cuve

D’abord il l’épie à travers les branches.

De loin il la humine, en saligoron, en nalais.

Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.

Ça le soursouille, ça le salave,

Ça le prend partout, en bas, en haut, en han, en hahan.

Il pâtemine. Il n’en peut plus.

Donc, il s’approche en subcul,

l’arrape et, par violence et par terreur la renverse

sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.

Il la déjupe ; puis à l’aise il la troulache,

la ziliche, la bourbouse et l’arronvesse,

(lui gridote sa trilite, la dilèche).

Ivre d’immonde, fou de son corps doux,

il s’y envanule et majalecte.

Ahanant éperdu à gouille et à gnouille

— gonilles et vogonilles —

il la ranoule et l’embonchonne,

l’assalive, la bouzète, l’embrumanne et la goliphatte.

Enfin ! triomphant, il l’engangre !

Immense cuve d’un instant !

Forêt, femme, terre, ciel animal des grands fonds !

Il bourbiote béatement.

Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu’un rêve !

« Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond…

et léger comme une plume, Madame. »

Henri Michaux, « Rencontre dans la forêt », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 416.

David Farreny, 20 mars 2002
immoralité

Nous appelons escroc le joueur qui a trouvé le moyen de jouer à coup sûr ; comment nommerons-nous l’homme qui veut acheter, avec un peu de monnaie, le bonheur et le génie ? C’est l’infaillibilité même du moyen qui en constitue l’immoralité, comme l’infaillibilité supposée de la magie lui impose son stigmate infernal.

Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Robert Laffont, p. 256.

David Farreny, 22 mars 2002
Kraken

En 1752, le Danois Éric Pontoppidan, évêque de Bergen, publia une célèbre Histoire naturelle de Norvège, œuvre très accueillante et crédule ; dans ses pages on lit que le dos du Kraken a un mille et demi de longueur et que ses bras peuvent étreindre le plus grand navire. Le dos émerge comme une île ; Éric Pontoppidan en arrive à formuler cette règle : « Les îles flottantes sont toujours des Krakens. »

Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Gallimard, p. 137.

David Farreny, 22 mars 2002
ennuyer

Il m’ennuyait et ne se faisait pas d’illusion à ce sujet ; exhalant tout le fatalisme d’un homme qui ne peut pas ne pas ennuyer, il se tenait au pied du mur et tout cela était stérile au possible, vain. Il insistait : « Rappelle-toi », mais je savais qu’il insistait par ennui, ce qui m’ennuyait.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 69.

David Farreny, 15 fév. 2004
personne

Un homme à qui personne ne plaît est bien plus malheureux que celui qui ne plaît à personne.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 106.

David Farreny, 22 oct. 2004
sous-politique

Chiqué et cabrioles sur escarpins glacés, l’exaltation sous-politique a permis aux plus indigents de se croire dans l’intelligence de l’histoire, avant de sombrer ou dans la syncope collective ou dans le putanat arrosé de muscadet gratuit.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 71.

David Farreny, 1er janv. 2006
branle

Il est toujours très difficile de se couper de tout. Ne fût-ce qu’un lundi matin, quand toutes et tous, après un café trop fort avalé debout, ayant passé sous le joug une tête bouffie, se sont rués sur manettes et boutons pour que reprenne sans faute le branle absurde.

Le monde non utilitaire en reste comme hébété. Secoué de vrombissements sourds, il fait de la présence ; il dérangerait presque, sa mauvaise conscience est certaine. J’ai pour ma part « en charge » quelques toits de bâtiments publics, un énorme tilleul, et une petite portion de la rive droite du canal du Berry.

Bien sûr ce n’est pas une profession, ni même une activité. Mais je les assure d’une bienveillance, d’une humaine connivence. Deux hectomètres plus loin, quelqu’un d’autre prend le relais. Sans doute une vieille sur une chaise dépaillée, ou bien quelque grand fils trentenaire qu’on dit déficient intellectuel léger.

Jean-Pierre Georges, « En charge », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 20.

David Farreny, 31 mars 2008
saoulent

Mercredi – […] Arrivée près du parc, j’appelle marronniers les platanes de l’avenue avant de découvrir un vrai marronnier près de l’entrée. Oh, ah, enfin. Bousculade, applaudissements, lancer de fusées. Des bosquets et des arbres anonymes aux milliers de nuances, feuilles cannelées, dentelées, simples, frangées, lisses ou piquantes, saoulent. Elles s’amoncellent encore mais sans plus se fondre comme avant, quand j’étais sans mots.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 17.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
coûteux

Retour dans l’obscurité brumeuse. Nous parlons de la rupture opérée par l’exil, les études, entre nos vies antérieures et celle, tendue, toute pensive, que nous tentons d’inventer, au loin. Derrière nous, une sorte d’éternité, l’obscur repos en soi-même dans le cercle étroit des collines, devant, l’espoir coûteux d’y voir plus clair, le soin épuisant de vivre à la hauteur d’un présent que notre petite patrie, fermée, retardataire, n’a jamais soupçonné.

Pierre Bergounioux, « vendredi 30 décembre 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 271-272.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
tordre

Il lui arrivait maintenant de pousser de petits rires, de se tordre littéralement ou bien de frapper dans le bois du lit et de répondre « entrez » sur des tons différents pendant des heures, sans jamais se lasser. De temps en temps il descendait de son lit, montait sur l’armoire et se mettait à ranger les vieilleries pleines de rouille et de poussière.

Bruno Schulz, « La visitation », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 55.

Cécile Carret, 6 déc. 2009
dictionnaire

Michael Johnson, à peine fut-il devenu père de famille, semble avoir perdu son talent pour les affaires, et très vite s’ouvre cette grande et pénible tradition familiale des ennuis d’argent, et même de la grande pauvreté, qui accableront pendant des décennies le fils aussi bien que le père. Même le Grand dictionnaire de la langue anglaise, le plus sûr titre de Johnson, avec son édition de Shakespeare et la Vie de Johnson, au souvenir de la postérité, est une œuvre de commande entreprise dans l’espoir d’arriver enfin, grâce à elle, à joindre les deux bouts pour souffler un peu. S’il veut définir fastidieux, Johnson donne comme exemple, dans son dictionnaire :

« Il est fastidieux d’écrire des dictionnaires. »

Renaud Camus, « Breadmarket Street, à Lichfield, Staffordshire. Samuel Johnson », Demeures de l’esprit. Grande-Bretagne I, Fayard, p. 275.

David Farreny, 5 juin 2010
absolu

Il épouse la fille pour sa dot puis la mère pour l’héritage. Il s’éclaire la nuit avec les yeux des chats dont les peaux cousues couvrent son dos voûté sur l’ouvrage. Il n’est rien de sacré pour Dino Egger que le but absolu qu’il s’est fixé. Sa main plonge dans la sébile de l’aveugle – il a faim.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 95.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
acquiert

L’autorité de la chose imprimée ne laisse de m’étonner.

Les mous et les lâches se raffermissent en se faisant imprimer, semble-t-il. Leur pensée confuse acquiert de ce seul fait une netteté et une sûreté trompeuses, et de même l’invertébré coulé dans le ciment se tient tout de suite beaucoup plus droit. Pour autant, la confusion demeure, ainsi appareillée plus néfaste encore, les maladresses d’écriture passent pour de folles audaces formelles, le poète écroulé dans son vomi s’est juste autorisé quelques licences comme il en a traditionnellement le droit, et toute combinaison singulière de négligences et de grossièretés se donne pour un style original. Mais, si la chose imprimée inspire un tel respect, que dire alors de la chose brodée ?

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 63.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
mobilisation

Il est connu qu’une mobilisation générale soulage les hommes, qui ne sont heureux de se retrouver, de vivre ensemble, qu’en état de guerre, que si l’absurde les concerne tous. La paix n’est jamais supportable.

Georges Perros, « Tête à tête », « Les cahiers du chemin », numéro 5, Gallimard, p. 58.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013

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