Ce que je veux dire, c’est qu’ils étaient hommes, et femmes, à délibérer en compagnie de la douleur, à la tenir, comme le reste, en respect.
Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 29.
Volontaire ou non, la solitude est un état contre-nature. Imposée, elle dénote, de notre part, une inaptitude à composer, à s’ouvrir, à faire avec. Délibérée, elle couvre un refus, trahit une sécession. On ne partage pas, plus, les fondements de croyance de la communauté. L’homme est un animal politique, du social individué. Étymologiquement, l’idiot, c’est l’homme privé, solitaire. Lorsqu’on est seul à se défier du monde, c’est de soi qu’il faut se défier.
Pierre Bergounioux, « Entretien avec Thierry Bouchard », Compagnies de Pierre Bergounioux, Théodore Balmoral, p. 152.
Cycle des scories, le dernier : le nôtre, le gauchisme.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 44.
À mesure que l’art s’enfonce dans l’impasse, les artistes se multiplient. Cette anomalie cesse d’en être une, si l’on songe que l’art, en voie d’épuisement, est devenu à la fois impossible et facile.
Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 64.
Le temps coulait fondu par le feu des fatigues.
Je paressais immensément,
épelant d’A à Z le Larousse prodigue
en faciles enchantements.
Raymond Queneau, Chêne et chien, p. 42.
Fermes si bien enfouies dans la neige qu’on les dirait inhabitées, n’était un filet de fumée montant d’une cheminée ou un chien juché sur un tas de bois et aboyant en silence.
Äksi kihelkond, à 23 kilomètres de Tartu, au sein d’un étincellement blanc. Ce nom résume le paysage : inhabitable, car imprononçable, du moins non mémorisable pour moi (ou alors au prix de tels efforts que j’aurais l’impression de cheminer dans la neige).
C’est pourquoi je le note.
Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 53.
Comme un vieux récipient fêlé, mon cœur ne peut plus contenir les effervescentes douleurs dont il continue à être agité, ni les bouillantes passions. Et je crains qu’il ne finisse par se briser. Je ne me sens plus jeune. Je le dis depuis si longtemps ! Et je ne parviens pas à comprendre pour quelle raison l’amour a laissé passé sa saison sans me sourire, tandis que l’amitié, bien suprême, s’éloigne de moi, qui en ai trop abusé. Et survient un nouvel âge. Celui où la mémoire de l’homme est encombrée de trop de souvenirs non ensevelis et où son cœur, opprimé et couvert de cicatrices, ne se nourrit plus que de révoltes fébriles. En attendant, la vie a cessé d’être une cohorte joyeuse, la mort impitoyable ne nous sourit plus, de loin, comme un jour de gloire, mais elle s’avance et se donne pour ce qu’elle est vraiment : l’insulte suprême.
Vincenzo Cardarelli, « Congé », Memorie della mia infanzia, Mondadori.
Le bonheur d’une expression vaut tout autant qu’une pensée heureuse, puisqu’il est presque impossible de se bien exprimer sans mettre en favorable lumière ce qu’on exprime.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 270.
Toute chose a son côté ouvrable et son côté férié.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 309.
Visible à travers les grilles, la soldatesque des cyprès, d’un vert sombre tirant sur le noir contre le ciel instantané de cette heure-là, entre cinq et six, qui ressemble si souvent à un éboulis de possibles.
Gilles Ortlieb, Le train des jours, Finitude, p. 95.