sosie

En amour, tout s’annule au fur et à mesure. Tout est à refaire à chaque instant. Deux amants sont hors du temps. Suspension de l’horaire. La mort ne retrouvera nulle part ces heures qui lui furent signalées. Elle déménagera tout, mais en vain cherchera le temps d’amour, qui est son sosie.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 31.

David Farreny, 24 mars 2002
quelqu’un

Colline et arbres fruitiers, et puis, là-bas vers le haut, sous les pommiers, trois épaves de voiture dont une brûlée, que quelqu’un garde.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 35.

David Farreny, 24 janv. 2003
problème

Tout est réalisable ici, tout tend à être réifié, à être présent. Patrie de la foi. Le danger de la mescaline est la foi, la foi insensée, immédiate, totale qu’elle donne, la foi qui surprend tellement les visiteurs lorsqu’ils entendent des aliénés « ce n’est pas possible qu’ils aient la foi dans leurs absurdités », la foi, mais c’est précisément le problème le moins problème. Qu’est-ce qui après l’expérience de la mescaline paraît plus naturel que la foi ? La folie est un département de la foi.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 893.

David Farreny, 15 fév. 2004
force

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 47.

David Farreny, 22 oct. 2004
sottise

Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1056.

David Farreny, 7 août 2006
grains

Le train part peu avant quatre heures. J’ai emporté une étude sur Keynes mais, comme tout mon temps se passe à écrire ou à lire, je prends l’audacieux parti de regarder. Ciel splendide, d’un bleu cru, contre lequel le vent de nord-est pousse de grandes nefs colorées, cumulus à la base fondue, vitreuse, au sommet éclatant, cérébelleux, d’autres d’un blanc pur et, au sud-ouest, sur le quart de l’horizon, un grand voile soufré sur lequel se détachent deux ou trois écharpes minces, des grains.

Pierre Bergounioux, « mercredi 2 octobre 1996 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 755.

David Farreny, 27 déc. 2007
chambre

Le soleil, la chaleur et la lumière, qui réjouissaient ton entourage, t’apparaissaient comme des invitations à sortir, des perturbations de ta solitude, des obligations à la joie. Tu refusais que ton euphorie soit due au climat. Tu voulais en être seul responsable. Si l’on te sollicitait en invoquant le beau temps, tu déclinais l’invitation. Le temps gris, l’hiver, la pluie ou le froid ne te déplaisaient pas. La nature semblait alors s’accorder avec ton humeur. Qu’il fasse mauvais t’évitait la culpabilité de ne pas sortir. Tu pouvais rester chez toi sans qu’apparaisse l’anormalité de ton enfermement. Personne ne venait alors t’interroger sur ton goût pour la chambre.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 76.

Cécile Carret, 22 mars 2008
allonger

Bien qu’une lettre n’ait rien que l’on puisse qualifier d’étrange, c’est pourtant une chose magnifique. Alors qu’on pense avec anxiété à une personne qui se trouve dans une province éloignée, en se demandant comment elle peut aller, on reçoit d’elle un billet ; à le lire, on éprouve la même impression que si l’on se voyait, tout à coup, en face de son amie. C’est merveilleux.

Quand on a expédié une lettre à laquelle on a confié ses pensées, on se sent l’esprit satisfait, même si l’on songe qu’elle pourrait bien ne jamais arriver à destination. Comme j’aurais le cœur triste, et comme je me sentirais oppressée, si les lettres n’existaient pas !

Lorsque, dans une lettre qu’on veut envoyer à quelque personne, on a écrit en détail toutes les choses que l’on avait en tête, c’est déjà une consolation, bien que l’arrivée de la missive puisse être incertaine. Mais à plus forte raison, quand on reçoit une réponse, la joie que l’on goûte semble capable d’allonger la vie ; en vérité, il est sans doute raisonnable de le croire.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 245.

David Farreny, 2 juin 2011
absence

Est-ce à cette époque qu’une coupe de cheveux unique a été instaurée dans tout le pays ? Ou plus tôt, en même temps que l’interdiction des vêtements de couleurs ? Je me souviens qu’à Kôh Tauch, les cheveux longs, même noués, avaient disparu. Symbole féminin, donc sexuel. Signe de laisser-aller. Ou volonté de se différencier. Tous les cadres Khmers rouges ont pris modèle sur Pol Pot : coupe franche derrière les oreilles. Et la coupe « oméga » pour les jeunes filles, comme l’appelaient secrètement mes sœurs : une frange ; et les cheveux sur la nuque. Mais attention : se raser la tête était très mal vu également, car on pensait aux bonzes – l’enfant que j’étais ne l’a appris que plus tard.

À nouveau, je m’interroge : quel est le régime politique dont l’influence va de la chambre à la coopérative ? Qui abolit l’école, la famille, la justice, toute l’organisation sociale antérieure ; qui réécrit l’histoire ; qui ne croit pas au savoir et à la science : qui déplace la population ; qui contraint les relations amicales et sentimentales ; qui régit tous les métiers ; forge des mots, en interdit d’autres ? Quel est le régime qui envisage une absence d’hommes plutôt que des hommes imparfaits – selon ses critères, j’entends ? Un marxisme tenu pour une science ? Une idéocratie – au sens que l’idée emporte tout ? Un « polpotisme », travaillé par la violence et la pureté ?

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 102.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
face

J’avance pour serrer la main de Madame B. quand mon visage se fige : ce n’est pas elle, seulement une vague remplaçante de ce même nom. Je vois, de plus, que sa face se crispe autant. N’est-ce donc pas moi non plus ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 115.

David Farreny, 29 mars 2013

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