multiple

Ce que je voyais c’était une grande, belle, énorme terre, une montagne, une multiple montagne apaisée, oui, mais une montagne qui venait de s’exhausser.

Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 496.

David Farreny, 2 juin 2006
facile

À mesure que l’art s’enfonce dans l’impasse, les artistes se multiplient. Cette anomalie cesse d’en être une, si l’on songe que l’art, en voie d’épuisement, est devenu à la fois impossible et facile.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 64.

David Farreny, 13 oct. 2006
profonde

Il n’était pas possible d’aller bien loin, sans plan, sans la contrainte et l’appui de la structure profonde.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 août 1992 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 203.

David Farreny, 20 nov. 2007
déplaisir

Vieillir dans pareil monde augmentera le déplaisir de l’âge. Peut-être, aussi, rendra-t-il moins terrible de s’en aller. Pas envie de m’attarder parmi les hommes, et les femmes, de maintenant. Ils ne m’inspirent que de la colère et du mépris.

Pierre Bergounioux, « mercredi 24 mai 2000 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 1192.

David Farreny, 28 déc. 2007
larges

Addio, cari… C’est curieux, les plaisanteries d’Inga et de ses grandes amies, de ces Femmes damnées : de petites plaisanteries de religieuses, de « bonnes sœurs ». À notre avant-dernière réunion, dans cette grande ville pleine d’appels joyeux, de fleurs et de parfums, chaque matin je répétais plusieurs fois : « Je vais me lever. » Alors elle disait : « Tu vas te lœwer ? tu vas devenir un lion ! Oh, j’ai peur, tu vas me dévorer. » Et elle riait, comme si ce jeu de mots était extrêmement drôle. Ah, oui : la petite fille en elle. C’était bon aussi, ces matins-là. L’été. Les grandes avenues bien ombragées, larges, toutes pleines de l’été et d’une belle vie lente et heureuse. On en voyait trois de nos fenêtres.

Valery Larbaud, « Amants, heureux amants... », Œuvres, Gallimard, pp. 634-635.

David Farreny, 2 nov. 2009
brut

Immédiateté de la sensation, globalité aussi. Ne pas trop chercher d’équivalence par ce « tourniquet de la plume » dont parlait Reverdy. Trop lent. Poser au plus court la sensation, de manière très grossière, et laisser travailler la mémoire du lecteur. Pour exemple, « l’odeur du jardin après la pluie ». Si j’élabore davantage, je vais tomber dans l’exercice littéraire ; l’odeur brusque, puissante, du jardin se dilue en mots qui tentent de la décrire, plus ou moins habilement. On aboutit à un texte et non plus au jardin (vers Ponge ?) alors que le but visé était bien de confronter brusquement, maintenant, le lecteur à cette odeur de pluie. De le faire en quelque sorte passer dans cette odeur, rien de plus. Sitôt que je décris, je construis littérairement une expérience, alors que je l’ai vécue sans recul. Voilà ce qui m’énerve. Je sais l’amertume d’une bière, je sais que le lecteur la connaît aussi, et mon but n’est pas de faire de cette amertume un objet poétique en soi. J’ai seulement besoin, à ce moment du poème, de traverser ce goût. Rester brut, donc. En ce sens ma poésie n’est pas vraiment descriptive, même si elle est nourrie de sensations ; elle intègre seulement les bouts de réel nécessaires pour activer une situation, une expérience, un vivre.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 64.

Cécile Carret, 4 mars 2010
distance

Le malaise qui grandissait en moi face au progrès du blanc sur la tapisserie m’interdisait le plaisir que j’eusse pu prendre, en d’autres temps, à telle vanité. Il n’y avait pas de quoi me vanter à constater que cette maladie de blancheur irruptait chez moi, plutôt qu’ailleurs, dans le lieu clos de mes pensées, de mes rêveries et de mes désirs. Peut-être même pouvais-je me dire, en vertu d’une correspondance essentielle entre le cœur et le monde, que s’il en était ainsi, c’était qu’en moi, par-delà la bienséante façade de mon inutilité, la corruption se trouvait déjà bien avancée. Et ainsi le mur, en face de moi, se posait-il pour ce qu’il n’avait jamais cessé d’être : le miroir de moi-même. Je pouvais donc — je devais même — le regarder mais comme l’on regarde un miroir que hante son image : à distance. Seuls les enfants posent le doigt sur leur reflet. Moi, naturellement, je savais à quoi m’en tenir sur l’illusion (mais aussi sur la vérité de l’illusion) : je n’avais donc pas à bouger, à tenter de saisir une insaisissable image. Il me suffisait de savoir que cette blancheur vacante autant que vorace me désignait dans mon propre néant. À distance, que ne saurait-on supporter ?

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 7 mars 2010
possibilité

Il n’y a pas plus de droit à l’amour que de droit au bonheur. À peine a-t-on un droit à la recherche ou à l’attente de l’amour. Parce que l’amour n’est pas une conséquence inévitable de notre nature, seulement une possibilité, on peut concevoir des vies sans amour ou destituées de l’amour. On rencontre de telles vies, de tels personnages, dont le maintien et le débit de parole suggèrent que l’amour n’est pas venu leur donner la grâce des gestes et de la pensée. On peut devenir tel ou le rester. On dirait qu’une partie de leur corps et de leur âme est restée brute, ne connaissant des relations entre humains, par lesquelles les comportements se polissent et s’adoucissent, que l’affrontement, l’agression, ou le maintien à distance.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 18.

Cécile Carret, 13 mars 2011
bouffée

À quelle bouffée d’illusions dois-je cette dégaine exceptionnellement insouciante aujourd’hui ? J’ai la déconcertante impression d’être un autre.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 167.

David Farreny, 30 juin 2014
manœuvre

Avouer certaines choses, cacher certaines choses, tout dire, tout taire… — te fatigue pas — même manœuvre.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 114.

David Farreny, 13 sept. 2014

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