courage

Le plus dur est toujours la peine qu’on cause. Il faut la voir aussi, hélas, comme le chantage le plus cruel, et se souvenir qu’elle n’a d’autre origine que l’erreur ou le préjugé. La vérité c’est qu’il est vain, dans quelque situation qu’on soit, d’espérer faire l’économie d’un moment de courage.

Renaud Camus, « mercredi 21 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 266.

David Farreny, 30 juil. 2005
combinaison

Quoi qu’il en soit, ce fut une remarquable combinaison de la nature que d’accorder aux mêmes animaux le vol et le chant, car, ainsi, ceux qui ont à divertir les autres créatures avec la voix se rencontrent d’ordinaire dans les lieux élevés, d’où celle-ci peut se répandre plus largement à l’entour et toucher un plus grand nombre d’auditeurs ; et d’autre part, l’élément destiné au son, l’air, se trouve peuplé de créatures chantantes et musiciennes. C’est vraiment un grand réconfort et un grand plaisir que procure, autant, me semble-t-il, aux animaux qu’à nous-mêmes, le chant des oiseaux. Je crois que cela tient moins à la douceur des sons, à leur variété ou à leur harmonie, qu’à cette idée de joie qu’exprime naturellement le chant, en particulier celui-là, lequel est une sorte de rire que l’oiseau émet lorsqu’il est plongé dans le bien-être et le contentement.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 169.

David Farreny, 9 nov. 2005
secret

L’eau fuit avec des froissements de couleuvre, tinte, dans sa hâte, contre les pierres, écume légèrement contre sa rive, profère des paroles que j’ai failli comprendre, qu’il a tenu à un imperceptible défaut d’articulation de sa part ou d’attention de la mienne, que je n’entende. Une bouche humide a formé, à trois pas, les mots qui contenaient à n’en pas douter un grand secret. J’ai surpris la voix de la terre rêvant tout haut mais notre désaccord foncier, le mauvais vouloir, l’hostilité qu’elle nous a marqués, d’emblée, à nous qui pourtant étions ses enfants, n’a pas permis que j’en recueille le dire, que je sois introduit, trop passager, périssable, sans doute, à de profondes, d’éternelles vérités.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 14.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
euh

De temps à autre, l’un ou l’autre de nos camarades s’évapore de la sorte ; alors, enfonçant la tête entre les épaules, nous disons : — Euh… (que peut-on dire d’autre) ; et une légère consternation flotte dans l’air. Pourtant, dans notre belle majorité, nous tous, employés, sommes déjà en train de mourir. Nous qui avons passé la quarantaine, chaque année plus vieux d’une année. Au cimetière, […] chacun de nous se supportait lui-même tel un sac rempli de décès.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 89.

David Farreny, 4 mars 2008
veille

L’atmosphère ressemblait à une haleine, pour un peu on aurait cru voir le crépuscule, dans la même lumière inchangée depuis toujours ; ce fut la tombée de la nuit sur le rivage sans terre et les reflets sans provenance. La nuit bord à bord avec le niveau de la mer. Car tout cela finit par s’imposer sans être jamais prouvé ; le phénomène se déroule et personne ne consacre des heures de veille à l’étudier, ce qui serait bien vain — mais l’espérance d’un résultat précis, d’une preuve rongée et dissoute déjà…

François Rosset, L’archipel, Michalon, pp. 46-47.

David Farreny, 12 mars 2008
sténographiquement

Il fit si sombre que nous n’arrivions plus à distinguer la route ! (Ou plutôt non ; pas de point d’exclamation : ça ne s’est tout de même pas produit aussi sténographiquement vite ; déjà que j’ai la réputation de me trimballer avec un sac plein de points d’interrogation et d’exclamation, de vociférations donc : ce n’est pas vrai ! !).

Arno Schmidt, « Parasélène & Yeux roses », Histoires, Tristram, p. 158.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
structurel

Puissance à rebours de l’écriture du manque.

Écrire l’absence relève du thématique, écrire le manque, cela devient structurel. D’où le non-développement.

Gérard Pesson, « mardi 26 novembre 1991 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 41.

David Farreny, 22 mars 2010
expression

Clément était si bien. Quelle vie ! Quelle journée ! Quel beau temps ! La journée de plus en plus belle. Il était si bien. Il n’était pas hanté par l’expression.

Dominique de Roux, La jeune fille au ballon rouge, Le Rocher, p. 165.

David Farreny, 13 fév. 2011
ordre

Dans la vie de veille, au contraire, dès que je me laisse aller à imaginer qu’il serait possible, après tout, de laisser tomber tout ce qui me paraît à la fois si naturel et si pesant pour aller voir ailleurs si j’y suis, ma circulation sanguine s’accélère, des bouffées de bonheur me coupent le souffle, j’étouffe presque. Puis tout se calme, tout rentre dans l’ordre. Je suis comme les chœurs de l’opéra : « Marchons, Marchons ! » ; je rêve, mais je fais du surplace.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
écrire

La gloire ou le mérite de certains hommes est de bien écrire ; et de quelques autres, c’est de n’écrire point.

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 233.

Guillaume Colnot, 27 fév. 2013
ouvre

Mais, pour le lecteur, quelle aubaine, un écrivain qui a du style ! Voici enfin toute l’expérience humaine reformulée. Tout est neuf – pas trop tôt ! C’est un enfant qui nous parle et qui, de plus, connaît tous les mots. La fleur, l’oiseau, la mort, le cageot, nous allons de révélation en révélation : c’était donc ça ! Il n’y a que les écrivains et la neige – mais elle fond – pour donner au monde un tel bain de fraîcheur.

Une langue que l’on comprend mais qu’on ne parle pas, que l’on sait lire mais pas écrire – étrange pays que nous visitons, où ne vit qu’un habitant – le premier ou le dernier homme ? l’un et l’autre sans doute. Un no man’s land de poussière grise et de végétation agressive – possiblement carnivore – en défend souvent l’accès. Et ces rouleaux hérissés, griffus, ronces ou barbelés ? On tâte du bout du pied le sol : il n’aurait tout de même pas des mines ? ! C’est autre chose en effet que l’allée de gravier blanc qui zigzague sur cinq mètres, entre deux parterres de gazon fleuri, jusqu’à la porte de notre maisonnette. Beaucoup vont reculer. Si l’on insiste pourtant, insensiblement le terrain change. Ou serait-ce seulement notre foulée qui gagne en aisance ? Le monde s’ouvre avec le livre. Nous avons à présent trouvé la vitesse de lecture qui convient, les volumes anguleux, les figures grimaçantes, toutes les formes revêches qui nous effrayaient au début s’y inscrivent harmonieusement : s’ensuit une nouvelle évidence qui cependant échappe au lieu commun de la représentation. Bonne gifle d’eau glacée sur nos têtes dodelinantes, réveil de la conscience assoupie, trop longtemps bercée par l’ennui ordinaire des jours, opacifiée par les idées reçues et leur formulation proverbiale.

Mais l’écrivain dépourvu de style, tenant de l’écriture blanche, neutre, plate, sans effets ni métaphore, fait le jeu de l’état des choses, redouble inutilement le réel, étend sur le sol la fameuse carte géographique aux dimensions du monde imaginée par Borges ; littérature de miroitier bègue à l’usage des singes et des perroquets. Faudra-t-il donc aussi mourir deux fois ?

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
débarrasser

Le fou secouait la cloche pour la débarrasser de tout ce bruit.

Éric Chevillard, « mardi 14 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 14 juin 2016
typique

Le manche de la cognée, c’est typique, fut lui-même un enfant abattu.

Éric Chevillard, « samedi 11 mars 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024
comprendre

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d’Alain Badiou) diminue d’abord l’angoisse (car on a l’impression de mieux comprendre le monde) puis l’augmente (car on réalise qu’on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu’il n’y a rien à comprendre).

Olivier Pivert, « Connaissance de Montcuq (et alentours) », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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