Je déteste les drogues. Mes hallucinations habituelles sont bien assez monstrueuses, Hadès en soit loué ! Objectivement considéré, je n’ai jamais vu un esprit aliéné plus lucide, plus solitaire et plus équilibré que le mien.
Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 148.
La musique est une pratique occulte de l’arithmétique dans laquelle l’esprit ignore qu’il compte. Car, dans les perceptions confuses ou insensibles, l’esprit fait beaucoup de choses qu’il ne peut remarquer par une aperception distincte. On se tromperait en effet en pensant que rien n’a lieu dans l’âme sans qu’elle sache elle-même qu’elle en est consciente. Donc, même si l’âme n’a pas la sensation qu’elle compte, elle ressent pourtant l’effet de ce calcul insensible, c’est-à-dire l’agrément qui en résulte dans les consonances, le désagrément dans les dissonances. Il naît en effet de l’agrément à partir de nombreuses coïncidences insensibles.
Gottfried Wilhelm Leibniz, lettre à Christian Goldbach, 17 avril 1712.
L’ennui est, pour ainsi dire, le désir du bonheur laissé à l’état pur.
Giacomo Leopardi, « feuillet 3715 », Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.
Ce qu’il y a d’admirable dans le bonheur des autres, c’est qu’on y croit.
Marcel Proust, « lettre à Antoine Bibesco », Correspondance.
Windisch presse son visage contre la vitre. Au mur du compartiment une photo de la mer Noire. L’eau est calme. La photo se balance. Elle est du voyage.
Herta Müller, L’homme est un grand faisan sur terre, Maren Sell, p. 118.
Que devient le corps intouché ?
Il essaie de s’oublier lui-même, dans la bonne santé, qui par définition est silencieuse et ne tourmente pas, ou dans les afflictions et les maladies, qui l’occupent.
On s’occupe de lui, qui est devenu notre enfant et dont on est responsable, comme on a appris à le faire (dans l’enfance, ou en devenant adulte, quand il fallu se rendre présentable ou désirable), on le lave sans s’attarder, on l’apprête un minimum, on se nourrit en le nourrissant.
Ou le corps s’abandonne peu à peu, avec notre complicité, il se résigne. Il s’habitue à mourir à lui-même. Il s’éloigne de soi. Il n’y pense pas (on n’y pense pas).
Le corps se désintéresse de la chose, laissant l’esprit seul avec les stimulations diverses, ce qu’on voit, ce dont on se souvient avec regret ou amertume.
Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 67.
Je n’ai rien fait de toute la journée, avec une constance et une opiniâtreté de moine tibétain ; j’ai entendu sonner toutes les heures, et même les demies. Exactement comme dans ma jeunesse : le vide absolu. Sauf que je n’ai pas la vie devant moi. Je n’ai rien devant moi.
Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (2) », « Théodore Balmoral » n° 68, printemps-été 2012, p. 138.
Comment démontrer à une femme qu’elle perd moins en n’ayant pas d’enfant, que l’homme en s’en faisant faire ?
Philippe Muray, « 22 juin 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 101.