grand

Je me suis levé de grand matin, comme à la pire époque.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 263.

David Farreny, 21 mars 2002
aveu

Priape. Son pantalon dépenaillé masque mal — l’usure valant pour un aveu — l’obstination rigoureuse de son membre. Faut-il songer à l’épouvantable sujétion qui régente la vie de cet homme, causée par l’impuissance de ces bures, robes, justaucorps, pantalons, portés au fil des siècles, à dissimuler la turgescence qui l’accable ? Dans les époques anciennes, ce signe distinctif était perçu avec davantage de tolérance. On désignait Priape au moyen de ce sobriquet : « Dru-dans-le-pantu », qui lui rendait sa condition supportable.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 178.

David Farreny, 15 nov. 2002
valoir

J’en reviens toujours à cette conviction-là : la parole impie par excellence, impie à l’égard de l’homme, c’est « Tu ne jugeras pas ». C’est seulement à partir du moment où l’homme transgresse cet interdit divin qu’il est vraiment homme ; à partir du moment où il écarte avec répulsion le « tout se vaut » que lui suggère éternellement la mort. […]

Juger c’est l’affaire d’une vie. Juger c’est distinguer et distinguer encore. Les homme ne sont égaux qu’en ce qu’ils ont de moins humain. Être homme, c’est être inégal. Valoir plus ou valoir moins. De toute façon : valoir. Ne vaut vraiment que ce qui ne vaut pas la même chose que tout le reste.

Renaud Camus, « samedi 14 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 39.

Élisabeth Mazeron, 5 sept. 2003
chagrin

À force de vivre enfermé, enfoncé dans ma mémoire et mes pensées, le « monde » agit sur moi avec une force exagérée, dérangeante. Je redécouvre les hommes tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être, comme on disait. Ça va même un peu plus loin. Il me semble percer, malgré moi, jusqu’à la « nihilité de notre condition ». Je pense à Faulkner : « Entre le chagrin et le néant, j’ai choisi le chagrin. » Et en même temps, c’est comme si je regardais de derrière une vitre.

Pierre Bergounioux, « dimanche 21 octobre 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 347.

David Farreny, 25 mars 2006
dimanche

C’est le dimanche de la vie qui égalise tout et qui éloigne toute idée du mal.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La peinture, art romantique », Esthétique, P.U.F., p. 85.

David Farreny, 7 fév. 2008
cour

Tu es la cave fermée

au sol de terre battue,

où l’enfant est entré

une fois, les pieds nus,

et sans cesse il y pense.

Tu es la chambre sombre

qu’on évoque sans cesse,

comme l’ancienne cour

où l’aube se levait.

Cesare Pavese, La mort viendra et elle aura tes yeux, Gallimard, pp. 194-195.

David Farreny, 2 sept. 2008
panorama

Puis on me mit au lit dans une grande chambre au sommet de la maison, dans un dortoir de douze lits, aux murs revêtus de planches vernies. C’était si haut – on ne voyait, de toutes parts, que le ciel descendre jusqu’en bas des grandes fenêtres – qu’on se serait cru en pleine mer, dans le poste de commandement d’un navire. La neige tourbillonnait dans le vide.

Pour découvrir l’immense panorama il fallait aller sur le balcon, et toute la vallée se déployait alors. Un seul coup d’œil permettait d’être partout à la fois, de savoir bien avant les habitants du village qu’un camion rouge était en train d’arriver ou qu’on faisait traverser la route à un troupeau de vaches dont on entendait de loin les clarines.

Ce fut, dès lors, tous les jours, la même aventure du regard. Pendant les huit ans que je passais dans ce pensionnat appelé Collège Florimontane, je ne m’en lassais pas. Toute la vallée, avec ses pentes, ses maisons, ses habitants, était à la disposition du regard. Tout à la fois, on pouvait voir les gens traverser la place du village et sur la pente, à une demi-heure de marche de là, le fermier en train de rajuster sa barrière autour du potager carré.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 173.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
repos

Je commençai par admirer ; puis savez-vous l’effet que cela me produisit ? je m’endormis. Étendue sur la pierre humide, couverte par la froide vapeur de l’eau, bercée par ce tonnerre, je goûtai là quatre heures du repos le plus profond, et j’y dormirais je crois encore, si, les chevaux étant arrivés, on ne m’avait enfin découverte dans la retraite que j’osais partager avec une énorme grenouille aux yeux calmes, naïade de la cascade, tout étonnée de recevoir une mortelle.

Léonie d'Aunet, « Lettre III. Drontheim », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 87.

David Farreny, 8 sept. 2011
orage

Le peu de gens qui passaient ont pressé l’allure. Ils ont disparu. Personne ne les a remplacés. J’ai regardé la pluie exploser sur le trottoir. La température avait changé, je n’y avais pas prêté attention. C’était une pluie d’orage, il faisait anormalement chaud, et tout de suite après il y a eu les éclairs. D’abord quelques uns, isolés, suivis de roulements encore lointains, puis le ciel s’est illuminé, parcouru d’arcs électriques. On avait le temps de les voir, comme imprimés, leurs lignes brisées se détachant sur le fond noir, puis plus tellement noir, plus tellement le temps de virer au noir, les zébrures se succédant bientôt au point de se superposer et se figeant dans ce qui était devenu une blancheur. La pluie a grossi, elle tombait en gouttes laiteuses, qui s’écrasaient en laissant de l’écume. Je l’entendais, aussi, frapper la banne à l’abri de laquelle je me tenais encore, son crépitement gras dominait les roulements, et je me suis dit que la vie devenait violente, j’ai rentré légèrement la tête dans les épaules.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 9.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
chaîne

Il tourne à gauche, commence à descendre l’escalier. Fais gaffe, va pas tomber, se dit-il. Mets-toi à droite. Tiens la rampe. Tu charries. Tiens la rampe, je te dis. Y a pas de honte. Quand on a les pattes molles. C’est vrai qu’elles tremblent, se dit-il. C’est rien, la fatigue, l’émotion.

Non, non, laissez, dit-il à un petit vieux qui là-bas lui tient la porte. C’est gentil mais non, laissez. Oui, bon, je vois, bon, attendez, attendez, j’arrive.

Il arrive. Là, merci, c’est gentil, dit-il. Merci monsieur. Ainsi pourrait se former une gentille chaîne aimable d’humains se tenant par la porte, je te la tiens, tu me la tiens, ainsi de suite. Alors Bast, un peu ému, se retourne pour la tenir à quelqu’un.

Elle arrive.

Elle marche vers lui.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 59.

Cécile Carret, 4 mars 2012
relatives

Monsieur Songe est né méditatif. Il intervertit les images ou les confond suivant les yeux qu’il ouvre, ceux du dehors ou ceux du dedans. D’où les invraisemblances relatives aux paysages qui lui sont familiers.

Une aquarelle très fluide pour suggérer les illusions de la mémoire.

Cette minute présente.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 27.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
inverse

L’amour est le sens inverse de la vie. Toujours on va vers le néant.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 169.

David Farreny, 24 août 2014

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