paucité

Un jour, peut-être, nous aussi, quand le béotisme aura vaincu, eh bien ! nous serons moines, s’il le faut ; nous protesterons par notre paucité.

Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 52.

David Farreny, 25 déc. 2004
égards

Entre l’exigence d’être clair et la tentation d’être obscur, impossible de décider laquelle mérite le plus d’égards.

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1720.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
pudding

Entre leur doigts repliés, les mouchoirs blancs donnaient l’impression d’être à l’affût, n’attendant que l’occasion de se déployer et de s’élever jusqu’aux yeux pleins de larmes. Cette occasion se présentait en abondance. Même le prêtre au frais visage se forçait à entailler les alentours de ses lèvres repues de quelques plissements de chagrin et prenait l’air de celui qui, forçant une langue rétive, va chercher aux commissures de sa bouche le résidu d’un breuvage amer. Et lorsqu’il descendait lourdement jusqu’au bas des marches de l’autel pour s’y effondrer comme un pudding manqué et, accompagné par les borborygmes de son acolyte à la chevelure rousse, entonnait du fond de la poitrine : « Prions… », on ne voyait plus de la société tout entière qu’un indiscernable amas de crêpe et de drap noirs.

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 50.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
voir

Mercredi – Pour réussir à voir ce que cache cette fenêtre, il faudrait allonger le cou et contourner le métro d’en face, sauter par-dessus la rambarde et attendre le moment où le soleil entrera dans la chambre. S’il arrive.

Jeudi – De la voiture encore, à la même heure mais sur un trajet différent. Tout voir brusquement à ras de terre, l’Art nouveau, la dentelle aux rideaux, les rideaux de fer et les Buttes-Chaumont (un crâne d’herbe).

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
cyprès

Cyprès vus au tournant d’une route, en Toscane. Et teneram ab radice ferens… Les accents, tous sur E ou A : E A E A E, avec des rappels à la basse : e a e… Mais il faut avoir beaucoup regardé les cyprès ; la montée droite, d’un seul jet, le dos Silvane nu et pur, la nuque ferme et soudain la ligne nette au-dessus de laquelle à la peau brune se substituent les cheveux, feuillage noir, touffes et boucles de flammes noires, « Grazie » la bouche de travers, cupressum.

Valery Larbaud, « Aux couleurs de Rome », Œuvres, Gallimard, p. 995.

David Farreny, 12 avr. 2011
oeil

L’œil creux, la lèvre mince, violacée, trois dents grises.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 110.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
terminus

De Joinville à la Bastille, je bourlinguais au premier étage de ces vieux wagons de chemin de fer de Vincennes, si bien faits pour émouvoir les poètes, souvent férus d’ancienneté en raison, je pense, de cette pesanteur rétroactive qu’elle atteste et grâce à quoi le terminus de l’existence semble plus long à venir.

Jacques Audiberti, Talent.

David Farreny, 21 juil. 2015
été

Mais mon récit est un terrain vague sur lequel je ne sais que récolter les quelques lambeaux de ma mémoire. J’ai voulu mettre ma confiance en l’amour, moi aussi, et je suis comme un pauvre type, à l’aube, qui sort d’un casino où il a tout misé et tout perdu. Il fait froid. Je suis fatigué. Je ne possède plus rien qu’un corps éreinté, laminé, le vent souffle, je voudrais dormir mais le monde est trop bruyant. Je me souviens de l’été qui ne reviendra pas. Avoir été. Je n’ai plus qu’une chose : le récit de l’été, de l’avoir été, des lilas en fleurs et des roses, du seringat devant la fenêtre de la cuisine. Je le veux encore. Réciter, c’est-à-dire écrire sous la dictée du corps vieillissant, dont une partie se rebelle contre sa fin programmée. Comme un enfant de dix ans qui refuse de céder la place au vieillard, parce qu’il veut encore apprendre et découvrir les secrets que le monde prétend garder par devers lui. « En amour, nous ne nous rendons compte que trop tard, si un cœur ne nous était que prêté, ou nous était offert, ou bien alors sacrifié. »

On aura beau faire, on ira jusqu’à la fin. On traversera les temps inconnaissables et ceux qui remontent de la voix perdue à travers l’oubli et le désespoir. La clarinette et la flûte se croisent sans se reconnaître, comme les femmes pressées qui ont traversé notre existence : elles aussi se sont fanées, mais leurs derniers parfums sont les plus déchirants, appels désespérés et perdus dans les péripéties biologiques qui vont les étreindre et les terroriser.

Jérôme Vallet, « Terrain vague », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 19 mars 2024

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