exaspération

Plus tard nous est venue cette susceptibilité d’épiderme qui rend blessantes la pierre, l’avoine et la pluie et dont l’esprit, l’âme, la chose pensante — peu importe le nom — pourrait n’être après tout que l’exaspération hypostasiée.

Pierre Bergounioux, Points cardinaux, Fata Morgana, p. 40.

David Farreny, 13 avr. 2002
salut

Il sait dire bonjour le matin, à midi, après midi, bonne nuit, au revoir, en bambara, il sait dire merci, soleil, argent — quelle pitié ! C’est un enfant, il commence à peine à parler, et déjà on le lâche en Afrique ! Oreille rouge rend leur salut à tous les passants. Il harcèle les gamins avec ses crayons, ses ballons. Il répond lui aussi en agitant le bras aux joyeux moulinets de cette fillette qui, à mieux y regarder, secoue sa salade.

Éric Chevillard, Oreille rouge, Minuit, p. 52.

David Farreny, 20 nov. 2005
comment

Je conduis Jean à la séance de judo, tire Paul de la crèche, reviens au gymnase, plie du linge, prépare le dîner, surveille les petits. Comment acquérir de nouvelles lumières, plus de raison ?

Pierre Bergounioux, « jeudi 5 mai 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 203.

David Farreny, 14 mars 2006
orgueil

Oui, il est toujours là. Tant pis ; accommodons-nous de sa présence et tâchons de le rendre de plus en plus subtil (il a déjà maigri de moitié depuis que je le taquine). Éducation de l’orgueil, quel programme ! Cela consisterait à lui donner carrière, à le satisfaire, à le pousser toujours plus avant jusqu’au point où il devient l’humilité et l’intelligence totale. Quand j’aurai le temps, j’essaierai.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 avr. 2007
vraiment

Vendredi – Tapis d’Orient, paraboles, serviettes de bain, draps à carreaux. Nombreuses les fenêtres sages, mais peu sont vraiment nues.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 20.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
avant

Il reste tant de choses à faire avant d’anticiper.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 58.

Cécile Carret, 4 mars 2010
ordonner

Quelque chose de plus avisé que nous se charge, sans doute, à notre insu, de meubler la mémoire et d’ordonner l’oubli. Prétendre garder trace, comme je fais, du passé relève de l’enfantillage. Le temps se moque bien des fugaces occupants qui prétendent fixer son impalpable et tragique substance.

Pierre Bergounioux, « mardi 29 août 2006 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 673.

David Farreny, 15 fév. 2012
humour

Je défie quiconque de trouver de l’humour à qui que ce soit très longtemps.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 24 mars 2012
forêt

Avons-nous avancé assez dans l’apparence

assez vu cette vie couler, couleur de vitre,

nous nous sommes blessés aux choses d’outre-monde

portes fermées, ô visions —

c’est la même chanson stupide et décevante

le même espoir avec des sources dans la voix

la même inexplicable envie d’un sanglot

dont on ne sait que faire.

Tous ces cheveux tombés et ces cils et ces ongles

laissés derrière nous, veux-tu qu’on s’en souvienne,

La nuit est là. Le monde meurt,

et la forêt est pleine de craquements nouveaux.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 252.

David Farreny, 3 juil. 2013
éteinte

Comme si le précieux secret enfoui dans l’obscur pouvait être autre chose qu’une lampe éteinte.

Éric Chevillard, « mardi 28 mars 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
soi-même

Pour n’être pas misanthrope, il faut se faire de soi-même une idée bien présomptueuse.

Éric Chevillard, « jeudi 15 février 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
démonétisée

Je n’ai rien à faire, serre quelques mains, bavarde avec des libraires, des journalistes, des auteurs. Je les regarde, ces auteurs : fatigués, ringards, pitoyables, attendant le chaland sous les projecteurs qui les enlaidissent : Anne Wiazemski qui se décatit de salon en salon ; Marie Nimier dont le profil se rapproche de l’oiseau de proie et chez qui rien n’est laid sans que cependant l’ensemble soit beau ; Jocelyne François qui ne me reconnaît pas ou ne le veut ; Jean-Christophe Rufin qui, lui, me rappelle que nous nous sommes vus à Beyrouth, l’an dernier, et qui me dit : « J’ai dépassé les 80 000 exemplaires ; et toi ? » ; Lacouture, « régional de l’étape » qui cligne des yeux et grimace comme un vieil ecclésiastique surpris à la sortie d’un bordel ; Dominique Fernandez qui semble épuisé d’être lui-même et pose une main fripée de vieille femme sur l’épaule de son giton, et tant d’autres dont la vue me désole, tâcherons des lettres, commis, clercs, mitrons, courtisans, sycophantes, ilotes d’une renommée impossible et d’une gloire hors d’atteinte, sans doute démonétisée…

Richard Millet, « 10 octobre 1998 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 24 avr. 2024
derechef

Que les âges traversent des périodes d’agitation ou de calme, ils suivent implacablement un temps linéaire. L’Histoire, ce prétendu règne du nouveau, progressant plus par à-coups que par douceur, l’Ecclésiaste ne la perçoit ni ne l’éprouve. Chez lui, aucune sensibilité héraclitéenne. Les eaux du fleuve dans lequel les humains pataugent et se noient circulent en circuit fermé. Une génération s’en va, une génération s’en vient, mais l’humanité ne change pas. « Ce qui se fait se fera derechef. » Ce qui adviendra est déjà advenu. Les hommes n’ont aucun avenir. Ils rejouent leur passé. Rien ne leur sert d’attendre le meilleur ou de craindre le pire. Tels qu’en eux-mêmes le Temps les fige et ce qu’ils appellent la vie n’est que l’image mobile de la mort […].

Pour l’Ecclésiaste, il en va ainsi des phénomènes naturels qui servent de décor à cette interminable et monotone tragicomédie. Que fait d’autre le soleil sinon toujours se lever puis se coucher, puis se lever encore ? Les vents qui tant de fois changent de direction, n’est-ce pas leur invariable activité ? Et les rivières qui depuis toujours se jettent dans la mer, l’ont-elles jamais remplie ? Il faut bien s’y résoudre : qu’il soit celui des éléments de la nature ou celui des événements historiques, le temps n’a rien d’un devenir mais d’un redevenir : « Rien de neuf sous le soleil. » Eadem sunt omnia semper, répétera quant à lui le poète Lucrèce, un autre membre du club des penseurs mélancoliques. Si les humains ne voient pas que « ce qui est arrivé arrivera encore », c’est parce que ce qui vient juste d’apparaître sous leurs yeux n’est pas assez vieux pour se révéler n’être qu’une redite et, aussi, parce qu’ils répugnent à renoncer à l’espoir, source des illusions du progrès et de la salvation. L’homme de foi crédite Dieu d’un talent d’improvisateur et de novateur et de la bonté d’un rédempteur. En proie à l’ennui, l’Ecclésiaste ne Lui reconnaît que le génie de la rengaine et du radotage et un don évident pour l’indifférence.

Frédéric Schiffter, « Le prophète de l'à-quoi-bon (Sur l'Ecclésiaste) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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