absurdes

Armande avait beaucoup de traits de caractères fâcheux, pas si rares à vrai dire, qu’il acceptait en bloc comme les clés absurdes d’une ingénieuse devinette.

Vladimir Nabokov, La transparence des choses, Fayard, pp. 98-99.

David Farreny, 20 mars 2002
cadavre

Quant à ceux qui se permettent de parler de moi sur un ton ennuyeux, pédant, doctrinal, ils se voient cruellement punis : leur bouche béante, je la remplis jusqu’à ras bord de mon cadavre.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 164.

David Farreny, 20 mars 2002
contradiction

Il y a contradiction dans toute existence ; mais le désordre ne la résout pas — et l’ordre, en tout cas, la respecte.

Henri Thomas, Londres, 1955, Fata Morgana, p. 11.

David Farreny, 13 avr. 2002
solitude

Je crois profondément que la civilisation a été inventée pour rendre possible la solitude.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 327.

David Farreny, 19 mai 2002
rompre

Lazare disait encore : Je suis fatigué de ce pays qui ne peut rien pour un gars comme moi, mais, si je rentre, j’aurai l’impression d’avoir vieilli inutilement alors qu’ici, où il n’y a rien à faire, ma jeunesse s’étire sans se rompre.

Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, p. 249.

David Farreny, 27 déc. 2002
réalité

Ce récit, comme L’orphelin, tient de la protestation idéaliste, malgré moi. Il dénonce ce qu’il énonce, au mépris de la causalité conditionnelle qui fit de ceux dont je parle ce qu’ils furent. Ils ne pouvaient être autres. Telle était la réalité. Mais c’en était une autre, pour immatérielle et mince qu’elle fût, que le déplaisir, la crainte, l’ennui corrosif, l’animosité que j’ai gagnés à leur commerce forcé.

Pierre Bergounioux, « lundi 27 février 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 530.

David Farreny, 18 janv. 2008
pulsions

Bien entendu, les différentes cartes ne coïncident pas. Celle de la Pléiade, par exemple, indique deux Pylos, Pylos des Sables, en Triphylie, à peu près à l’emplacement de Loutra Kaïafa où nous nous sommes baignés, et Pylos de Messénie, beaucoup plus au sud, sur le site du Pylos où se trouvent, d’après le Guide bleu, les vestiges du palais de Nestor. Mais l’index ne signale qu’un seul Pylos, « ville de Triphylie, royaume de Nestor ». C’est à devenir fou, de l’espèce de folie où me plonge le Larousse quand ses divers articles se contredisent (parce qu’ils n’ont pas été rédigés par les mêmes rédacteurs, parce que les historiens ne sont pas d’accord, parce que les limites des provinces ont changé, parce que les mêmes noms ne recouvrent pas d’un siècle à l’autre ou d’une décennie à l’autre les mêmes régions, parce que les diverses divisions administratives, départements, provinces, régions, nomes, diocèses, “pays”, comtés, cantons, ne se recoupent pas, parce qu’un correcteur était distrait et surtout, surtout parce que la réalité est trop complexe pour nos pulsions classificatoires, pour nos taxinomies désespérées, pour notre besoin d’ordre, pour notre manque de temps, pour le sommeil qui nous vient et les insomnies qui nous guettent.

[Interruption : courses. W. est à un cocktail au Grand Palais. Nous devons dîner ici. Il y a une soirée chez une fille américaine que je ne connais pas, rue des Saints-Pères.]

Les livres ne coïncident pas avec le monde, et réciproquement. Les livres ne coïncident pas entre eux. Les pages d’un même livre se contredisent. Ce qui reste à expliquer, c’est pourquoi le vertige qui en résulte, ce vacillement, cette perte sont profondément jouissifs.

Renaud Camus, « vendredi 22 octobre 1976 », Journal de « Travers » (2), Fayard, pp. 1134-1135.

David Farreny, 17 fév. 2008
universel

De tous les bords, tous les journaux (il en est dans toutes les langues et tous les formats) l’annoncent d’un même cœur au monde : l’amour universel, les voies ferrées, le commerce, la vapeur, l’imprimerie, le choléra, embrasseront ensemble tous les pays et les climats. Nul ne s’étonnera si le pin ou le chêne suent le lait ou le miel, ou même se mettent à danser la valse ! Tant la puissance des alambics et des cornues et des machines concurrentes du ciel a crû jusqu’ici et se développera dans l’avenir, puisque, de jour en jour, plus haut s’élève et toujours plus s’élèvera la semence de Sem, de Cham et de Japhet.

Certes, la terre ne se nourrira pas pour autant de glands, si la faim ne l’y force ; elle ne déposera pas le dur soc ; souvent elle méprisera l’or et l’argent pour se contenter de billets. La généreuse race ne se privera pas non plus du sang bien-aimé de ses frères — et même elle couvrira de cadavres l’Europe et l’autre rive de l’Atlantique, jeune mère d’une pure civilisation, chaque fois qu’une fatale raison de poivre, de cannelle, de canne à sucre ou de quelque autre épice, ou toute autre raison qui tourne à l’or, poussera dans des camps contraires la fraternelle engeance. Sous tout régime, la vraie valeur, la modestie et la foi, l’amour de la justice seront toujours étrangers, exclus des relations civiles, et sans cesse malheureux, accablés et vaincus, car la nature a voulu qu’ils restassent cachés. […]

Heureux ceux qu’à l’heure où j’écris la sage-femme reçoit vagissants dans ses bras ! Eux qui verront ces jours soupirés, quand, par de longues études, et dès le lait de la chère nourrice, tout enfant apprendra le poids de sel, de viande et de farine que son village natal engloutit chaque mois, le nombre de naissances et de morts qu’enregistre tous les ans le vieux curé — quand, par la puissance de la vapeur, imprimés par millions en un instant, comme une bande de grues dans le ciel qui soudain dérobe le jour aux vastes campagnes, les journaux couvriront les plaines et les monts et, je l’imagine, les immenses étendues de la mer : les journaux, âme et vie de l’univers et source unique de savoir pour ce siècle et les temps à venir.

Giacomo Leopardi, « Palinodie au marquis Gino Capponi », Chants, Flammarion, pp. 225-229.

David Farreny, 10 juin 2009
accomplies

Orage violent cette nuit. Sommeil coupé par les coups de tonnerre et les éclairs. La pluie reprend avec force ce matin. De ma fenêtre, je regarde tomber les larges gouttes qui forment un rideau légèrement argenté entre les arbres et mon regard. Quelque chose de secret m’enchante qui remonte de l’enfance. La peur, la chaleur, la colère de l’orage, qui se fondent en pluie, qui se délivrent et engendrent la fraîcheur et la joie que l’on sent monter de la terre et des plantes assoiffées. La pluie est plus fine, les gouttes en tombant dans les flaques dessinent des cercles parfaits qui s’élargissent un instant et s’effacent aussitôt. Malgré les erreurs, les ratés qui encombrent notre conscience ou gisent oubliés dans l’inconscient, il se peut que nous ne puissions nous empêcher de tracer avec nos vies des formes accomplies. Que ce qui est dans notre esprit, fureur vaine, orgueil, médiocrité, déréliction, soit dans une perspective plus vaste aussi parfait qu’une goutte de pluie ou une feuille sur un arbre et ne puisse être autrement.

Nos richesses viennent d’une enfance qui demeure inaccessible ou d’imprévisibles rencontres.

Henry Bauchau, Jour après jour. Journal d’« Œdipe sur la route » (1983-1989), Actes Sud, p. 52.

Bilitis Farreny, 26 août 2011
écrivain

L’écrivain est l’homme le plus insignifiant au monde. Il est vide, complètement vide. Sa consistance se trouve dans ses livres.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.

Cécile Carret, 22 juin 2013

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