contradiction

Il y a contradiction dans toute existence ; mais le désordre ne la résout pas — et l’ordre, en tout cas, la respecte.

Henri Thomas, Londres, 1955, Fata Morgana, p. 11.

David Farreny, 13 avr. 2002
sourdement

Mes bras, mes doigts, je peux les dénombrer ainsi que, plus sourdement, mes entrailles.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 160.

David Farreny, 15 nov. 2002
Autre

C’est de la mise en vedette de ses ennemis qu’Homo festivus tire la plus belle part de son pouvoir, et la plus durable. En festivosphère, c’est-à-dire dans cet Empire qui a perdu son Autre, son opposé, ses opposants, ses antagonistes, ses contradicteurs, et où même les vieilles notions de distance, d’écart, d’éloignement n’ont plus guère de signification, les discordances doivent être recréées comme le reste. Elles doivent être reconstruites de toutes pièces, puis conservées précieusement à titre de dangers protégés, parce que cet Empire a besoin de repoussoirs pour qu’on l’apprécie à sa juste valeur ; et de marges assez sordides pour dissuader quiconque d’avoir la tentation de le critiquer de l’extérieur : seule la critique interne, solidaire du « système », lui paraît encourageable.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 114-115.

David Farreny, 19 janv. 2008
voit

Si l’on suppose une affinité entre les lieux et les gens, il était prévisible que François Bon passerait un jour par Syam. C’est dans les pages qu’il a écrites à cette occasion que se dégage la vérité approchée, double, sentie et significative d’un travail qui demandait, pour être dit, établi dans sa totalité, un être divisé, touchant par une part de son expérience et de son ascendance au monde industriel et, par l’autre, à l’ordre des symboles. Lorsqu’on vient après lui, on voit le pas complexe que dessinent, sur le pavement de fonte, les chaussures mouillées des ouvriers, certain mouvement de tout le corps qui accompagne l’insertion du lopin entre les cylindres, les entretoises en bois, serrées par des tendeurs de bicyclette, sur l’arbre de transmission, la barre de métal — bête vaincue traînée à main d’homme sur le vieux sol — juste avant la passe de finition.

Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 64.

Élisabeth Mazeron, 3 fév. 2008
hauteur

Il faut se fixer des idéaux atteignables quand on ne saute pas deux mètres cinquante en hauteur de vue.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 10.

David Farreny, 9 juin 2008
substance

Nous eûmes bientôt descendu nos bagages, que nous laissâmes au milieu du salon le temps de faire nos adieux à Simone. […] Il l’embrassa, Kontcharski lui tendit une main, puis moi la mienne. Nous la remerciâmes chaudement. Nous la regardâmes, avant de nous détourner vers la porte, avec la sensation d’oublier quelque chose. Elle, peut-être. Elle nous accompagna jusqu’à la voiture, finalement, de sorte que nous refîmes nos adieux, toutes portières ouvertes, et que de nouveau nous la remerciâmes, à l’aide de « Merci encore » qui manquaient un peu de substance. Bientôt, nous fûmes partis.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 77.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
troussait

Ce bâton en travers d’épaules me parut propre à d’autres proies : j’y crus voir garrotté sous des nylons froids que la posture troussait, au lieu du poil roux celui, tout noir et cru, moussant aux cuisses épaisses de cette garce. Je courais tout à fait, j’en avais le prétexte ; des joncs se brisaient sous mes pieds ; l’air à mes oreilles m’étourdissait ; sortie du bois par une sente infime, toute droite et peut-être effrayante comme Ysengrin le connétable, âpre comme sa louve, elle était là à deux pas de moi debout, telle qu’en courant j’aurais pu la heurter. Elle me parut géante. Je m’arrêtai court.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
pensent

Je veux leur faire approcher et sentir la vérité, percer les petits mensonges, faire pièce aux grands. Puis ils rencontrent le peintre Vann Nath, un des rares survivants du centre, qui est calme et juste.

Filmer leurs silences, leurs visages, leurs gestes : c’est ma méthode. Je ne fabrique pas l’événement. Je créé des situations pour que les anciens Khmers rouges pensent à leurs actes. Et pour que les survivants puissent dire ce qu’ils ont subi.

Je pose les mêmes questions aux bourreaux. Dix fois, vingt fois s’il le faut. Des détails apparaissent. Des contradictions. Des vérités nouvelles. Leur regard hésite ou fuit. Bientôt, ils diront ce qu’ils ont fait. L’un d’eux se souvient avoir torturé à une heure du matin ? Nous nous retrouvons à cette heure à S21. Lumière artificielle. Chuchotements. Une moto passe. Autour de nous, des crapauds-buffles ; des frôlements dans la nuit ; une famille de hiboux.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 18.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
lecteur

Les oiseaux braillent si fort, et parmi eux des chieurs, des lâcheurs de fientes, même en plein vol, qu’il les entend à l’intérieur de l’habitacle pourtant toutes glaces levées.

Il baisse la sienne.

Il les entend nettement plus fort.

Vous êtes sûr ? m’écrit un lecteur.

Échange de courrier.

Bon, allez, faut avancer, se dit-il.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 25.

Cécile Carret, 2 mars 2012
mot

Le lecteur, dans ces après-midis passés sur le haut plateau, ne cessait de payer un tribut toujours renouvelé à l’épopée – et aussi de rire : non du rire par lequel on se moque, mais de celui qui accompagne la découverte et le jeu. Oui, il existait, le mot unique pour le coin de clarté dans un ciel nuageux, les folles allées et venues des bovins quand le taon les pique par temps de canicule, le feu qui soudain jaillit du poêle, le jus des poires cuites, la tache sur le front d’un taureau, l’homme qui essaie de se dégager de la neige à quatre pattes, la femme qui met ses robes d’été, le clapotis du liquide dans un seau à moitié vide, le ruissellement de la semence quittant la capsule du fruit, le ricochet du galet à la surface de l’étang, les langues de glace sur l’arbre hivernal, l’endroit trop cru de la pomme de terre bouillie et la flaque sur un sol argileux. Oui, c’était cela, le mot !

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 162.

Cécile Carret, 21 sept. 2013
who

On a pris le thé : en trente-quatre ans de la vie de Madu, c’était la première fois, ainsi aux portes de Bombay, qu’un blanc entrait au village. Et des têtes passaient à la porte, se découpant à contre-jour : « My friend Bonn, of America… » À la troisième ou quatrième fois, je lui ai demandé pourquoi l’Amérique. Que moi c’était la France, en Europe : « Because, for us in India, atcha : America and Latin America, same thing… » Et parce qu’on était dans la confidence, une dizaine de bonshommes par terre et la chaise vide au milieu, il m’a demandé comment je priais Jésus. J’ai dit ne pas prier. « Atcha. I know that. I pray at morning, before my wash. Ad you, that’s Sunday, only at Sunday… » J’ai dit encore que non. « So, you’re a jew ? » Que non encore. Alors sa voix : « Listen : but who brings you happiness ? »

François Bon, Les Indes noires.

David Farreny, 23 sept. 2013

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