raison

L’absence de société des lettrés allemands, leur vie retirée et inlassablement studieuse, leur vie de cabinet, ne rendent pas seulement leurs opinions et leurs pensées indépendantes des hommes (ou des opinions d’autrui), mais des choses mêmes. C’est ainsi que leurs théories, leurs systèmes, leurs philosophies (à quelque genre qu’ils appartiennent : politique, littéraire, métaphysique, moral et même physique) sont pour la plupart des poèmes de la raison.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 23 mars 2002
récupérer

Comme l’amour de l’Auvergne — de l’Auvergne que j’aime et qui n’existe plus qu’à peine, probablement —, l’amour de l’Écosse est un amour masochiste, un amour méchant envers celui qui l’éprouve, un amour boudeur envers le monde. Pense-t-on qu’on pourrait être heureux, dans ces solitudes revêches, au détestable climat ? Une bonne part de leur incomparable beauté vient de leur éloignement, de leur difficulté d’accès, du défi qu’il y a à être là, qu’il y aurait à vivre là malgré l’éloignement, malgré le temps, malgré le temps. Habiter au fin fond du Perthshire, de l’Invernesshire ou du Sutherland, c’est hurler au siècle qu’on lui refuse notre présence, hurler au plaisir qu’on entend se passer de lui, beugler à la douceur de vivre qu’en ce qui nous concerne elle peut se rhabiller. Or il faut croire que quelque chose en moi aspire farouchement à cette emphase dans l’inappartenance, car si je contemple une photographie du loch Coulin et la silhouette minuscule de Coulin Lodge, au fond du lac et sous la masse neigeuse du Ben Eighe Mhor, je me sens me quitter et m’engouffrer dans l’image, et des heures se passent avant que je puisse me récupérer, ne serait-ce que pour dormir à mes côtés.

Renaud Camus, « jeudi 23 août 2001 », Sommeil de personne. Journal 2001, Fayard, pp. 415-416.

David Farreny, 17 mai 2004
civilisation

Comble de la civilisation : mentir sans mentir.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
îlots

Outre la liberté toute physique d’aller, le fer dispensait un autre bienfait, d’ordre spirituel. Il instaurait, là où on l’avait employé, des îlots d’ordre et de mesure, de paix. La double hyperbole d’un pont de fil, la perspective rectiligne et plane des rails, le miroir de l’eau apaisée, derrière l’écluse, suspendaient, localement, la confusion ambiante, repoussaient l’échevellement des sources, la foison hirsute des bois, l’enchevêtrement de tout, l’obstacle, l’empêchement. Et ces formes pures étaient animées de la ténacité inflexible du fer. Elles résistaient à la poussée de l’eau, supportaient le passage des convois ferroviaires galopant vers l’ailleurs, essuyaient, sans faiblir, le chaud et le froid, la pluie, les jours et les nuits. Leur égalité, leur persévérance dans un être net se communiquaient à qui s’accoudait au garde-corps du bief ou s’accrochait à une suspente du pont, comme aux drisses d’une mâture, avec l’eau fuyant dessous, l’illusion légèrement enivrante, baudelairienne, qu’une frégate l’emportait par l’océan des terres.

Pierre Bergounioux, Sidérothérapie, Tarabuste, pp. 34-35.

David Farreny, 2 juin 2008
degré

Mercredi – Derrière une fenêtre, à Jaurès, est suspendu un fil. Épinglés le long de ce fil cinq rectangles de papier, ou six, dont nous ne voyons que le dos. S’agit-il de photos qui sèchent à notre barbe, de recettes de cuisine, de mots d’amour ? Ou encore de factures, de partitions, de menaces ? De mouchoirs rêches, d’esquisses ? Je penche pour des rideaux pris au second degré.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 20.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
salamandre

La salamandre ne soupçonne rien de la moucheture noire et jaune de son dos. Il ne lui est pas venu à l’esprit que ces taches sont disposées en deux chaînettes ou se rejoignent en une seule sente compacte en fonction de l’humidité du sable, de la nuance vivante ou mortuaire du terrarium.

Ossip Mandelstam, Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme.

Guillaume Colnot, 19 mai 2009
quiétude

Le délice de ces matinées : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions.

Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil.

David Farreny, 27 mars 2010
mendiant

Le vrai mendiant d’amour (c’est-à-dire le véritable angoissé) ne veut pas être aimé à cause, mais malgré.

Renaud Camus, « lundi 30 novembre 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 512.

Élisabeth Mazeron, 29 avr. 2010
affluent

Vu passer, dans une travée, un chat qui tenait dans sa gueule un oiseau plumé, un pigeonneau, sans doute, dérobé à la boucherie. Nous sommes vraiment entrés dans l’affluent society.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 mai 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 485.

David Farreny, 2 fév. 2012
percé

Entre femme et homme depuis peu l’hostilité s’est installée. Hommes et femmes sont de nos jours sans exception brouillés. Moi, par exemple, depuis bien longtemps, c’est à peine si j’ai un ennemi — et, quant à moi, cela ne peut plus être le cas —, mais s’il y en a un, c’est une femme. Non seulement on ne nous aime plus, mais on nous combat. Et si l’amour entre en jeu il ne sert plus qu’à entretenir la guerre. Tôt ou tard la femme qui t’aime sera d’une façon ou d’une autre déçue par toi, et tu ne sauras même pas pourquoi. Elle t’aura, comme elle va l’expliquer, percé à jour, mais sans te dire en quoi elle t’a percé à jour. Et à aucun moment elle ne te laissera oublier que tu es percé à jour, car elle ne te laisse presque jamais seul, en tout cas bien moins qu’auparavant dans le jeu de l’amour. Elle est continuellement présente, c’est à peine si tu peux encore échapper au mal qu’elle pense de toi. Toi-même tu ne te penses pas en hâbleur, menteur et tricheur, et tu aimerais être un homme bon, comme à votre début. Mais tu es contraint de te voir comme tout cela dans et par ses yeux, qui à partir de maintenant ne te lâchent plus, et dans lesquels, quoi que tu fasses ou ne fasses pas, ce sera une confirmation de sa mauvaise opinion et de son amère déception. Fais ce que tu veux : tu es et restera celui qui est percé à jour.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, pp. 119-120.

David Farreny, 19 fév. 2014
jeune

Elle est jeune comme ne peut l’être qu’un très vieux souvenir.

Éric Chevillard, « mardi 19 mars 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 3 mars 2024

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