altération

Ainsi naît le type de l’étudiant moderne (« Alors, tu passes ton exam ? »), un être brave, honnête, utile, mais pâle… pâle comme la lune qui n’a par elle-même ni lumière ni chaleur mais reflète une autre lumière, terrible et inconcevable. Un être encore vivant peut-être, mais d’une vie affaiblie et comme vouée à l’altération.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 162.

David Farreny, 20 mars 2002
vomir

Me réjouir ? Vomir ?

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 96.

David Farreny, 15 fév. 2004
proclamer

Chaque fois que cela ne va pas et que j’ai pitié de mon cerveau, je suis emporté par une irrésistible envie de proclamer. C’est alors que je devine de quels piètres abîmes surgissent réformateurs, prophètes et sauveurs.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 16.

David Farreny, 13 oct. 2006
niveau

L’aspect de Philadelphie est monotone. En général, ce qui manque aux cités protestantes des États-Unis, ce sont les grandes œuvres de l’architecture : la Réformation jeune d’âge, qui ne sacrifie point à l’imagination, a rarement élevé ces dômes, ces nefs aériennes, ces tours jumelles dont l’antique religion catholique a couronné l’Europe. Aucun monument, à Philadelphie, à New York, à Boston, ne pyramide au-dessus de la masse des murs et des toits : l’œil est attristé de ce niveau.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 236.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
inlassable

Comme il y a un style mescaline, il y a des couleurs de la Mescaline. À qui en a pris, vous pouvez les montrer dans la réalité. Elles seront reconnues. (Non toujours celles-là, mais celles qui auront le même air de famille.)

Les criardes d’abord. Des rouges stridents passent près de verts absolus. C’est un drame optique. Les écœurantes ensuite. Des pierreries en quantité, visiblement fausses, sont l’inlassable cadeau.

Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 672.

David Farreny, 4 mars 2008
temps

Quand rien ne vient, il vient toujours du temps,

du temps,

sans haut ni bas,

du temps,

sur moi,

avec moi,

en moi,

par moi,

passant ses arches en moi qui me ronge et attends.

Le Temps.

Le Temps.

Je m’ausculte avec le Temps.

Je me tâte.

Je me frappe avec le Temps.

Je me séduis, je m’irrite…

Je me trame,

Je me soulève,

Je me transporte,

Je me frappe avec le Temps…

Oiseau-pic.

Oiseau-pic.

Oiseau-pic.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 335.

David Farreny, 12 mars 2008
halte

Mais parce que la pluie avait cessé, j’ai continué à marcher ; à présent les heures que j’ai passées dans ma chambre, avec le soleil à mon réveil, ne sont plus qu’une halte dans la marche que j’ai commencée il y a très longtemps. Je n’ai pas ménagé mes forces ; de celles que j’avais en me réveillant, il ne me reste qu’un souvenir, comme de ce soleil qui éclairait ma chambre avant la pluie ; elles ne me soutiennent pas plus que ce souvenir n’éclaire la rue maintenant. C’est entendu : je perds mes forces, je perds mon temps, je n’ai pas de volonté. Je crois tout de même que c’est ce que je voulais.

Henri Thomas, La nuit de Londres, Gallimard, p. 134.

David Farreny, 7 août 2009
dents

Tu restes toujours là à portée de ma main sur ton visage — qui avance à la rencontre de mon regard, de ma peau du souffle, attente de cette rencontre-là, tangage et coups rapides dans mon sang. Isolement dans l’espace de mon visage, qui me précède vers toi. Dans l’air suspension — visage qui s’approche, possible là sans limite. Tout l’obscur remonte à tes lèvres, vient affleurer au bord des dents, marées montantes qui me soulèvent entre des masses glissantes. Impuissance, ou mollesse, ou dureté trop grande pour évacuer tes éclosions profondes. Durée infinie dans cette approche avant de t’inscrire dans mon visage. Jamais plus cette densité-là, plus tard, ce contenu immense de brouillard. Confusion tragique perdue.

Danielle Collobert, « Dire I », Œuvres (1), P.O.L., p. 189.

Bilitis Farreny, 2 août 2010
chaleur

Nous y mettions les poussins nouvellement éclos, nous les soulevions dans nos mains tels des pétales jaunes et les placions dans cette chaleur, boules duveteuses à pattes qui bougeaient sans cesse, absorbaient cette tiédeur. La chaleur nous maintient en vie. Parfois, les boules jaunes remuantes s’écroulaient, vaincues par le froid du dehors, leurs pattes pointées vers le sol pareilles à des flèches orange. La main de mon père les jetait comme des mauvaises herbes. Celle de ma mère les ramassait avec douceur ; cherchant un signe de vie dans ces petits corps jaunes, en pure perte, elle disait « mes pauvres poussins », et me souriait tandis qu’elle les lâchait sur le toboggan.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 87.

Cécile Carret, 23 déc. 2010
déprécier

C’est s’abaisser que de déprécier après coup un bonheur perdu.

Jack-Alain Léger, « Memento mori », Ma vie (titre provisoire), Salvy, p. 98.

David Farreny, 16 oct. 2014
sexe

Attraction, pulsions, frictions, érections, tout cela se passait dans la nuit du corps, et sans trop qu’on y prît part.

Comment ces chairs frisées, roses ou rouges, toutes baignées d’huile, ces peaux grenues ou fripées, ces béances, ces chaos, ces organisations qui évoquaient dans leur consistance et dans leurs couleurs une classe de mollusques, la sixième, qui eût échappé à la curiosité du capitaine Nemo, dans leur texture et dans leur symétrie, remontant peu à peu le cours des espèces, huîtres, coquillages, méduses, jusqu’aux espèces les plus anciennes, « littorines, turitelles, janthines, ovules, volutes… », et qui finalement proposaient à la caresse de la main, toujours surprenante, cette boule de poils soyeux comme un sporran qui semblait provenir, lui, d’un autre embranchement du règne animal, des mammifères sans doute, les plus récents dans l’évolution, comme née du devoir différé de dissimuler toutes ces peaux primitives et mal cousues, ou bien de la nécessité de protéger la masse viscérale et molle du sexe, comme une coquille protège un mollusque — si bien que les expressions populaires et même assez vulgaire de « moule » et de « chatte » résumaient assez bien le début et le terme de la phylogénèse de cet étrange organe, d’un côté le crustacé, le bivalve, l’huître en cela qu’elle perlait elle aussi, qu’elle sécrétait des perles d’eau, qu’elle en conservait même une, polie, nacrée, élastique et cachée sous la jointure des lèvres supérieures — de l’autre le petit félin domestique —, comment donc, pour couper court à ma rêverie mais surtout pour mettre fin à ma dévoration visuelle, à chercher jusqu’au fond du conduit couleur sang, capitonné, ondulant et annelé, l’origine de la vie —, je remontais jusqu’à vouloir discerner la cellule primitive, à la façon dont, à l’autre bout de l’échelle, l’astronome repère, au fond de l’infini, le point zéro du temps —, pouvaient-ils donc avoir été, tous ces ressorts physiologiques, simplement et mystérieusement physiologiques, depuis toujours, le fondement même de notre vie, de notre histoire et le foyer de ce feu formateur d’industries ingénieuses, de tout ce qu’on osait appeler, non sans orgueil, notre culture ?

Jean Clair, Les derniers jours, Gallimard, pp. 315-316.

Guillaume Colnot, 20 juin 2016

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