je

Seul ce Je rend possible la déclinaison du monde : car Tu, Il, Elle, Nous, Vous, Ils et Elles déclinent autant de modalités de l’altérité. L’autre intime, tutoyé, proche ; le tiers plus lointain ; l’ensemble des Je associés dans un projet commun ; le tiers intime ; les lointains assemblés. Une relation avec l’autre est impossible à construire si la saine relation entre soi et soi qui construit le Je, n’existe pas. Une identité défaillante, ou absente à elle-même, interdit l’éthique. Seule la force d’un Je autorise le déploiement d’une morale.

Tout Je qui n’est pas voulu, travaillé, par une puissance, taillé par une énergie, se constitue par défaut avec tous les déterminismes qui prennent la place.

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 102.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
paresseuse

Ou bien on allait à la pêche, pour manger des haricots verts en salade dans de la vaisselle en aluminium, sous ces arbres encore plus beaux de s’appeler des charmes. Palpitante d’éclats, de reflets, d’obscurités, hâtive ou paresseuse, la Meurthe remuait doucement les feuillages comme une femme qui se déshabille. On voulait tout saisir. Les ablettes rejetées dans l’herbe y luisaient comme des clés vivantes, et un éboulement insensible et tendre nous emportait.

Jacques Réda, L’herbe des talus, Gallimard.

Cécile Carret, 20 mai 2007
dégoût

Donc, tu ne dois pas penser que je renie ceci ou cela, je suis un espèce de fidèle dans mon infidélité, et quoique étant changé, je suis le même, et mon tourment n’est autre que ceci : à quoi pourrais-je être bon, ne pourrais-je pas servir et être utile en quelque sorte, comment pourrais-je en savoir plus long et approfondir tel et tel sujet ? Vois-tu, cela me tourmente continuellement, et puis on se sent prisonnier dans la gêne, exclu de participer à telle ou telle œuvre, et telles et telles choses nécessaires sont hors de la portée. À cause de cela on n’est pas sans mélancolie, puis on sent des vides là où pourraient être amitié et hautes et sérieuses affections, et on sent le terrible découragement ronger l’énergie morale même, et la fatalité semble pouvoir mettre barrière aux instincts d’affection, et une marée de dégoût qui vous monte. Et puis on dit : «  Jusqu’à quand, mon Dieu !  »

Vincent van Gogh, « Le Borinage, juillet 1880 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 99.

David Farreny, 15 juin 2009
dyade

Je-t-aime est sans ailleurs. C’est le mot de la dyade (maternelle, amoureuse) ; en lui, nulle distance, nulle difformité ne vient cliver le signe ; il n’est métaphore de rien.

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 176.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
spirites

À l’aube, des disputailleries de corvidés sur une grue voisine, nettement audibles dans le demi-sommeil. À ces cris qui semblaient parfois excédés d’en être réduits à l’inarticulé, sont venus se superposer des lambeaux de rêves qui, pour tâcher de leur donner un sens, proposaient d’y voir quelque chose comme la naissance d’un langage — voire du langage lui-même. Le réveil a remis les choses en place en démontant brutalement l’ingénieux petit échafaudage mental. « Les spirites ne travaillent pas au soleil » (P. Valéry).

Gilles Ortlieb, « Vraquier », « Théodore Balmoral » n° 68, printemps-été 2012, p. 98.

David Farreny, 19 mars 2013
choses

ces choses anciennes dont on ne parle plus

quelques-unes d’hier et d’autres

jetées dans les égouts avec les vieux mégots

— vécu jeté aux quatre vents

nous avançons ensemble, il fait hiver, il gèle

ensemble il nous faudra engendrer l’avenir

ensemble nous tendons la main, la Seine coule

que sommes-nous ? le vent m’emporte

n’êtes-vous que des fables comme tout ce qui a

été, oh ! choses à peine croyables, et pourtant

un temps viendra où moi je ne serai

qu’une fable une sorte absurde de secret

mythique, existence qui exista, où donc ?

en quel siècle ? la Seine coulait en ce pays

elle charriait encore des cadavres, des dieux

et quelques vieilles, vieilles superstitions étranges

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 259.

David Farreny, 3 juil. 2013
arc

Mais comme il est arrivé aussi, dans les chaleurs du sud, qu’on manque de pierres parmi les sables, on a inventé la brique pour se construire d’abord des temples et des palais, des remparts et des ziggourats, puis tout naturellement des ponts. Le recours à cette brique permettant de nouveaux équilibres et supposant de nouveaux systèmes de construction, on a fini par imaginer l’arc, quelque sept mille années avant Gluck. L’arc est assurément ce qu’on a trouvé de mieux, ce qui allait tout changer, c’était une invention avec laquelle on était loin d’en avoir fini, il y en a quelques-unes comme ça dans le genre de la roue.

Jean Echenoz, « Génie civil », Caprice de la reine, Minuit, p. 59.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
réfringent

Enseigne-moi comment donner de la force à mes décisions salutaires, enseigne-moi à vouloir sérieusement ce que je veux, enseigne-moi la persévérance lorsque les tempêtes du destin ou que le revers d’une main balaient la construction de trois années. Enseigne-moi à parler au cœur des hommes sans que mon propos ne change de direction en traversant le centre réfringent de leur système d’opinions.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 202.

David Farreny, 11 déc. 2014
partager

Le partage final n’est pas entre homos et ceux que ceux-ci appellent hétéros (être un hétéro, c’est être quelqu’un qui accepte que les homos le baptisent, ce qui est tout de même assez gratiné). Il est entre ceux qui demandent l’enfant et ceux qui le refusent. La majorité des homos demandent l’enfant.

Philippe Muray, « 30 juin 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 556.

David Farreny, 3 juin 2015
imaginer

Je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé si je n’avais pas été là pour prendre la fuite !

Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 6 mars 2024

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