La reconnaissance c’est une belle chose, mais l’appétit est autre chose. Le rêve est une belle chose, mais les cuisses disent autre chose. Le respect est une belle chose mais il faut savoir ce qu’on veut.
Henri Michaux, « Braakadbar », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 260.
Verrues sur les doctrines
tripes sur les doctrines
crachats sur les doctrines
Henri Michaux, « Ratureurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 422.
Dans la poêle, un monceau d’aliments grésille, enseveli sous des tranches de gras qui recouvrent ces difformités de leur nappe brûlante, boursouflée comme l’huile au point d’ébullition. Une fumée en sort, aussi épaisse que si le feu lui-même l’avait émise. Son odeur arrache aux radicelles de vos nerfs des sensations innommables. Bouche bée, l’ogre attend, la louche à la main, que sa gamelle monte à ce degré de cuisson hors duquel son ventre ne répond de rien, en l’absence duquel la familiarité qu’il entretient avec les dieux disparaît au profit d’une colère sans visée ; en dessous duquel le monde, inexistant déjà, libère en lui une répulsion incoercible.
François Rosset, Froideur, Michalon, p. 159.
Un jour, peut-être, nous aussi, quand le béotisme aura vaincu, eh bien ! nous serons moines, s’il le faut ; nous protesterons par notre paucité.
Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 52.
Mais le mal répondait, il répondait comme le mal, d’une voix tonitruante qui n’écoute rien.
Le souffle, où était le souffle ?
Mon œuf seulement écoutait le monde. Seulement mon œuf absorbait encore le monde…
Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.
Il se leva, fit un salut et chanta :
Quand on n’a pas ce que l’on aime
Il faut aimer ce que l’on a.
Il fit un salut et se rassit.
Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 167.
(Seules les 2 à gauche de l’entrée ont des nappes, celles où on a installé les rupins surveillés de près, avec les coupes de glace tenues par de fines spirales de doigts, sur lesquelles surnagent des nœuds de cravate en zeste de citron : LUI affichant cette componction et cette très-digne fadeur si inestimable dans les emplois de la fonction publique (en fait si con que s’il devait travailler en indépendant, il n’arriverait même pas à vendre des glaces en enfer !) ; ELLE du genre à vous planter, à peine arrivée au camping, des petites fleurs jaunes devant la tente, avec l’obligatoire pomme de pin posée à côté.)
Arno Schmidt, « Tambour chez le tsar », Histoires, Tristram, p. 151.
Non loin, la mer. Elle est horripilante, obstinée à choquer les falaises, à jeter contre elles des galets, comme le feraient les voyous. Les lames s’engouffrent dans les fissures, les crevasses, les grottes, transforment les rochers en sable. La masse aqueuse semble s’apaiser, comme ralentie par un geste invisible. Mais le mouvement reprend, s’enfle, montant du ventre de la mer, tremblant en vue d’une naissance ajournée.
Le tapage met l’enfer dans le monde. Le bruit nous éparpille hors de notre lieu : on cesse d’être l’habitant de sa maison. Plus de foyer.
La nuit devrait ne laisser entendre que le hululement des chouettes, le glapissement des renards. Ce serait compter sans les invitations entre les villas, les éclats de rire, les adieux des grands invitants aux petits invités. Les portières claquent. Les glaces s’abaissent pour les derniers mots futiles, et beuglés. La nuit, avancée comme un fruit mûr, s’emplit alors des chants de joyeux avinés. Hymnes à la nuit, cassés.
Jean Roudaut, « Jour de souffrance », « Théodore Balmoral » n° 74, printemps-été 2014, pp. 30-31.
Ainsi, la vie de quelqu’un dont l’existence a précédé d’un peu la nôtre tient enclose dans sa particularité la tension même de l’Histoire, son partage. L’Histoire est hystérique : elle ne se constitue que si on la regarde — et pour la regarder, il faut en être exclu.
Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Gallimard/Le Seuil, p. 102.