trop

La « bien-pensance » n’est pas une « mal-pensance » qu’on appellerait ainsi par antiphrase. La bien-pensance pense bien, ce point est absolument acquis. Mieux vaut mille fois, s’il faut qu’une pensée règne, que ce soit elle qui règne plutôt que la mal-pensance. La bien-pensance pense vraiment bien. La bien-pensance a raison. Seulement l’obscène, si je puis me répéter (je ne me suis guère gêné jusqu’à présent), l’obscène c’est d’avoir trop raison. La bien-pensance a trop raison.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 260.

David Farreny, 19 mai 2002
force

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 47.

David Farreny, 22 oct. 2004
secret

Depuis quand en va-t-il ainsi ? Depuis toujours ? Je ne sais rien de tout cela, qu’une simple amicale conversation pourrait éclairer en un tournemain ; mais précisément, tout est enveloppé de secret, de mystère, je n’ose pas poser de questions, nous nous sommes embourbés depuis des années dans tout un marais de pudeurs, de prudences, de discrétions sans cause qui empêchent entre nous toute intimité véritable. Je déteste le secret, qui me semble au monde ce qu’il y a de plus vain, de plus contraire en tout cas à la confiante étroitesse du commerce entre les êtres.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 324.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
néant

Quant à la métaphore du jugement de Salomon, elle se résume à peu près à ce choix : ou bien quelque chose, ou quelqu’un, une valeur, un privilège, un bonheur, un jardin, survivent et perdurent dans l’être, mais c’est au profit d’une seule personne ou d’une seule classe, d’une partie seulement d’une société donnée, d’un nombre délimité de personnes (c’est le choix que fait la vraie mère, même si cette solution-là implique qu’elle va perdre l’enfant) ; ou bien ce quelque chose, ou ce quelqu’un, cet enfant, ce privilège, ce bonheur, cette valeur, ce parc, vont faire l’objet d’une répartition générale, entre toutes les parties présentes, tous les membres d’une société donnée — et cela, même si cette répartition générale implique que l’enfant soit tué, la valeur pervertie, le privilège aboli, le bonheur réduit à néant (du moins personne n’en jouira-t-il : c’est le choix de la fausse mère et, à mon avis, de toute la modernité).

Renaud Camus, « vendredi 9 mai 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 224.

David Farreny, 30 avr. 2006
suppriment

La nature est l’esprit en tant qu’il s’est rendu étranger à lui-même, qui, en elle, est seulement dissolu, un dieu à l’image des bacchantes, qui ne se réfrène et ne domine pas ; dans la nature, l’unité du concept se dissimule.

Il faut que la considération pensante de la nature considère comment la nature est, en elle-même, ce processus consistant, pour elle, à devenir esprit, à supprimer son être-autre, — et comment, à chaque degré de la nature même, l’Idée est présente ; rendue étrangère à l’Idée par sa séparation d’avec elle, la nature est seulement le cadavre de l’entendement. Mais la nature n’est qu’en soi l’Idée, raison pour laquelle Schelling l’appela une intelligence pétrifiée, et d’autres, même, l’intelligence gelée ; cependant, le dieu ne reste pas pétrifié et trépassé, mais les pierres crient et se suppriment pour se faire esprit.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 347-348.

David Farreny, 28 fév. 2011
cerisier

Voici un cerisier sur leur chemin et ses mille têtes réduites d’apoplectiques suspendues aux branches par leur dernier cheveu, le sang presque noir déjà affleurant et comme pulsant sous le fin tégument de leur peau tendue, luisante, et qui semblent appeler la dent du carnassier plus que le bec du sansonnet.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 70.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
compter

Notre intelligence, certes, élucide les énigmes, éclaire les zones d’ombre, démêle les imbroglios les plus complexes, mais tout aussi sûrement on peut compter sur elle pour embrouiller les situations simples et trouver des nœuds dans l’eau.

Éric Chevillard, « mercredi 12 juin 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
passage

Il m’arrive de publier, involontairement, des textes partiellement incompréhensibles ; et ils le sont parce que les enchaînements de ma démonstration sont obscurs, peut-être parce que l’idée que je cherche à exprimer est fausse. Mais il m’arrive aussi de publier, volontairement, des textes partiellement incompréhensibles ; et ils le sont parce que l’idée que je poursuis n’est pas claire dans mon esprit, et, si elle ne l’est pas, ce n’est pas parce qu’elle est fausse, mais parce qu’elle est vraie au contraire, plus vraie même que les vérités ordinaires. Cette vérité-là ne se laisse pas facilement atteindre : les phrases qui la cherchent ne marchent sur aucune route, elles se taillent dans la forêt grammaticale un passage qui ne mènera peut-être nulle part ; mais, si elles l’atteignent, et dans la difficulté même qu’elles ont eu à l’atteindre, cette vérité sera bien supérieure à celles, tracées par d’autres, qui me viennent naturellement à l’esprit et sous les doigts.

Bruno Lafourcade.

David Farreny, 23 fév. 2024

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