heuristique

Tant qu’il occupe un espace en surface, un corps peut être considéré comme vivant. Avant cela il n’y a pas de terme pour le définir, ou alors les brouillards du Rhône, proposition poétique mais non heuristique.

Jean-Jacques Bonvin, La résistance des matériaux, Melchior, p. 36.

David Farreny, 12 mars 2003
balle

Dans les cœurs fervents refermés sur eux-mêmes, de brèves expériences dévorent notre humain tissu comme un feu qui couve en secret dans la cale d’un navire consume le coton dans sa balle.

Herman Melville, Billy Budd, Gallimard, p. 145.

David Farreny, 4 déc. 2003
recommandation

Et moi faut-il que je m’obstine, en tâcheron consciencieux du désastre, à relever encore mot à mot ce néant ? Il n’a d’autre recommandation à la phrase que d’être la vérité.

Renaud Camus, « jeudi 27 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 359.

David Farreny, 29 fév. 2004
anuitée

Les rues exhalaient, dès onze heures, l’odeur de goudron fondu et de pierre cuite qui enferme, pour moi, le souvenir de ces heures où il semblait qu’on eût changé de latitude. La ligne des collines, autour de l’agglomération, se mettait à ondoyer. Le ciel pâlissait. À midi, tous les volets étaient rabattus, comme si l’obscurité était retombée, qu’on eût regardé un négatif grandeur nature de la ville anuitée. On ne voyait plus personne. Les martinets, dont les cris démesurément filés, suraigus, exaltés tissent un dais sonore par-dessus les toits, se taisaient. Le soleil imposait un silence despotique, presque inquiet.

Pierre Bergounioux, François, François Janaud, pp. 64-65.

David Farreny, 26 oct. 2005
réglé

Ayant ainsi appris en cinq minutes une bonne demi-douzaine de langues, distraitement expédié son parcours scolaire en sautant une classe sur deux, et surtout réglé une fois pour toutes cette question des pendules – qu’il parvient bientôt à désosser puis rassembler en un instant, les yeux bandés, après quoi toutes délivrent à jamais une heure exacte à la nanoseconde près –, il se fait une première place dans la première école polytechnique venue, loin de son village et où il absorbe en un clin d’œil mathématiques, physique, mécanique, chimie, connaissances qui lui permettent d’entreprendre dès lors la conception d’objets originaux en tout genre, manifestant un singulier talent pour cet exercice.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 13.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
orage

Le peu de gens qui passaient ont pressé l’allure. Ils ont disparu. Personne ne les a remplacés. J’ai regardé la pluie exploser sur le trottoir. La température avait changé, je n’y avais pas prêté attention. C’était une pluie d’orage, il faisait anormalement chaud, et tout de suite après il y a eu les éclairs. D’abord quelques uns, isolés, suivis de roulements encore lointains, puis le ciel s’est illuminé, parcouru d’arcs électriques. On avait le temps de les voir, comme imprimés, leurs lignes brisées se détachant sur le fond noir, puis plus tellement noir, plus tellement le temps de virer au noir, les zébrures se succédant bientôt au point de se superposer et se figeant dans ce qui était devenu une blancheur. La pluie a grossi, elle tombait en gouttes laiteuses, qui s’écrasaient en laissant de l’écume. Je l’entendais, aussi, frapper la banne à l’abri de laquelle je me tenais encore, son crépitement gras dominait les roulements, et je me suis dit que la vie devenait violente, j’ai rentré légèrement la tête dans les épaules.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 9.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
voyez

Mais que révèle la photographie d’un visage ? Nous y voyons une certaine organisation des traits, partant d’un patron commun, des variations personnelles – audacieuses parfois – autour d’un principe élémentaire duquel il s’agit cependant de ne point trop dévier ou bien le cliché figurera dans un de ces recueils pour amateurs que l’on consulte dans les bibliothèques des cabinets de curiosités. Mais notre secret reste bien gardé.

Que fait cet homme ainsi absorbé, retiré dans les profondeurs de sa conscience ? Vous le voyez bien : il s’expose. Mais que fait-il alors, ainsi exposé ? Vous le voyez bien : il se cache.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 72.

Cécile Carret, 11 fév. 2014
culs

toi t’aimes bien les bons petits culs, t’aimes bien ça voir les petits culs tout bons, t’aimes bien voir un bon petit cul passer, un bon petit cul papoter ou passer, hein ouais t’aimes bien voir ça, le bon petit cul qui demande pas son reste et passe, qui passe et qui rapasse, mais le bon petit cul ne demande pas mieux que de rester, le cul petit tout bon qui demande pas son reste mais reste tout de même, t’aimes bien ça hein, t’aimes bien que le petit cul tout bon reste sur place, pour ça t’aimes bien que ça t’écoute un bon petit tout cul, que ça se tende bien de par le cul le petit cul tout bon, que cul tendu te soit tout ouïe, qu’il soit tout oui le tout bon petit cul tout ouïe, qu’un petit tout bon cul comme ça c’est bon pour n’être qu’un petit cul après tout, pourquoi ce n’est pas qu’un tout bon petit cul qui passe et qui rebondit quand on l’appelle, quand on le retient pour qu’il fasse un gros oui le tout petit bon cul tout ouïe à toi, car c’est à toi qu’il est le petit bon tout cul n’est-ce pas, et ça t’aimes bien, t’aimes bien avoir ton tout bon petit cul et qu’il te dise que oui, que ça dise oui à tout, à tout bout de champ le tout bon cul petit qui passe et qui rebondit, c’est ça que t’aimes au fond, au fond du fond t’aimes bien les tout bons petits culs qui passent, qui passent et qui rapassent, les bons petits tout culs qui ne restent pas en place

Charles Pennequin, « Les petits culs », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 92-93.

David Farreny, 11 fév. 2014
tension

Je me sentais clairement ici — à une baisse de tension qui n’était pas le calme de la campagne, à un début d’engourdissement encore plaisant de l’imagination et de la curiosité — sur les lisières du monde habitable : une vie petite, un peu décolorée, un peu falote, pour laquelle l’espace semblait trop grand, la journée trop longue, bougeait à faible bruit sur ces marges crépusculaires ; les sons venaient frapper l’oreille, affaiblis, ouatés, espacés, comme quand on débarque au Montanvers — la grand’route qui traversait l’Elf sur son pont de ciment bifurquait au fond de la perspective sous une ligne de panneaux indicateurs qui semblaient concerner déjà l’enjambement d’un espace abstrait, des liaisons aériennes plutôt que routières : Haparanda — Finlande : 400 kms — Kiruna : 600. Bien avant quatre heures du matin, à travers mes rideaux le jour me réveillait ; je me levais et j’allais à ma fenêtre : une vive et blanche lumière de limbes, sans un chant d’oiseau, sans un bruit de voiture, éclairait la place vide, évacuée avec la nuit par les occupants de son parking, et où pour trois heures encore, dans le jour grand ouvert et pourtant déserté comme un œil de nocturne, nul signe de vie n’allait bouger.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 235-236.

David Farreny, 20 oct. 2014
servir

Flamant rose, héron cendré, serait-il donc impossible de se faire servir un échassier à point ?

Éric Chevillard, « vendredi 20 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016

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