démantelaient

Les repas aussi me démantelaient, que je prenais avec eux.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 11.

David Farreny, 20 mars 2002
s’ennuyer

De retour chez lui, il monte dans sa chambre, tire les rideaux, se glisse dans son lit, éteint la lumière. Cette nuit encore, ses rêves seront fabuleux. Assez des vieilles histoires de famille et de leurs pauvres variantes œdipiennes, de la nostalgie rancunière, des visites répétées du grand-père défunt et autres apparitions nocturnes du boulanger quotidien. Il n’y a vraiment aucune raison de s’ennuyer en dormant.

Éric Chevillard, Un fantôme, Minuit, p. 105.

David Farreny, 24 mars 2002
Asti

J’ai poussé un autre cri de terreur le jour du 15 août. Incrustée dans la porte d’entrée pour le moindre bruit dans les escaliers, je l’attendais depuis huit heures du matin avec notre pique-nique dans mon fourre-tout. Avec l’Asti spumante. Je prenais parfois la bouteille dans mes bras : il doit venir, il viendra. Je vérifiais la fraîcheur de mon mouchoir parfumé pour son front moite. Nous n’irons pas à Chevreuse. Il a préparé un itinéraire. Pas sur le quai du métro, je te dis pas sur le quai du métro. Je viendrai te chercher ici. Pourquoi insistait-il ? J’ai froid dans le dos. S’il tarde, l’Asti sera tiède. Nous l’enterrons. […] Je l’ai attendu pendant deux heures. Tous sont partis dans les bois. Ne tremble pas, ma lèvre, surtout ne tremble pas. Ce privilège est pour les peupliers. Il viendra, ne te décourage pas, ma lèvre. Mon cahier, fermé jusqu’à demain après-midi. Comment parviendrai-je à écrire si j’oublie de vivre…

Violette Leduc, La chasse à l’amour, Gallimard, p. 234.

Cécile Carret, 5 juin 2007
honnêtement

Hier l’inspecteur du lait qui habite la chambre voisine — on ne trouve ici que du lait en poudre, il n’inspecte donc rien — est venu me proposer d’aller ensemble trouver des femmes dans une gargote des collines qu’on lui a recommandée. L’inspecteur qui a l’âge de mon père est consumé par une rêverie érotique qui ne lui laisse pas de répit. À en croire les courbes que, pour me convaincre, ses petites mains tracent dans l’air humide, ces enchanteresses rappelleraient un peu les grandes fourmis Ponérines, tailles étranglées, corselets bien garnis, fortes hanches, cuisses musclées, mâchoires d’ogresses. Pour cette sortie il avait retouché à l’encre violette ses souliers éculés et passé un pantalon de tennis à fines rayures bleues qui poche aux genoux. Dans cette ville, dit la plus vieille chronique de l’Île, il n’y avait de durs que les seins des jeunes femmes, d’ondoyants que leurs regards, de courbes que leurs sourcils, de ténébreuses que leurs nuits.

L’inspecteur a les yeux injectés par l’arak qu’il a bu la veille. Je sais bien qu’il s’agit de pauvres filles édentées, humiliées, peut-être malades ou qui n’existent que dans mon imagination. Tout de même je m’emballe. Je rêve d’yeux bordés de khôl, de voix chaudes comme des tisons contre mon oreille, de fesses de santal patinées par mille paumes rêveuses, d’une touffe brillante comme du crin, honnêtement bombée et fendue. Voilà trop longtemps que je vis seul et s’il faut retourner chez les hommes pourquoi pas par ce chemin-là ? J’ai accepté.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 105-106.

David Farreny, 18 oct. 2009
société

En s’employant par la représentation de la culture à « faire revivre ce qu’il y a de grand dans les morts et dans les grands morts » selon la belle formule d’Alain, l’école niait l’évidence, c’est-à-dire l’identification de l’humanité avec la société visible, vivante et tourbillonnante.

Cette laïcité est hors d’usage. Cette représentation a sombré dans l’anachronisme. Ce qui est désormais tenu pour laïque, c’est la désacralisation de la vie de l’esprit et la détermination par nous tous des contenus de la culture. À l’instar du dictionnaire, l’école se rend donc à l’évidence. Là comme ailleurs, l’humanité et la société ne font plus qu’un.

Alain Finkielkraut, « L’adieu laïque au principe de laïcité », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 20.

David Farreny, 25 janv. 2010
route

C’est l’heure où l’odeur qui vient de l’allée des tilleuls fait vaciller la lumière. Mais la diligence encense et grogne. Il faut prendre la route où la chaleur arrive par le courrier de dix heures quand les premiers papillons Vulcain posent leur écharpe le long des fossés. D’ici là j’ai tout le temps de m’arrêter aux premiers villages bleus d’enclumes, de revoir quelques cousins dans des maisons à sapins et à grilles… Que la paix descende sur moi et qu’on ne me reparle plus de cette immense aventure de vivre. Et que, dans la ruelle d’un étrange demi-sommeil prophétique, j’entende la douce voix du calme chuchoter quelque part  : Laissez-le.

Léon-Paul Fargue, « La gare abandonnée », Poésies, Gallimard, p. 64.

Guillaume Colnot, 1er fév. 2013
privés

Comme, pour achever de la convaincre, j’abordais le plus sérieusement du monde la question du prix en même temps que celle de l’agence, dont la mention figurait sur le panneau et par laquelle il convenait de passer pour faire affaire, la dame me répondit qu’à titre d’exception elle voulait bien m’ouvrir sa porte pour une visite, mais qu’elle allait justement sortir en vue d’une course. Je lui représentai, alors, que cinq minutes me suffiraient à circonscrire le lieu du regard, tout en lui demandant où, dans cette zone de la ville, elle entendait trouver des commerçants. En partie pour me l’expliquer, elle me fit entrer chez elle, et, tandis qu’elle m’indiquait le parcours complexe qui mène d’ici à la première épicerie, et qui eût réclamé le secours d’un véhicule qu’elle n’était de toute façon pas en mesure de piloter, je détaillais l’agencement et surtout le contenu des pièces, meubles un peu moins qu’anciens, literie d’avant l’invention du sommier à lattes, photos bistre, il est vrai, aux cadres cerclés d’or, cafetière aux imbrications multiples, objets utilitaires en forme d’objet décoratif ou anciennement utilitaire, telle la roue de chariot qui éclaire maintenant la table ; et je commençai à concevoir une envie, réelle, de m’installer ici, sur la pente de la colline, avec un grand congélateur à portée de main, sans téléphone, pour y attendre doucement la fin, sans impatience, avec la certitude que là où je serais, tôt ou tard, elle ne pourrait pas me manquer et qu’entre-temps j’aurais vécu ce que vivent les hommes privés d’avenir, au jour le jour, en prenant du poids et la mesure des choses.

Christian Oster, Le pont d’Arcueil, Minuit, pp. 183-184.

David Farreny, 14 mars 2013
loi

C’est une loi pénible : plus les femmes sont belles et plus je suis laid.

Éric Chevillard, « dimanche 25 juin 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024
impropre

La lucidité n’extirpe pas le désir de vivre, tant s’en faut, elle rend seulement impropre à la vie.

Emil Cioran, « De l'inconvénient d'être né », Œuvres, Gallimard, p. 870.

David Farreny, 28 fév. 2024
oblige

Tendance à la lecture en diagonale. Donc, qu’est-ce qu’un grand écrivain ? Quelqu’un qui m’oblige à lire ligne à ligne et mot à mot. C’est rare.

Philippe Muray, « 20 septembre 1990 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 379.

David Farreny, 29 fév. 2024
prestige

Si nous comprenions vraiment notre vie, le suicide aurait un prestige tel qu’il nous serait impossible d’y avoir recours.

Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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