louche

Les crêtes, les ravins, les fronces de la zone métamorphique, l’eau glacée qui sourd, les étangs de plomb, les tourbières, la clarté louche que filtre le taillis, les rampes bossuées dissuadent d’aller.

Pierre Bergounioux, « Sauvagerie », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 16.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
fin

Quand tout se confond sous la neige et semble mort, qu’on pressent le fin mot de l’affaire et celui de la fin — à savoir qu’on est sur les mauvaises terres que le jeu de forces aveugles, des fatalités statistiques, la pression démographique et la rente différentielle, peuplent et désaffectent alternativement, livrent aux bois, aux hommes et puis aux bois —, un filet de fumée bleue s’élève du toit duveteux, immaculé.

Pierre Bergounioux, Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 98.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
vomir

Me réjouir ? Vomir ?

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 96.

David Farreny, 15 fév. 2004
capter

Il lui semblait que jamais personne ne lui avait prêté une attention aussi soutenue, aussi polie et amicale. Tout le monde s’était tu alentour. La mère de Charlotte, immobile, courbée, serrait le saladier sur son ventre, et ainsi semblait en prière, recueillie pour mieux absorber les paroles d’Herman. Un petit sourire bienveillant soulevait délicatement le coin des lèvres de Métilde. Herman exulta de se sentir pathétique : l’avait-il jamais été pour quiconque, avait-il été, seulement une fois, émouvant ? Alors la pensée de Rose devenait fort abstraite, supplantée par le plaisir intense d’attirer à lui la sympathie de ses voisines, et de capter leur esprit encore inconnu et obscur.

Marie NDiaye, Un temps de saison, Minuit, pp. 58-59.

David Farreny, 18 déc. 2005
littérature

La littérature c’était quelqu’un.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 123.

David Farreny, 1er janv. 2006
interstitiel

Je suis en train d’étendre la lessive, derrière la maison, qui jouxte un bois communal, en fin d’après-midi. Il se produit un froissement et l’épais roncier, tout près, s’ouvre sur une énorme bête noire – le mot est venu tout seul, tout bas – qui s’immobilise à dix pas de moi, une chemise mouillée à la main, la pince à linge dans l’autre. L’animal me jette un regard, marque un temps d’arrêt, puis me jugeant inoffensif, négligeable, se met à trottiner sur les petits sabots qui lui font une démarche de ballerine mais qui, au lieu d’un corps élancé, nimbé de taffetas blanc, serait encombrée d’une lourde carcasse en forme de coin, hérissée de longs poils rêches et pourvue, avec ça, d’une paire de fortes défenses jouant sur les grès. J’ai pensé que mon visiteur allait s’évanouir aussi soudainement qu’il avait surgi, que le temps interstitiel, latéral ou rêvé qui nous remet en présence des bêtes, était déjà écoulé. Pas du tout. Il faisait des pointes autour du fourré, reprenait sa danse et j’ai fait la même constatation qu’avec le chevreuil que j’avais tenu, lui, en joue, avant de le laisser aller. La même créature d’un noir intense, comme encrée ou taillée dans de la nuit, adoptait, l’instant d’après, la teinte terne du sous-bois. Le quintal de muscles, au bas mot, qu’elle pesait, s’était évanoui. Puis l’œil, qui projetait un peu au hasard sa forme sauvage, devant lui, la voyait se remplir un peu plus loin, affairée, comique, obstinée. L’animal a tourné un quart d’heure sous mon nez. J’ai pensé qu’il allait se bauger dans les ronces, qu’on passerait la nuit à quelques pas l’un de l’autre, en paix. Mais quelque chose ne lui convenait pas. Il a grogné puis, sans hâte, s’est perdu dans le sous-bois. Voilà.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 46.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
inéluctables

On ne sait pas qui l’on est mais on sent bien que la place n’est pas libre, le choix indifférent. Il y a quelque chose avec quoi il faut compter, des antécédents ignorés, inéluctables, une profondeur vertigineuse au creux des instants. Des âmes s’entremêlent à la nôtre, sont elles quand nous n’avons pas encore fait réflexion que nous sommes.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 24.

Élisabeth Mazeron, 7 mai 2010
travaille

Car c’est là l’essentiel, Rossmann : ne pas déranger Brunelda. Elle entend tout, c’est sans doute le chant qui lui a ainsi aiguisé les oreilles. Tu es, par exemple, en train de rouler le baril d’eau-de-vie qui est derrière les armoires pour le sortir de l’appartement, et, naturellement, tu fais un peu de bruit d’abord parce qu’il est lourd et ensuite parce qu’il y a là toutes sortes de choses qui t’empêchent de le rouler d’un seul coup jusqu’à la porte ; pendant ce temps, disons que Brunelda est couchée sur le canapé et qu’elle travaille à attraper des mouches, car les mouches la gênent affreusement ; tu te figures donc qu’elle ne s’inquiète pas de toi, et tu continues à rouler ton tonneau, elle reste couchée tranquillement ; mais au moment où tu ne t’y attends plus, et où tu fais le moins de bruit, elle s’assied tout d’un coup et frappe le canapé jusqu’à ce qu’on ne se voie plus à force de poussière, — je n’ai pas battu le canapé depuis que nous sommes ici, je ne peux pas puisqu’elle est toujours couchée dessus —, et la voilà qui se met à pousser des cris horribles, des cris d’homme des heures durant. Les voisins lui ont bien défendu de chanter, mais personne ne saurait l’empêcher de crier, il faut qu’elle crie ; d’ailleurs maintenant, c’est devenu moins fréquent car, avec Delamarche, nous nous surveillons sévèrement. Et puis, ces hurlements lui faisaient beaucoup de mal. Une fois, elle s’est évanouie et, comme Delamarche était justement là, j’ai dû appeler l’étudiant d’à côté qui l’a arrosée avec le liquide d’une grande bouteille ; il a parfaitement réussi, mais cette drogue avait une odeur insupportable qu’on sent encore en tournant le nez vers le canapé. Cet étudiant est certainement notre ennemi, comme tout le monde dans la maison ; aussi fais-y bien attention et ne te laisse aller à parler à personne.

— Mais, voyons, Robinson, dit Karl, voilà un service bien pénible ! Le joli poste pour lequel tu m’as recommandé là !

Franz Kafka, « L’oublié », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 197-198.

David Farreny, 17 mars 2011
approche

Des lapins mystérieux qui filent en fusée dans les taillis brumeux annoncent l’approche du soir et la forêt allemande.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 41.

Cécile Carret, 18 juin 2012
invisiblement

Puis c’étaient de nouveau des châteaux, nichés sur de hautes pointes rocheuses, et des cloîtres, sombres anneaux de murailles autour desquels dans les étangs à carpes la lumière scintillait comme sur des miroirs.

Quand du haut de notre siège élevé nous regardions les séjours que l’homme a bâtis pour y cacher sa vie, son bonheur, ses nourritures, ses religions, alors tous les siècles fondaient à nos yeux en une seule réalité.

Et les morts, comme si les tombes s’étaient ouvertes, surgissaient invisiblement. Ils nous environnent dès que notre regard se pose avec amour sur une terre à l’antique culture, et tout comme leur héritage est vivant dans la pierre et le sillon, leur âme très ancienne est présente sur les terres et les campagnes.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 44.

Cécile Carret, 27 août 2013
épuisé

Notre psychologie finira par s’immobiliser pour devenir un matérialisme subtil, car nous avons toujours plus à apprendre d’un côté, celui de la matière, et de l’autre, nous avons épuisé toutes les possibilités.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 300.

David Farreny, 20 fév. 2015

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