Ma vie : Traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 455.
Avec grand-mère, ça a été comme si le fond reculait, qu’on cesse un peu de le sentir, de le voir, parce qu’elle était la dernière de ce temps, la seule survivante de la phalange pour qui les jours lumineux, les heures exaltées de ma dix-septième année seraient les derniers, s’ils n’appartenaient pas déjà à ces au-delà du fond où l’on devient une image au mur qu’un verre mince sépare du temps.
Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 86.
Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.
François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 47.
Comment viennent les mots ?
Comprendre est aussi une sensation
perdue
perdue
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 53.
Nous roulons protégés dans l’égale lumière
Au milieu de collines remodelées par l’homme
Et le train vient d’atteindre sa vitesse de croisière
Nous roulons dans le calme, dans un wagon Alsthom,
Dans la géométrie des parcelles de la terre,
Nous roulons protégés par les cristaux liquides
Par les cloisons parfaites, par le métal, le verre,
Nous roulons lentement et nous rêvons du vide.
Michel Houellebecq, Renaissance, Flammarion, p. 62.
Déjeuné à Pietro Ligure, par temps superbe, dans un château fort énorme, en ruine, du XVIe. Bœuf parfait. Rentré par l’autoroute à 140, perforant les tunnels à 100 ; me sentant comme balle dans un canon de fusil.
Ce qui tuera le communisme, c’est l’absence de fantaisie.
Paul Morand, « 26 avril 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 505.
Musique qui en tout cas n’a rien d’humain. C’est le chant de l’absolu. Au xylophone les temps forts et différenciés, d’autres instruments viennent couper en syncope là-dedans. Le gong suspend tout.
[…]
Vers la fin de certains morceaux ils freinent et c’est exactement comme une carriole qu’on arrête. Les pas des chevaux et le rythme des sonnailles ralentit et la roue, car cette musique est plus qu’une autre une roue, s’arrête de tourner.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 132.
Le visage est le masque commun. Bal costumé thématique. Loups et postiches distribués à l’entrée. Choix restreint. Tout le monde convoite la perruque blonde. Il n’y en a qu’une. Tant pis.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 72.
Nous marchions depuis un quart d’heure, en silence, dans le centre-ville de Brive. La plupart des rues étaient piétonnes. Les pavés de la chaussée dessinaient des motifs fleuris. Les façades étaient toutes rénovées. Chaque pierre était jointée à la perfection. À espacements réguliers, des vasques de géraniums alternaient avec des containers d’œillets d’Inde. Des haut-parleurs diffusaient une musique d’ambiance relaxante. Il y avait des boutiques sympas et des haltes gourmandes. Une signalisation spécifique pour les piétons proposait des itinéraires malins. Nous commencions à nous faire chier.
Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 251-252.
Ce que dit le réactionnaire n’intéresse jamais personne. Ni quand il le dit, car cela semble absurde ; ni au bout de quelques années, car cela semble évident.
Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite, p. 31.