fin

Quand tout se confond sous la neige et semble mort, qu’on pressent le fin mot de l’affaire et celui de la fin — à savoir qu’on est sur les mauvaises terres que le jeu de forces aveugles, des fatalités statistiques, la pression démographique et la rente différentielle, peuplent et désaffectent alternativement, livrent aux bois, aux hommes et puis aux bois —, un filet de fumée bleue s’élève du toit duveteux, immaculé.

Pierre Bergounioux, Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 98.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
imbécilement

Est-ce que j’étais heureux ? Malheureux ? Ni l’un ni l’autre, probablement. Dans l’attente, comme aujourd’hui. Toute ma vie je me suis dit, imbécilement, que la vie commençait demain.

Renaud Camus, « dimanche 16 août 1997 », Derniers jours. Journal 1997, Fayard, p. 204.

David Farreny, 23 fév. 2003
bourgeois

Le quotidien fait le bourgeois. Il se fait partout ; toutefois le quotidien de l’un peut désorienter jusqu’à la mort l’homme de l’autre quotidien, c’est-à-dire l’étranger, ce quotidien fût-il le plus banal, le plus gris, le plus monotone pour l’indigène.

Dans le quotidien de ce pays, il y a l’issang. Vous passez dans l’herbe humide. Ça vous démange bientôt. Ils sont déjà vingt à vos pieds, visibles difficilement, sauf à la loupe, petits points rouges mais plus roses que le sang.

Trois semaines après, vous n’êtes plus qu’une plaie jusqu’au genou, avec une vingtaine d’entonnoirs d’un centimètre et demi et purulents.

Vous vous désespérez, vous jurez, vous vous infectez, vous réclamez du tigre, du puma, mais on ne vous donne que du quotidien.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
ennui

L’ennui est, pour ainsi dire, le désir du bonheur laissé à l’état pur.

Giacomo Leopardi, « feuillet 3715 », Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 mars 2008
pris

Nous sommes pris, coincés entre deux abîmes : finir et ne pas finir.

Paul Morand, « 10 juillet 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 413.

David Farreny, 25 mai 2009
extravasement

D’autre part, au cours de ces interminables queues que nous faisions par millions le long des routes menant aux trop vastes champs de bataille, j’avais reçu, pour la première fois de ma vie, l’impression écrasante, définitive, qu’un homme est noyé dans l’humanité. Tous les faux-semblants de personnalité, d’originalité, de quant-à-soi, d’exception qui peuvent se multiplier dans le monde illusoire de la paix — qui pouvaient se multiplier dans ces temps tranquilles et rassis d’avant 1914 — se dissipaient et il restait que j’étais une fourmi engluée dans la fourmilière. Faute de regards pour me discerner, je devenais indiscernable à moi-même. Cela me ramena tout d’un trait à cette mystique de la solitude, et de la perte à lui-même du solitaire dans sa solitude, et de l’extravasement à l’intérieur du moi de quelque chose qui n’est pas le moi. Puisque j’étais perdu, pourquoi ne pas me perdre davantage ? Il n’y avait qu’un moyen de me guérir de la perte que je faisais de moi en tout, et de moi et de tout en rien, c’était de me perdre absolument.

Pierre Drieu La Rochelle, « Récit secret », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 24.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
remodelées

Nous roulons protégés dans l’égale lumière

Au milieu de collines remodelées par l’homme

Et le train vient d’atteindre sa vitesse de croisière

Nous roulons dans le calme, dans un wagon Alsthom,

Dans la géométrie des parcelles de la terre,

Nous roulons protégés par les cristaux liquides

Par les cloisons parfaites, par le métal, le verre,

Nous roulons lentement et nous rêvons du vide.

Michel Houellebecq, Renaissance, Flammarion, p. 62.

David Farreny, 3 juin 2010
écho

Aujourd’hui, je n’ose même pas me faire de reproches. Criés à l’intérieur de ce jour vide, leur écho vous soulèverait le cœur.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 15.

David Farreny, 7 oct. 2012
sans

Et je voyais la jeunesse comme un fleuve, un libre confluent, un flot durablement commun dont j’avais été exclu, en même temps que tous les autres élèves, en entrant à l’internat. C’est un temps perdu qu’il n’était plus possible de rattraper. Il me manquait quelque chose, quelque chose de décisif pour la vie et qui me manquerait toujours. Comme bien d’autres de mes contemporains du village, j’avais un membre en moins ; mais il ne m’avait pas été arraché, comme un pied ou une main, il n’avait tout simplement pas pu se former, et ce n’était pas seulement une extrémité, comme on dit, mais un organe auquel rien ne pouvait suppléer. Mon infirmité était de ne plus pouvoir rien faire avec les autres : ni agir ni parler avec eux. C’était comme si je m’étais échoué, invalide, et que le courant qui n’avait apporté que moi se fût écoulé pour toujours. Je savais que j’avais besoin de la jeunesse, pour tout ce qui allait suivre ; l’avoir désormais manquée sans retour me rendait incapable de mouvement, provoquait même parfois, surtout dans la société des gens de mon âge, qui était pourtant celle qu’il me fallait, une crampe d’immobilisation intérieure très douloureuse qui me faisait jurer envers les responsables de ma paralysie – car ils existaient ! – une haine inexpiable.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 41.

Cécile Carret, 3 août 2013
expient

Nous voulons croire que leur miroir est recouvert d’un crêpe noir. Dans de profonds et lugubres monastères, ils expient leur vilenie : la matinée vouée aux tourments de la culpabilité, l’après-midi aux supplices de la repentance et la nuit à la hantise, à la fièvre, aux sanglots, aux cauchemars, aux punaises. Le froid féroce les enrhume. Ils cousent avec un fil de morve des pelures de pommes de terre pour se faire un vêtement. Leur vin est fade et leur eau ne l’est pas. Toutes les nourritures solides tournent en pourriture dans leur bouche.

Il y aurait une justice !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 33.

Cécile Carret, 4 fév. 2014
irresponsabilité

Nombreux sont les poètes qui appellent « poésie » une simple forme d’irresponsabilité intellectuelle.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies successives à un texte implicite, p. 167.

David Farreny, 27 mai 2015
partager

Le partage final n’est pas entre homos et ceux que ceux-ci appellent hétéros (être un hétéro, c’est être quelqu’un qui accepte que les homos le baptisent, ce qui est tout de même assez gratiné). Il est entre ceux qui demandent l’enfant et ceux qui le refusent. La majorité des homos demandent l’enfant.

Philippe Muray, « 30 juin 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 556.

David Farreny, 3 juin 2015
cachette

C’est bien pourtant quand nous sommes en vie que nous aurions souvent l’usage d’une cachette sous la terre fermée par une porte de marbre.

Éric Chevillard, « mercredi 25 mai 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 25 mai 2016

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