

Franz Kafka, « 9 août 1920 », Lettres à Milena, Gallimard, p. 182.

David Farreny, 23 mars 2002
monter

Mes phrases voient monter en elles la contradiction avant qu’elles aient atteint leur verbe.

Renaud Camus, « samedi 7 février 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 61.

David Farreny, 15 fév. 2004
ombre

Que la fenêtre donnait sur la rue, si peu. Parce qu’au bout du couloir il y avait bien une porte, qui donnait sur la rue, et qui maintenant est l’entrée principale du cabinet médical. Mais nous on ne s’en servait pas, on passait par le jardin, et la cuisine. Dans le couloir il y avait quoi ? Je n’en sais plus rien. J’y verrais bien une machine à coudre Singer, ancien modèle à pédalier, avec son couvercle, mais peut-être j’invente. J’ai souvenir de cette ombre, je dois faire avec l’ombre.

François Bon, Mécanique, Verdier, pp. 36-37.

David Farreny, 5 sept. 2004
tombe

Ainsi la mort violente est un usage presque aussi nécessaire que la loi de la mort naturelle ; ce sont deux moyens de destruction et de renouvellement, dont l’un sert à entretenir la jeunesse perpétuelle de la Nature, et dont l’autre maintient l’ordre de ses productions, et que peut seul limiter le nombre dans les espèces. Tous deux sont des effets dépendants des causes générales ; chaque individu qui naît tombe de lui-même au bout d’un temps ; ou lorsqu’il est prématurément détruit par les autres, c’est qu’il était surabondant.

Buffon, « Une nature animale », Histoire naturelle, Gallimard, p. 61.

David Farreny, 10 janv. 2006
verrait

Bien sûr, tu n’as pas ressenti en voyant Jacques le choc, le battement, l’onde raphaélite, mais il a le mérite de t’aimer. Sur le quai d’en face, il te verrait.

Michel Besnier, La vie de ma femme, Stock, p. 146.

David Farreny, 25 juin 2007
engendrement

À la lumière, par conséquent, fait défaut l’unité concrète avec soi que la conscience de soi possède en tant que point infini de l’être-pour-soi ; et c’est pourquoi la lumière est seulement une manifestation de la nature, non pas de l’esprit. C’est pourquoi, deuxièmement, cette manifestation abstraite est en même temps spatiale, absolue expansion de l’espace, et non pas la reprise de cette expansion dans le point d’unité de la subjectivité infinie. La lumière est dispersion spatiale infinie, ou, bien plutôt, infini engendrement de l’espace.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 394.

David Farreny, 28 fév. 2011
intercession

Je continuai d’avancer — avec à ma droite le complexe ferroviaire et à ma gauche l’aqueduc, dont les arches ici ne s’arrondissent plus que sur leur comblement, l’édifice devenant un simple mur où se dessine maigrement sa découpe d’origine — vers cet homme qui ne bougeait pas et qui paraissait, la tête un peu penchée vers l’avant, plongé dans une réflexion. Je dus parvenir à sa hauteur pour constater que, de la main droite, il tenait la poignée d’un mécanisme d’enroulement d’où s’étirait une courte longueur de laisse, au bout de laquelle un frêle représentant de l’espèce canine, la patte levée, urinait contre la clôture. Scène banale, en vérité, et qui s’accordait bien avec un environnement où l’aqueduc, redevenu mur et perdant de sa hauteur, tendait à revêtir une dimension humaine.

Pourtant, comme je le découvrais, je marquai le pas, frappé par l’attitude pensive de l’homme. Il me ressouvenait, en effet, et de manière frontale, sans que je pusse refouler en rien une telle vision, d’avoir surpris mainte fois semblable attitude chez tel usager de toilettes publiques, dont presque toujours, comme on sait, à la faveur de la miction, l’esprit se libère et vagabonde. L’homme, ici, qui n’entretenait avec le soulagement de l’animal qu’un lien de pure forme, en l’espèce de la laisse, semblait donc, néanmoins, en bénéficier intellectuellement, comme s’il se fût agi du sien ; et, partant de ce rapprochement, j’en vins à me représenter la scène d’une tout autre manière, aussi crue qu’obsédante, au point que je ne pouvais plus désormais l’imaginer autrement : dans cette vision nouvelle, qui complétait définitivement l’ancienne, la laisse, faisant figure de tuyau, permettait à l’homme, par une magique intercession de sa main refermée sur l’enrouleur, de se soulager sans qu’il en parût rien, là-bas, sous la patte levée de la bête, le long de ce conduit où de façon à peine masquée son animalité se transférait vers quelque représentant plus propre, par sa quadrupédie, à l’incarner. Il y avait là, dans la trivialité d’une telle évocation, dans le trajet maintenant trop visible de cet écoulement, quelque chose aussi de la prothèse et de l’hôpital, et, jetant à l’homme un seul bref regard de côté, j’allai mon chemin, en proie à une sensation mêlée de dégoût et de spoliation, comme blessé d’avoir été si aisément trompé par cette pauvre mise en scène, et persuadé de toute façon que, bien qu’elle fût le fruit de ma seule imagination, l’homme qui s’y était distingué en était pour partie responsable et devait en tout état de cause rendre compte de sa supercherie et de son inconvenance.

Christian Oster, Le pont d’Arcueil, Minuit, pp. 102-103.

David Farreny, 14 mars 2013
bouffée

À quelle bouffée d’illusions dois-je cette dégaine exceptionnellement insouciante aujourd’hui ? J’ai la déconcertante impression d’être un autre.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 167.

David Farreny, 30 juin 2014
saison

L’été n’est pas une saison vivante mais une saison vécue.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 236.

David Farreny, 24 août 2014
imaginer

Je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé si je n’avais pas été là pour prendre la fuite !

Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 6 mars 2024
épuisement

Nous sommes sortis du temps infini de la lecture individuelle. Écrire dans sa propre langue, c’est d’ores et déjà se condamner, comme pour les sciences, à n’être presque pas lu ; c’est accepter la disparition de l’écrivain au sein de l’épuisement de la littérature. Rien de bien neuf, donc, sauf cet épuisement qui fait que les grands récits et les grandes métaphores sont en train d’émigrer vers d’autres supports dans lesquels la langue n’est qu’un élément parmi d’autres, désacralisé, instrumental, véhiculaire. Sur ce plan-là, écrire revient à entériner la mort des langues, à entrer dans la nuit pour y chanter comme un enfant dans le noir.

Richard Millet, « 6 », Désenchantement de la littérature, Gallimard.

David Farreny, 7 mai 2024
avant-goût

Je ne saurais dire pourquoi l’idéal d’une vie heureuse me paraît aussi crédible et aussi rassurant que le slogan d’une « guerre propre ». Comme beaucoup j’ai le sentiment que ce monde n’est pas fait pour moi ou que je ne suis pas fait pour ce monde. Je me tourne et me retourne dans l’existence tel un insomniaque dans son lit, en proie à l’énervement et à l’hébétude. Après des moments très brefs d’euphorie que m’apportent un flirt, une étreinte, une conversation entre amis, une page de lecture ou d’écriture, que sais-je encore, je passe par de longues périodes d’abattement, encombré d’un moi bouffi et inexistant. Quand je ne regrette pas mes rendez-vous manqués avec les occasions de la vie, j’anticipe le deuil qu’il me faudra faire de mes plaisirs. De même que la fièvre altère l’arôme d’un bon vin, ma mélancolie donne un avant-goût de pourriture à ce qu’il m’est donné de savourer, et c’est bien moins l’étonnement devant ce qui arrive qui me pousse à « philosopher », que le blasement – une sorte de lancinant chagrin d’amour sans objet.

Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., p. 18.

David Farreny, 14 mai 2024

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