capillarité

Autour d’une maison, l’eau ne songe qu’à défier les lois de la gravité : elle veut monter.

Pour ce faire, tous les moyens sont bons.

Le meilleur, c’est la capillarité.

L’eau venue des drains bouchés goutte du sommet des murs.

Jean-Jacques Bonvin, La résistance des matériaux, Melchior, p. 57.

Guillaume Colnot, 9 nov. 2002
également

Mariez-vous, vous le regretterez ; ne vous mariez pas, vous le regretterez aussi ; mariez-vous ou ne vous mariez pas, vous le regretterez également ; si vous vous mariez ou si vous ne vous mariez pas, vous regretterez l’un et l’autre. Riez des folies de ce monde, vous le regretterez ; pleurez sur elles, vous le regretterez aussi ; riez des folies de ce monde ou pleurez sur elles, vous le regretterez également ; si vous riez des folies de ce monde ou si vous pleurez sur elles, vous regretterez l’un et l’autre. Fiez-vous à une jeune fille, vous le regretterez ; ne vous fiez pas à elle, vous le regretterez encore ; fiez-vous à une jeune fille ou ne vous fiez pas à elle, vous le regretterez également ; si vous vous fiez à une jeune fille ou si vous ne vous fiez pas à elle, vous regretterez l’un et l’autre. Pendez-vous, vous le regretterez ; ne vous pendez pas, vous le regretterez aussi ; pendez-vous ou ne vous pendez pas, vous le regretterez également ; si vous vous pendez ou si vous ne vous pendez pas, vous regretterez l’un et l’autre. Ceci, Messieurs, est la somme de toute la sagesse de la vie.

Søren Kierkegaard, « Diapsalmata », Ou bien... Ou bien..., Gallimard, p. 33.

Guillaume Colnot, 28 août 2003
valoir

J’en reviens toujours à cette conviction-là : la parole impie par excellence, impie à l’égard de l’homme, c’est « Tu ne jugeras pas ». C’est seulement à partir du moment où l’homme transgresse cet interdit divin qu’il est vraiment homme ; à partir du moment où il écarte avec répulsion le « tout se vaut » que lui suggère éternellement la mort. […]

Juger c’est l’affaire d’une vie. Juger c’est distinguer et distinguer encore. Les homme ne sont égaux qu’en ce qu’ils ont de moins humain. Être homme, c’est être inégal. Valoir plus ou valoir moins. De toute façon : valoir. Ne vaut vraiment que ce qui ne vaut pas la même chose que tout le reste.

Renaud Camus, « samedi 14 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 39.

Élisabeth Mazeron, 5 sept. 2003
pauvres

Tu viens de me rejoindre. Tu es là. Je t’aime. Tu m’apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd’hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n’ai pas à m’absenter…

Te regarder.

T’écouter.

C’est tout.

Tu vois : nous sommes pauvres.

Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 107.

David Farreny, 3 août 2004
finis

De la plage du loch Laidon, curieusement aimable et sableuse, on contemple au sud cette énorme bouchée de néant, Rannoch Moor, la lande de Rannoch, qui s’achève en une ligne de montagnes désertes, bien sûr. Mais justement elle ne s’achève pas. On sait bien qu’au-delà il y a plus de solitude encore (c’est à peine concevable), plus d’absence, plus de rien modelé par la bruyère, velouté par la lumière, malaxé par les ciels, moiré par les eaux innombrables, incessamment pétri par le temps qu’il fait et qu’il n’a même pas le temps de faire : grands pans de soleil en oblique sur des brumes errantes, blocs de charbon suspendus, sables roses comme des chairs de femme — on a rêvé, ce n’est plus là. Pourtant ce n’est pas fini, ce n’est jamais fini, c’est nous qui sommes finis, ravagés de finitude, de manque de temps, de manque d’argent, de livres à rendre, de nuit qui vient : quand bien même on y consacrerait sa vie (et c’est tentant) on sait bien qu’on serait impuissant face à ce vide adorable, terrible et toujours dérobé, auquel nous sommes aussi peu commensurables qu’à l’énormité des bibliothèques. Oh, bien sûr, on peut tricher, on peut aller de l’autre côté, en voiture, en train (n’y a-t-il pas une gare ? C’est la gare de Rien) ou même en avion : on sait bien qu’on n’aura rien étreint, rien possédé, rien aimé, rien vu ; qu’un nuage qui passe fait de cette lande un autre monde.

Renaud Camus, « dimanche 3 août 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, pp. 441-442.

David Farreny, 7 mai 2006
écoulement

La rumeur d’une cataracte enfla brusquement, puis le vacarme hésita et reflua. Il pleuvait en bordure de l’espace noir. Comme l’écoulement du temps n’avait pas encore débuté, l’ondée prit fin dans l’incertitude et, après des chutes de gouttes isolées, le silence se rétablit.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 208.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
droit

Comme ils arrivaient sur moi, nus avec des gouttelettes sur la peau qui accrochaient le soleil, j’ai eu envie de la fille, et de me baigner aussi, j’avais chaud et j’étais surpris par le désir, mais je n’étais pas certain que ça m’aurait conduit où que ce soit, et je me suis contenté de les regarder venir, en détaillant discrètement la fille et en essayant de faire abstraction du type, notamment en espérant lui faire comprendre que sa nudité à lui ne m’intéressait pas du tout et même que je la trouvais répréhensible, que j’associais à sa désinvolture, mais que la fille c’était différent, elle avait droit à mon pardon.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 23.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
brick

In place of food, my senses existentially turn to old high walls of red brick, and I lie awake at night weighing the fascination. There will never be an end or a conclusion to this dazed attraction, and even now, decades on, I cannot find any written acknowledgement of the trance such things pull me into. Whatever detains the eye is understood by no one, least of all me.

Morrissey, Autobiography, Penguin, pp. 53-54.

David Farreny, 26 janv. 2014
petit

Même le diariste le plus présomptueux en vient à douter de l’intérêt que représentent ces pages envahies par le désarroi des sentiments, par l’absurdité quotidienne, par l’effort, presque toujours vain, de retenir une existence qui va à vau-l’eau. Lorsque le jeune Boswell demande à l’illustre Samuel Johnson s’il valait vraiment la peine de noter dans ses carnets de si « petites » choses, ce dernier lui répondit avec superbe : « Dès lors qu’il est question de l’homme, rien n’est jamais trop petit. » Ce pourrait être le premier commandement du diariste, le second étant : « Nulla dies sine linea », une façon comme une autre de dresser une barrière entre le néant et soi, en s’enfermant dans un cercle qui rétrécit d’année en année, jusqu’à la réclusion totale.

Roland Jaccard, « Les idoles du néant », La tentation nihiliste, P.U.F., pp. 116-117.

David Farreny, 9 déc. 2014

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