ce

Un Hindou adorerait un mur plutôt que de ne rien adorer du tout. Il le ferait. Ce lui est possible.

Henri Michaux, « Idoles », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 695.

David Farreny, 20 mars 2002
volcan

Était-ce bien lui ? Je fus frappé et aussitôt comme repoussé par l’enflure rouge de ses joues, éclatante… il semblait déjà avoir éclaté de partout à cause de cette enflure, qui avait fini par lui faire des membres disproportionnés, par épanouir sa chair de tous les côtés à la fois, de sorte que son corps odieusement florissant ressemblait à un volcan de viande jaillissante… et dans ses bottes de cavalier il étalait des pattes apocalyptiques, tandis que ses yeux semblaient nous contempler du fond de cette graisse comme à travers une petite lucarne. Mais il se collait à moi et me serrait dans ses bras. Il chuchota timidement :

— J’ai enflé… saloperie… Et d’où ça vient, cette graisse ? De tout, sans doute, de tout.

Witold Gombrowicz, La pornographie, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 24 mars 2002
simples

Je te le dis, mon ami, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. L’esprit humain est un instrument peu raffiné, et bien souvent nous ne sommes pas plus capables de veiller sur notre sort que le moindre ver de terre.

Quoi que j’aie pu être d’autre, je ne me suis jamais laissé devenir ce ver. J’ai sauté, j’ai galopé, je me suis envolé, et quel que soit le nombre de fois où je me suis écrasé au sol, je me suis toujours ramassé pour essayer encore. Même en ce moment où les ténèbres m’enserrent, mon cerveau tient bon et refuse de jeter l’éponge.

Paul Auster, Tombouctou.

Élisabeth Mazeron, 20 sept. 2002
rien

Mais j’en reviens à l’écriture, aux écrivains et aux lecteurs. « Pourquoi écrivez-vous que vous répugnez à taper à la machine ? », demande encore Olivier de Lille, qui ajoute ceci, que je connais bien et que je trouve terrible : « Les lecteurs n’en ont rien à faire. » Qui peut se prononcer pour les lecteurs en général, et surtout sur ce point si mystérieux, ce qu’ils peuvent avoir, ou non, « à faire » de quoi que ce soit ? Le journaliste doit s’en soucier, sans doute, le militant aussi, pas l’écrivain. Si j’assume cette opinion un rien provocante, ce n’est pas en tant qu’écrivain, c’est en tant que lecteur. Barthes déplorait grandement certaine édition élaguée du journal d’Amiel, dont le préfacier se flattait d’avoir retiré, pour faire de la place, tout ce qui concernait le temps qu’il faisait : « Mais moi ça m’intéresse, justement, disait Barthes, de savoir comment était le ciel sur la campagne de Genève, dans l’après-midi du 17 avril 1857 ! »

Renaud Camus, Chroniques achriennes, P.O.L., pp. 162-163.

David Farreny, 26 mars 2005
consumais

J’entendais contre les vitres, derrière le rideau, descendre la pluie mêlée de neige. Je me consumais dans une chambre d’hôtel comme un miracle dont personne n’est témoin.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 19.

David Farreny, 3 mars 2008
lacune

Le sens, c’est l’homme. Le style, c’est l’individu, c’est l’être, c’est l’écart, et quelquefois le gouffre, le cratère. Le sens c’est l’espèce, c’est le commun, le collectif, le communicatif. Tel qui s’abstiendrait volontairement du sens, qui saurait se garder (et ce n’est pas moi, malheureusement la preuve) de s’exprimer, qui serait capable d’étouffer pour un moment en lui, pour une semaine ou deux, le vain désir de se dire, de se confier, de s’expliquer, le délice un peu niais de donner son avis, l’illusion toujours démentie de communiquer (et quand pour une fois elle ne le serait pas, ce serait pire), celui-là, cet autre, cet autre éternel, l’auteur d’un virtuel Lac de Caresse qui n’existera pas, dont une méchante petit bruine d’idées grises ne cacherait pas le grandiose paysage, que ne dépouillerait pas de sa qualité de miroir du ciel, et d’œil de la terre, le presque total assèchement des phrases autour de leur étroite signification (si tant est qu’elles en aient une, et qui soit à peu près transmissible), celui-là, cet homme, cet auteur, cette fiction, Personne, encore lui, serait maître, peut-être, à ce terrible, moderne, défaut d’absence de l’homme, dans le monde, défaut d’absence tout court, et donc défaut d’absence de Dieu, de répliquer par une salvatrice carence, entre les mots. Le vide, qui manque si cruellement au voyageur, désormais, au promeneur, au poète, à l’amoureux d’un élan, d’une incertitude, d’une marge entre lui-même et les réponses, lui-même et ses semblables, lui-même et la quotidienneté de son être, et de l’être, le vide et le silence des créatures, et des raisons, le vide ne pourrait-il, en effet, trouver refuge entre les lignes, entre les lettres ? À quel dessein seraient indispensables, évidemment, les lignes, et les lettres, et les pages, et le livre. Délasse ton regard, étranger, mon lecteur, mon inconciliable, mon rien. Soyons-nous l’un à l’autre un mystère. Brillons respectivement par cette absence même que le siècle, à nous dérober, met tant de soin vandale, et babillard. Offrons-nous réciproquement une vacance, une lacune, une solution de continuité dans l’entrelacs trop serré de vivre entre nos pairs.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 62-63.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
île

Seul comme Franz Kafka ? Seul comme Philippe Muray ?

Seul comme ? Seul comme ce qui n’a pas de comme.

Sens du soupir de Kafka…

J’ai été seul, et ma solitude je vous l’ai rendue inoubliable.

Solitude la plus basse, la plus noire, la moins romantique, pittoresque, littéraire qui soit. Solitude sexuelle. Tous les sexes ensemble d’un côté et moi de l’autre côté. Ma solitude repose sur leur mime sexuel commis en commun.

Même sur une île déserte, j’aurais toute l’île déserte contre moi.

Philippe Muray, « 6 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 243.

David Farreny, 27 mai 2015
cédé

AGATHE – Mais, normalement, décéder, ça devrait vouloir dire qu’on n’a pas cédé !

Éric Chevillard, « mardi 27 mars 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer