clavecin

Le foie gras. On l’étale

sur des toasts. Délicat, onctueux

Le clavecin de toutes les cirrhoses

La sainte vierge en culotte de velours

Alain Malherbe, Diwan du piéton, Le Dé bleu.

David Farreny, 20 mars 2002
Kraken

En 1752, le Danois Éric Pontoppidan, évêque de Bergen, publia une célèbre Histoire naturelle de Norvège, œuvre très accueillante et crédule ; dans ses pages on lit que le dos du Kraken a un mille et demi de longueur et que ses bras peuvent étreindre le plus grand navire. Le dos émerge comme une île ; Éric Pontoppidan en arrive à formuler cette règle : « Les îles flottantes sont toujours des Krakens. »

Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Gallimard, p. 137.

David Farreny, 22 mars 2002
Norvégiens

Les Norvégiens sont translucides ; exposés au soleil, ils meurent presque aussitôt.

Michel Houellebecq, Lanzarote, Flammarion, p. 18.

David Farreny, 22 mars 2002
pieux

Mémorial, un beau mot, pour une héraldique des souvenirs pieux : mais tous les souvenirs sont pieux, même les moins volontaires, et même les plus impies.

Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 18.

David Farreny, 14 avr. 2002
esprit

Et comme la vie et le travail se trouvaient dissociés, on a tiré au cordeau des voies rapides remparées de glissières en acier zingué, connectées au moyen d’échangeurs et de rocades où il vaut mieux éviter de se tromper parce qu’il n’est plus question de faire demi-tour et de recommencer. Le droit à l’hésitation, le goût ténu de liberté ont disparu de la circulation. Elle a pris la fixité d’un destin où il me semble reconnaître, lorsque je me hasarde sur les autoroutes de ceinture, l’esprit désastreux du présent.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, pp. 33-34.

David Farreny, 17 oct. 2006
parler

Ça me paraît plus long cette fois, nous dit-il. C’est parce que c’est plus court, lui répondis-je, content finalement d’avoir à lui adresser la parole, ça passe moins vite. Et puis, ajoutai-je, c’est peut-être pace qu’on ne dit rien, mais on n’est pas obligé de parler tout le temps, non ? Non, fit Kontcharski, évidemment, c’est juste qu’on se connaît encore trop peu, sans doute, pour se taire tout à fait, nous n’avons pas encore trouvé le bon régime, voilà. Mais si, intervint Marc, on l’a, le bon régime, on ne va pas faire un voyage sans fausse note, non plus, ça voudrait dire quoi ? Je suis d’accord, dis-je. À propos, ajoutai-je, est-ce que quelqu’un veut conduire ?

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 80.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
empaillé

On descendait par trois marches à la salle commune ; elle était enduite de ce badigeon sang de bœuf qu’on appelait naguère rouge antique ; ça sentait le salpêtre ; quelques buveurs assis parlaient haut entre les silences, de coups de fusil et de pêche à la ligne ; ils bougeaient dans un peu de lumière qui leur faisait des ombres sur les murs ; vous leviez les yeux et au-dessus du comptoir un renard empaillé vous contemplait, sa tête aiguë violemment tournée vers vous mais son corps comme courant le long du mur, fuyant. La nuit, l’œil de la bête, les murs rouges, le parler rude de ces gens, ces propos archaïques, tout me transporta dans un passé indéfini qui ne me donna pas de plaisir, mais un vague effroi qui s’ajoutait à celui de devoir bientôt affronter des élèves : ce passé me parut mon avenir, ces pêcheurs louches des passeurs qui m’embarquaient sur le méchant rafiot de la vie adulte et qui au milieu de l’eau allaient me détrousser et me jeter par le fond, ricanant dans le noir, dans leur barbe sans âge et leur mauvais patois.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
champion

Champion

de la

détestation

en tout genre

briseur de vie

dont

la mienne

réducteur

de tout ce

qui n’est pas

à ma taille

bulle

ne remontant

définitivement plus

à la

surface

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 37.

Élisabeth Mazeron, 19 nov. 2009
réglé

Ayant ainsi appris en cinq minutes une bonne demi-douzaine de langues, distraitement expédié son parcours scolaire en sautant une classe sur deux, et surtout réglé une fois pour toutes cette question des pendules – qu’il parvient bientôt à désosser puis rassembler en un instant, les yeux bandés, après quoi toutes délivrent à jamais une heure exacte à la nanoseconde près –, il se fait une première place dans la première école polytechnique venue, loin de son village et où il absorbe en un clin d’œil mathématiques, physique, mécanique, chimie, connaissances qui lui permettent d’entreprendre dès lors la conception d’objets originaux en tout genre, manifestant un singulier talent pour cet exercice.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 13.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
constructions

Car ma perception du quartier a changé depuis que je vis dehors. Jouer un personnage m’a rapproché des différents commerçants, dans la mesure où j’essaie de ne pas trop me faire remarquer, de prononcer les paroles qu’ils attendent, de répéter les formules consacrées, les évidences triviales du bon sens ordinaire, de faire vraiment comme si j’étais l’un de ceux qui chaque jour échangent avec eux quelques nouvelles et quelques sourires, comme si « j’en étais », en somme. Je peux me le permettre maintenant que je suis sûr de ne vraiment pas « en être », alors que jusqu’à mon déménagement c’était plutôt l’inverse : ma distance apparente – de l’ennui plus que du mépris, à vrai dire – n’était que pour me persuader que je « n’en étais pas » alors que « j’en étais », et même profondément, regardant la même télé, écoutant les mêmes nouvelles et vivant aussi machinalement que mes interlocuteurs d’occasion. Aujourd’hui, au moins, je suis le seul à coucher dehors, à ne payer ni taxe foncière ni taxe d’habitation, et ils ne le savent pas, sauf François, mais François n’est pas un interlocuteur ordinaire.

Quand je dis que ma perception du quartier a changé, ce n’est d’ailleurs pas aux commerçants que je pense d’abord. Je pense à des tas de choses. À l’architecture, par exemple. J’ai appris à regarder les immeubles et je trouve des beautés ignorées aux plus ordinaires d’entre eux. Architecture des années 1950 et 1960 a fait des ravages par ici, mais beaucoup de constructions des années 1930 ont de l’élégance, et puis, en cherchant bien, on trouve encore des petits pavillons, des cottages à l’anglaise, des villas surprenantes et des jardins secrets. J’avais depuis longtemps vu tout cela, aperçu, survolé. Maintenant, je m’y attarde et j’y prends plaisir.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 82.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
sauvage

Et, que cela ne mène qu’aux terres inhumaines,

qu’aux ports désaccordés comme de vieux pianos

et qu’il faille carder, sur des métiers nouveaux

la trame usée du même…

Qu’il ferait bon téter ton lait sauvage, ô vie,

que des clous seraient bons pour raviver le sang

qu’une tempête serait bienvenue, violente,

une tempête, une émeute.

J’ai soif de toi, échevelée,

pendant que mon œil fuit

le blanc vol de mouettes

douces comme un sanglot irréel de la chair.

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 28.

David Farreny, 20 juin 2013
équidistant

L’œil équidistant de la lune quand on se déplace.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 103.

Cécile Carret, 23 sept. 2013
gutta-percha

Il y a de la gutta-percha, de la gomme et du caoutchouc dans le kangourou, en fait de muscles et de tendons, et c’est ce K qui les lui injecte par saccades.

Le langage est performatif : le kangourou en est la preuve vivante. Sans doute avons-nous raté d’ailleurs une bonne occasion de rigolade, elles ne sont pas si nombreuses, et il est pour cela bien regrettable que l’idée ne nous soit pas venue de nommer plutôt kangourou l’hippopotame. Comme il eût été divertissant, en effet, de voir ce lourd pachyderme effectuer des bonds de trois mètres de haut et douze mètres de long ! Chose d’autant plus risible qu’il lui eût fallu pour cela s’arracher aux eaux où il s’immerge jusqu’aux narines ou aux berges boueuses où il paresse – que d’éclaboussures et de splach… !

Du burlesque pur.

Mais nous ne savons pas rire. Nous avons donné des noms aux êtres et aux choses de ce monde pour les asservir.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 131.

Cécile Carret, 25 fév. 2014

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