prémonition

Qu’est-ce que le passé, sinon une intense prémonition de l’inévitable ?

Geoff Dyer, La couleur du souvenir, Joëlle Losfeld, p. 207.

David Farreny, 23 mars 2002
avant

Tout se mélange. Il n’y a pas la vie d’un côté, la mort de l’autre. Il n’y a pas ici la raison, et la folie sur cette autre rive, en face, bien séparée. Il n’y a même pas la santé, qui un beau jour s’arrêterait d’un coup, pour faire place à la maladie. Très avant dans le territoire du chagrin, le bonheur a encore ses enclaves, ses bons moments, ses rémissions.

Renaud Camus, Vie du chien Horla, P.O.L., p. 111.

David Farreny, 28 juin 2003
géométrique

Toutes ces citations ne plairont pas à tous, et celui qui les propose est sans doute le seul lieu géométrique du plaisir et de l’intérêt que chacune contient.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 63.

David Farreny, 11 sept. 2004
scories

Cycle des scories, le dernier : le nôtre, le gauchisme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 44.

David Farreny, 1er janv. 2006
contrecoup

Je reprends la plume et pose bientôt le point final. Quatre mois de travail. Il aurait fallu faire plus long. J’ai repoussé de nombreux possibles, élidé des incidentes, mu par l’inavouable désir d’être quitte de la peine d’écrire. Et comme si ce n’était pas assez de ce remords qui empoisonne la fin que je viens d’atteindre, la paix que j’escomptais, j’ouvre sottement Lumière d’août, pour voir, comme ça, de combien d’années-lumière je suis éloigné de la perfection à laquelle Faulkner s’est élevé il y a déjà un demi-siècle. Le contrecoup me laisse en morceaux.

Pierre Bergounioux, « jeudi 25 septembre 1986 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 534.

David Farreny, 20 avr. 2006
habitudes

Telles sont les aventures sur place de celui qui les voit venir, avant qu’elles ne se produisent, la nature étant lente comme on le sait, si lente, si engoncée dans ses habitudes qu’on croirait presque à des lois.

Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 719.

David Farreny, 15 juin 2006
pluie

La porte de verre battante d’une galerie commerciale à carrelage terne et quand on entre c’est la sensation de chaleur à l’air pulsé et une musique qui pourtant ne couvre pas le bruit de fond des pas, des voix et des appels ; un bâtiment en travaux empiétant sur le trottoir et on longe une palissade de bois avec par terre des planches pour éviter la boue ; ou simplement l’attente devant un passage piétons, le feu des voitures étant au vert et elles rapides et méchantes sur le bitume lisse et gris, sombre de pluie, on attend.

François Bon, « Un bruit dessous de machine », Tumulte, Fayard, p. 16.

David Farreny, 1er mai 2008
adresse

Aucune illumination pour moi, enchaîné par moi-même, c’est-à-dire par la seule force qui puisse me libérer. Alors comment faire ? Se détruire en laissant une adresse où se retrouver. Quelle adresse ? Qui a mon adresse ? Qui saura tout ce que j’ai su ?

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 140.

Cécile Carret, 28 juin 2012
mais

Il est un temps où l’on constate que l’on n’a soi-même pas agi autrement. Ce n’est pas vengeance, mais orgueil et refus de se sacrifier. On ignore la beauté du geste. Il me semble que j’ai davantage fait souffrir que je n’ai souffert. J’ai su me préserver des états pénibles. Ils ont pensé lâcheté. Je suis lâche et m’en targue. Je me refuse à toute responsabilité. Mais le vide m’attend.

Bernard Delvaille, « Feuillets », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 10.

David Farreny, 13 août 2012
ou

J’avais espéré satisfaire un peu mon amour pour elle en lui donnant mon bouquet, c’était complètement inutile. Cela n’est possible que par la littérature ou le coït. Je n’écris pas cela parce que je l’ignorais, mais parce qu’il est peut-être bon de mettre fréquemment les avertissements par écrit.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 147.

David Farreny, 13 oct. 2012
choses

ces choses anciennes dont on ne parle plus

quelques-unes d’hier et d’autres

jetées dans les égouts avec les vieux mégots

— vécu jeté aux quatre vents

nous avançons ensemble, il fait hiver, il gèle

ensemble il nous faudra engendrer l’avenir

ensemble nous tendons la main, la Seine coule

que sommes-nous ? le vent m’emporte

n’êtes-vous que des fables comme tout ce qui a

été, oh ! choses à peine croyables, et pourtant

un temps viendra où moi je ne serai

qu’une fable une sorte absurde de secret

mythique, existence qui exista, où donc ?

en quel siècle ? la Seine coulait en ce pays

elle charriait encore des cadavres, des dieux

et quelques vieilles, vieilles superstitions étranges

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 259.

David Farreny, 3 juil. 2013
moule

Chaque genre littéraire obéit à des principes qui ont fait leurs preuves et qu’il suffit de suivre, en effet, ou d’appliquer pour produire un récit qui en relève et l’illustre idéalement, tant il est vrai qu’il faut être bien maladroit pour rater une gaufre quand on possède un moule à gaufres. L’écrivain abdique ce faisant une liberté dont il ne savait sans doute comment user pour un confort si plaisant que l’on peut s’étonner de ne jamais voir l’oie pareillement se déplumer les ailes à coups de bec afin de garnir un coussin où reposer sa petite tête stupide.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 108.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
imaginations

Au nombre des impressions qui accompagnaient mes lectures, celle, souvent, que l’auteur se montrait moins soucieux de m’ouvrir son monde que de ruiner le mien. Une phrase sur deux, lorsqu’elles me parlaient, parfois, avait une allure de paradoxe, prenait le contre-pied de ce que je pouvais croire encore. Combien de fois n’ai-je pas levé la tête, les joues gonflées, le front plissé, la cervelle meurtrie comme l’arrière-train par le banc de chêne, me demandant s’il y avait lieu de prendre pour bon ce que racontait le livre ou de rester sur ma position ? C’est alors que l’avis d’un adulte aurait été nécessaire. Mais il suffisait de les voir, paisibles, un peu renfrognés, fermés aux signes de plus en plus nombreux, pressants, redoutables qui nous parvenaient du dehors, sûrs d’eux-mêmes, de la réalité et je ramenais mes yeux sur la page, les joues toujours distendues, l’intersourcilier froncé.

Il ne m’aurait pas coûté, comme à mes voisins de table, de passer par profits et pertes les opinions que j’avais reçues, par la force des choses mais auxquelles, par la force d’autres choses ou, plus précisément, de leur signe, je n’adhérais pas vraiment. Mais, si mal que ce soit, elles étaient gagées sur des choses, des murs de pierre, des êtres de chair et de sang, des paysages fortement contrastés, des moments tandis que celles que je tirais des livres ne renvoyaient à rien de tangible, d’éprouvé. Il se pouvait que le papier en épuise toute la réalité et on ne bâtit pas sur des imaginations.

Pierre Bergounioux, Hôtel du Brésil, Gallimard, p. 37.

David Farreny, 22 mars 2024

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