démantelaient

Les repas aussi me démantelaient, que je prenais avec eux.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 11.

David Farreny, 20 mars 2002
feuilleton

Montépin ourdissait pour un même feuilleton tant d’intrigues si compliquées que sa plume s’y emberlificotait. Le Trombinoscope de Touchatout (1875, 4e volume, numéro 187) révèle — mais est-ce vrai ? — que pendant la publication des Tragédies de Paris dans le Figaro, « il envoya à M. de Villemessant un télégramme de détresse ainsi conçu : “Suis complètement embourbé, sais plus qu’ai fait de Sarriol ; ai mêlé enfants du prologue, me rappelle plus avec qui ai marié comte de Tréjean mois dernier. Envoyez secours.” »

Roland de Chaudenay, Les plagiaires, Perrin, p. 209.

David Farreny, 24 août 2003
gauche

Celui qui est le gauche de moi, qui jamais en ma vie n’a été le premier, qui toujours vécut en repli, et à présent seul me reste, ce placide, je ne cessais de tourner autour, ne finissant pas de l’observer avec surprise, moi, frère de Moi. Et toujours alentour, le paysage gelé, qui ne pouvait se ranimer, endormi dont je ne me serais jamais douté que c’était moi qui l’animais tellement, même lorsque j’étais, ainsi qu’il m’arrive, las et défait.

Comme on se trompe ! On se trompe toujours !

Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 858-859.

David Farreny, 5 juil. 2006
sauvé

Lorsque avec Algren elle découvre le monde underground de Chicago, lorsque avec lui elle a une vie commune dans la petite maison de Wabansia, ce ne sont pas seulement des expériences où on se livre plus ou moins ; ces rencontres l’affectent profondément. Elles sont la couleur même de la vie ; elles participent à cette construction d’un «  moi  » qui ne s’arrête qu’avec la mort. Comme chaque fois, elle y est tout entière engagée. Mais comme chaque fois il faut les «  reprendre dans la liberté  » : décider ce qu’on en fait ; les assumer ou les contester. Leur trouver une place — trouver leur place — dans cette création continue qu’est l’existence. C’est ce qui donne à ces lettres une tension, une émotion palpables : à chaque instant le Castor joue sa vie. Rien de moins. Chaque moment qu’elle vit est un moment destinal ; à chaque rencontre qu’elle fait, tout son être est en alerte : tout peut basculer, tout peut être anéanti : tout peut être sauvé.

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 335.

Élisabeth Mazeron, 21 mai 2009
bonheur

Ce qu’il y a d’admirable dans le bonheur des autres, c’est qu’on y croit.

Marcel Proust, « lettre à Antoine Bibesco », Correspondance.

David Farreny, 25 mai 2009
alors

Et je l’accompagnai jusqu’à la prochaine cabine téléphonique.

(Bizarre, d’être comme ça à l’extérieur : le squelette de fer jaune, rempli de plaques de verre ; dedans, la longue qui s’affaire, le combiné noir contre l’oreille ; se tourne comme si elle parlait de moi ; se tait pendant dix secondes ; à l’autre bout se trouve sans doute une villa, vingt pièces, une mère distinguée hausse les sourcils, à l’arrière-plan un père gros & courtaud qui grogne) : « Alors ? ! » Et elle me fit un sourire cruel : « Tout va bien ! ».

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 137.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
pennes

je vis les noirs martinets

tourner dans un ciel d’orage

en criant criant mais n’est-

ce pas d’un sombre présage ?

au matin j’étais à Vienne

sur le Rhône un aigle noir

labourait l’air de ses pennes

pour revoir Montélimar

mais soudain il dériva

comme un cerf-volant qui casse

sa ficelle et s’en reva

vers de plus vastes espaces

William Cliff, « Montélimar », Immense existence, Gallimard, p. 41.

David Farreny, 30 mai 2011
français

Les objets français contribuaient à me rassurer, ils avaient quelque chose de grêle, de gai, de moins « sérieux » que les objets allemands. Les bicyclettes par exemple étaient fines et légères, elles ressemblaient aux allumettes. Les autos paraissaient plus hautes sur pattes, on eût dit de vieilles dames de bonne famille. Il y avait en France des barrières de ciment qui imitaient les troncs d’arbres avec nœuds dans le bois et écorce et des allumettes qui s’enflammaient quand on les frottait sur le pantalon. Les pièces de monnaie avaient un trou au milieu. C’était un peu comme en Italie, tout semblait plus maigre, plus alerte, plus rapide qu’en Allemagne.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 171.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
voyelles

Eesti a la grâce de sa double voyelle e, à mes yeux d’une blancheur quasi transparente, légèrement rehaussée par l’or pâle du s et du t, qui se prononcent doucement, comme dans l’ancien verbe français estre.

« Estes-vous estonienne ? » ai-je envie de demander à la première jeune fille blonde que je croiserai (mais on me rétorquera que je parle encore comme le père Ubu, lequel guette tout écrivain qui se prend trop au sérieux…).

Le redoublement des voyelles estoniennes, notamment dans les prénoms féminins, Jaanika, Triin, Tuuli, Kristiina, comme une promesse de bonheur sensuel, de vie heureuse, même.

Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 15.

David Farreny, 4 sept. 2012
soie

Jeune Italienne dont le visage, juif dans l’ensemble, devenait non juif vu de profil. Comment elle se levait, appuyait les mains sur l’appui de la fenêtre de telle sorte que seul son corps mince, privé de l’ampleur des bras et des épaules, était visible ; comment elle étendait les bras vers les montants de la fenêtre, puis se tenait des deux mains à l’un des montants, comme à un arbre dans un courant d’air. Elle lisait une brochure policière que son petit frère lui demanda longtemps en vain. Son père, assis à côté d’elle, avait un nez fortement recourbé, tandis que le sien, au même endroit, suivait une courbe plus douce, donc plus juive. Elle me regardait fréquemment, par curiosité, pour voir quand je cesserais de l’importuner de mes regards. Sa robe était en soie brute.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 50-51.

David Farreny, 7 oct. 2012
conversation

On lui a fait répéter la phrase et elle a avoué qu’elle avait, par exemple, toujours eu peur des gants, qu’elle n’en portait jamais. Ce qu’elle voulait dire c’est qu’elle. Elle a fait une pause. Elle avait envie de leur dire quelque chose d’extraordinairement gentil. Pour la première fois, ils l’écoutaient, s’intéressaient à elle. Edgar, puisque la vente était jouée, n’accaparait nullement la conversation et les regards de sa mère. Elle a raconté un rêve, on était à table, mais ça irait, un rêve où une main s’enfonçait dans sa gorge et lui arrachait les viscères. Le pire était que tous ses organes venaient et elle ne distinguait plus son intérieur de son extérieur. Ce qu’elle voulait dire encore une fois, c’était qu’elle craignait les phrases comme mets-toi à ma place parce qu’elle ne voulait se mettre à la place de personne.

— Vous comprenez ?

Elle a expliqué qu’elle avait un peu de mal à comprendre ce qu’elle voulait dire encore une fois, mais qu’il était important pour elle qu’elle ne classe plus les situations entre irréversibles et réversibles, qu’elle devait être plus douce avec elle-même en somme. Sa dernière proposition a fait renaître les sourires et, comme Danuta apportait le dessert, on a changé de sujet avec soulagement, mais sans plus, et le père a confirmé au nom de tous qu’il n’y avait aucun problème à ouvrir son cœur. Julie a remercié.

— Non, non, je vous en prie.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 300.

Cécile Carret, 19 mars 2014
île

Seul comme Franz Kafka ? Seul comme Philippe Muray ?

Seul comme ? Seul comme ce qui n’a pas de comme.

Sens du soupir de Kafka…

J’ai été seul, et ma solitude je vous l’ai rendue inoubliable.

Solitude la plus basse, la plus noire, la moins romantique, pittoresque, littéraire qui soit. Solitude sexuelle. Tous les sexes ensemble d’un côté et moi de l’autre côté. Ma solitude repose sur leur mime sexuel commis en commun.

Même sur une île déserte, j’aurais toute l’île déserte contre moi.

Philippe Muray, « 6 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 243.

David Farreny, 27 mai 2015
hystérique

Ainsi, la vie de quelqu’un dont l’existence a précédé d’un peu la nôtre tient enclose dans sa particularité la tension même de l’Histoire, son partage. L’Histoire est hystérique : elle ne se constitue que si on la regarde — et pour la regarder, il faut en être exclu.

Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Gallimard/Le Seuil, p. 102.

David Farreny, 14 juin 2015
solitude

La solitude enseigne à être intellectuellement plus honnête, mais elle incite à être intellectuellement moins courtois.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 11.

David Farreny, 29 fév. 2024

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