désapprit

Ils couchèrent en plein air, près des tertres de croix. Ils virent luire tristement dans la nuit les petites lampes des monuments funèbres. Ils mangèrent du pain aigre et des olives amollies. On ne sait pas s’ils volèrent. Ils furent magiciens ambulants, charlatans de campagne, et compagnons de soldats vagabonds. Pétrone désapprit entièrement l’art d’écrire, sitôt qu’il vécut de la vie qu’il avait imaginée. Ils eurent de jeunes amis traîtres, qu’ils aimèrent, et qui les quittèrent aux portes des municipes en leur prenant jusqu’à leur dernier as. Ils firent toutes les débauches avec des gladiateurs évadés. Ils furent barbiers et garçons d’étuves.

Marcel Schwob, « Pétrone, romancier », Vies imaginaires, Ombres, pp. 56-57.

David Farreny, 28 mars 2002
droit

Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents les subsistances qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a nul besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert disponible pour lui ; elle lui ordonne de s’en aller, et elle ne tardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution, s’il ne peut recourir à la compassion de quelques convives du banquet. Si ceux-ci se serrent pour lui faire face, d’autres intrus se présentent aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu’il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux postulants. L’ordre et l’harmonie du festin sont troublés, l’abondance qui régnait précédemment se change en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie qui sévissent dans toutes les parties de la salle, et par les clameurs importunées de ceux qui sont, à juste titre, furieux de ne pas trouver les aliments qu’on leur avait fait espérer.

Thomas Malthus, « Apologue du banquet », Essai sur le principe de population.

David Farreny, 27 mars 2007
couches

j’ai beaucoup été couchée,

dans des couches de jour et de sommeil différents.

Sabine Macher, Un temps à se jeter, Maeght, p. 38.

David Farreny, 3 mars 2008
exigeaient

Entre les toits, les cheminées, à un kilomètre, environ, le faîte des collines coiffées, autrefois, de bosquets, aujourd’hui de pavillons. C’est à ce créneau que je guettais le retour de la belle saison, l’éveil des verdures, rêvais d’escapades. Dix-sept ans de ma vie, la seule, en vérité, dorment d’un sommeil de conte sous ces combles et c’était, cet après-midi, comme s’ils exigeaient de moi que je n’oublie pas qu’ils avaient été, que des questions se posaient en termes de vie ou de mort, déjà, auxquelles j’avais répondu comme je pouvais, tant mal que bien, avec les moyens du bord.

Pierre Bergounioux, « vendredi 31 décembre 1982 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 176.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
pièce

Ensuite je fus assis, épuisé et content, dans mon unique pièce ; plutôt pauvre en meubles, mais je sais au besoin prendre le coffre de ma machine à écrire pour oreiller et me couvrir avec la porte de la chambre. En outre, on pense mieux entouré de peu d’ustensiles : mon idéal serait une pièce vide sans porte ; deux fenêtres nues, sans rideaux, dans chacune se détire une croix maigre – inestimables pour ces sortes de ciels comme le matin vers quatre heures ; ou le soir, quand les grêles langues rouges de serpents poursuivent le soleil de leurs sifflements (mes doigts se courbent en conséquence).

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 69.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
malaise

Je m’étais beaucoup langui d’elle pendant les trois décennies qui venaient de s’écouler, et, si je voulais conserver des chances de ne pas la perdre de vue, il fallait que je m’incruste coûte que coûte à l’intérieur de ce rêve et que je l’attende. C’était un de ces songes où rien de vraiment effrayant ne se produit, mais où toute minute est vécue avec un fort sentiment de malaise. La ville restait crépusculaire quelle que fût l’heure ; on s’y égarait facilement ; certains quartiers avaient disparu sous le sable, d’autres non. À chaque fois que je regardais ce qui se passait dans la rue, je voyais des oiseaux mourir. Ils descendaient en vol plané, ricochaient sur le bitume avec un bruit pathétique, sans un cri, et, au bout d’un moment, ils cessaient de se débattre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 193.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
narration

Je disais, par exemple : Cette nuit, j’ai de nouveau rêvé que je me promenais rue du Kanal en compagnie de Dora Fennimore. Et, après une ou deux secondes de silence, j’ajoutai : Dora Fennimore avait une robe ravissante. Et, comme quelqu’un me demandait des précisions vestimentaires, je disais : Une longue robe chinoise, fendue, bleu profond, avec des revers shocking rose. Puis je laissais les exclamations admiratives se tarir, et ensuite je disais : Il régnait dans la rue du Kanal la même ambiance que sur le décor que je vois en ce moment entre les planches. Et, comme il fallait poursuivre, comme on m’invitait à aller de l’avant dans ma narration, je disais : C’est-à-dire que l’on ne savait pas si l’atmosphère était féérique ou extrêmement sinistre. Puis : Par exemple, au-dessus de nos têtes planaient des oiseaux et des papillons immenses, mieux adaptés que nous aux nouvelles conditions sociales et climatiques. Et, comme une voix derrière moi me demandait quel aspect, plus précisément, avaient ces bêtes, je disais : Ailées, d’un gris bouleversant, taillées dans des matières organiques veloutées, avec des yeux richement noirs qui observaient l’intérieur de nos rêves. Et, après une pause, j’ajoutai : Dora Fennimore et moi, nous nous promenions sous leurs ailes sans nous préoccuper d’autre chose que de vivre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 206.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
rêvaient

Un moment, ils restèrent ainsi, en position horizontale, dévêtus, couchés côte à côte sous leurs légères couettes d’été.

Puis une étrange lueur brilla derrière leurs paupières closes, et ils se levèrent, se quittèrent, traversèrent les murs, les années, s’en allèrent dans différentes directions, par des sentiers inconnus d’eux-mêmes, revêtus désormais de toutes sortes de costumes imaginaires.

Le miracle quotidien s’était accompli ; ils rêvaient.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 48.

Cécile Carret, 4 août 2012
privés

Comme, pour achever de la convaincre, j’abordais le plus sérieusement du monde la question du prix en même temps que celle de l’agence, dont la mention figurait sur le panneau et par laquelle il convenait de passer pour faire affaire, la dame me répondit qu’à titre d’exception elle voulait bien m’ouvrir sa porte pour une visite, mais qu’elle allait justement sortir en vue d’une course. Je lui représentai, alors, que cinq minutes me suffiraient à circonscrire le lieu du regard, tout en lui demandant où, dans cette zone de la ville, elle entendait trouver des commerçants. En partie pour me l’expliquer, elle me fit entrer chez elle, et, tandis qu’elle m’indiquait le parcours complexe qui mène d’ici à la première épicerie, et qui eût réclamé le secours d’un véhicule qu’elle n’était de toute façon pas en mesure de piloter, je détaillais l’agencement et surtout le contenu des pièces, meubles un peu moins qu’anciens, literie d’avant l’invention du sommier à lattes, photos bistre, il est vrai, aux cadres cerclés d’or, cafetière aux imbrications multiples, objets utilitaires en forme d’objet décoratif ou anciennement utilitaire, telle la roue de chariot qui éclaire maintenant la table ; et je commençai à concevoir une envie, réelle, de m’installer ici, sur la pente de la colline, avec un grand congélateur à portée de main, sans téléphone, pour y attendre doucement la fin, sans impatience, avec la certitude que là où je serais, tôt ou tard, elle ne pourrait pas me manquer et qu’entre-temps j’aurais vécu ce que vivent les hommes privés d’avenir, au jour le jour, en prenant du poids et la mesure des choses.

Christian Oster, Le pont d’Arcueil, Minuit, pp. 183-184.

David Farreny, 14 mars 2013
reconnaîtra

Nul biographe n’attrapera jamais ces souvenirs flous de coins de rues, de départs d’escaliers, d’ondes de chaleur sur une plage qui constituent pourtant le fond mouvant de notre mémoire ; cette essence sensible de la vie reste inaccessible au biographe, si informé et documenté soit-il, en sorte que tout homme se reconnaîtra davantage en lisant Proust que dans le récit circonstancié de sa propre existence.

Éric Chevillard, « lundi 7 avril 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
envie

Il me montra avec fierté ses magnifiques toilettes tout en azulejos, robinetterie d’or, cuvette de marbre et lunette en acajou. Mais mes goûts sont frugaux sans doute et l’envie de chier ne me vint pas.

Éric Chevillard, « dimanche 4 octobre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 oct. 2015

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