cible

Fini de rire

le temps ne nous ratera pas

la cible

est bien trop grosse

Le givre a pris place

sous le ciel étoilé

il a tout cadenassé

l’air gît pétrifié dans les poumons

l’homme en pyjama appelle

vainement dans la nuit

une bête domestique

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
létal

Est-ce le destin des rêves de dépouiller leurs vertus et leur charme lorsqu’ils s’accomplissent ? Enferment-ils un germe létal qui les détruit lorsqu’ils quittent la chambre où ils naquirent pour l’espace non protégé du dehors ? L’utopie semble vouée à nourrir l’utopie, le possible à engendrer du possible, tout réel à se nier. À peine les idéaux se sont-ils composé un visage qu’on y voit apparaître les stigmates inéluctables, dirait-on, de la tyrannique réalité.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 31.

David Farreny, 17 oct. 2006
chevron

Le monde serait une chambre si nous étions faits pour goûter un durable et plénifiant repos. Or, il n’est point tel. Il existe. Nous aussi, et ceci n’est sans doute pas sans rapport avec cela. Nous sommes avides d’aller, de connaître et les choses sont là pour répondre à cette inclination qu’il y a en nous. Ce doit être, sauf accident, la règle. Or, l’accident, on y était impliqué avant d’avoir pu deviner la règle. C’était le chevron et l’expérience corrélative, originaire, la rebuffade et le dépit.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 9.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
nuit

Jamais vache n’a bu la couleur du sang frais. Mais a toujours su quel genre d’arbre c’était. Un châtaignier par exemple.

La mémoire des vaches n’a pas de profondeur. Elle est plate et douce et répétitive comme un très vieux chant. Elle contient des choses inoubliables et semblables à jamais.

Une vache a facilement le mal d’un pays qui n’existe pas. Elle fait un doux repas dans les fougères mais la nuit est immense.

Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., pp. 20-21.

David Farreny, 6 mai 2008
rebours

Le Passé est une fatalité à rebours.

Jean-Paul Sartre, « Ontologie de la temporalité », L’être et le néant, Gallimard, p. 186.

David Farreny, 20 oct. 2008
oreilles

Un signe de vieillissement que je remarque depuis assez longtemps : mes oreilles s’agrandissent. L’homme montre, en prenant de l’âge qu’il n’est qu’un âne.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 1er février », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 81.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
initiale

À rebours de cela, et pour contredire le stéréotype critique qu’est à son tour devenue la hantise du stéréotype dans la création littéraire, outre le fait qu’une métaphore qui était un cliché lorsque Proust l’employait ne nous gêne plus dès lors que ce cliché n’en est plus un aujourd’hui, il faut surtout relever ceci : il est peu d’événements de langue aussi bouleversants qu’une phrase rendant subitement sa raison d’être initiale à un stéréotype, libérant, par la façon dont ce dernier est pris dans un mouvement de langue qui l’excède, la puissance qui l’a justement élevé au rang de cliché, lui redonnant vie en le décollant, en l’arrachant à son destin de cliché.

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 22.

Cécile Carret, 26 août 2009
alone

Peut-on contredire une relation si fraîche ? “Non” décidai-je et fus par chance dispensé de répondre par le sifflet du chemin de fer de l’Ostbahnhof : ainsi hurle l’esprit animal quand il migre de l’alone to l’alone ! Il gémit avec froideur et zèle, comme ces voix étrangères dans le conduit de la cheminée (qu’on entend parfois dans notre maison : choses calculées par l’architecte ou pur produit du hasard ? Un propriétaire futé pourrait mettre dans l’annonce : “Mugissements particulièrement romantiques dans le poêle : loyer augmenté de 5 marks !” – dieusoiloué ils ne sont pas futés à ce point !). Une nouvelle fois le disque d’ébène du sifflet vint planer par ici, tantôt arête, tantôt face (tandis que sous lui le front noir baissé devait foncer à travers les forêts en direction d’Aschaffenburg. Aveugle.).

Arno Schmidt, « Voisine, mort et solidus », Histoires, Tristram, p. 50.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
possible

À peu près cinq cents mètres avant l’hôtel, dans un virage, il s’arrêta, ouvrit la portière :

— Je vous lâche. Il n’est pas nécessaire qu’on sache que nous venons de faire ensemble ce bout de chemin. Qu’en pensez-vous ? C’est préférable.

Et, plus doucement, il prit ma main ; il la regarda quelque temps, la maintenant entre ses doigts, la paume ouverte, il la porta lentement à ses lèvres.

— Il faut profiter du moment où les choses sont possibles, dit-il. Encore possibles. Un jour, même l’hypothèse n’est plus possible. Un jour, la possibilité n’existe plus. Vous le saurez, vous aussi. Vous le découvrirez, vous aussi. Un jour, il n’y a plus qu’à marcher devant soi, droit au mur. Mais le regret reste, dit-il. Au bout d’un certain temps, le regret, c’est tout ce qui reste. Allez, sortez.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, pp. 126-127.

David Farreny, 16 août 2010
faramineusement

Par la vitre arrière, la route glisse à reculons. Wanda regarde l’endroit d’où elle vient et dont elle s’éloigne sans pouvoir mettre aucun nom sur ce qu’elle laisse. On croit qu’ils roulent au hasard, mais ils se rendent quelque part – on ne le saura que plus tard –, ils tournent sur un cercle morne aux abords de quelque chose, rien de faramineusement américain, pas d’horizon fulgurant, pas d’horizon profilé vers quoi s’engouffrer dans l’oubli, pas de grand trip catatonique, riders on the storm / riders on the storm, pas de jointure incandescente du rêve, ils tournent en silence, lui, accroché au volant, raide, mécontent comme un père de famille ruiné qui médite un projet d’immolation collective à la prochaine aire de repos, elle, assise comme ma mère l’était aux côtés de mon père, droite et basse, aux aguets, se retenant de respirer dans l’attente du meurtre.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 52.

Cécile Carret, 16 mars 2012
hauteur

Il y a un cerf en bronze au milieu de la forêt, au bout d’une allée qui se sépare en deux pour aller jusqu’au château. Le cerf est sur ses pattes, campé sur un socle de pierre qui ressemble à ceux des cimetières ou des hommages aux grands hommes. Il est vif, altier. Il est maître de lui ; il n’est pas pourchassé ou défait, ni sur ses gardes. Même capturé par la statue, il est libre. Il est au-dessus de la séparation des chemins si bien qu’on doit passer le long, sous sa hauteur.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 33.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
percé

Entre femme et homme depuis peu l’hostilité s’est installée. Hommes et femmes sont de nos jours sans exception brouillés. Moi, par exemple, depuis bien longtemps, c’est à peine si j’ai un ennemi — et, quant à moi, cela ne peut plus être le cas —, mais s’il y en a un, c’est une femme. Non seulement on ne nous aime plus, mais on nous combat. Et si l’amour entre en jeu il ne sert plus qu’à entretenir la guerre. Tôt ou tard la femme qui t’aime sera d’une façon ou d’une autre déçue par toi, et tu ne sauras même pas pourquoi. Elle t’aura, comme elle va l’expliquer, percé à jour, mais sans te dire en quoi elle t’a percé à jour. Et à aucun moment elle ne te laissera oublier que tu es percé à jour, car elle ne te laisse presque jamais seul, en tout cas bien moins qu’auparavant dans le jeu de l’amour. Elle est continuellement présente, c’est à peine si tu peux encore échapper au mal qu’elle pense de toi. Toi-même tu ne te penses pas en hâbleur, menteur et tricheur, et tu aimerais être un homme bon, comme à votre début. Mais tu es contraint de te voir comme tout cela dans et par ses yeux, qui à partir de maintenant ne te lâchent plus, et dans lesquels, quoi que tu fasses ou ne fasses pas, ce sera une confirmation de sa mauvaise opinion et de son amère déception. Fais ce que tu veux : tu es et restera celui qui est percé à jour.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, pp. 119-120.

David Farreny, 19 fév. 2014
chevillard

CHEVILLARD : Boucher d’abattoir qui vend sa viande en gros ou demi-gros, prétend le dictionnaire, c’est mal me connaître : je vends très peu, toujours au détail. Vraiment, on se demande parfois quels historiographes incultes ou négligents se chargent de rédiger les notices consacrées aux grands hommes.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 167.

Cécile Carret, 9 mars 2014
estimation

La philosophie humaine est, comme telle, la philosophie d’un individu particulier revue par celles des autres, même celles des fous, et corrigée selon les règles d’une estimation raisonnable issue des degrés de probabilité.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 121.

David Farreny, 23 oct. 2014
tour

Très vite, le premier tour est bouclé et, dès lors, on ne fera plus que suivre ses propres traces.

Éric Chevillard, « dimanche 17 septembre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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