La souffrance n’ajoute rien à la connaissance, pire, elle y soustrait et l’entame, elle ralentit la lucidité et entrave l’intelligence.
Michel Onfray, Esthétique du pôle Nord, Grasset, p. 66.
Si le soleil est aussi grand et tel que nous le voyons, il le doit à sa nature intime ; mais cette place qu’il occupe dans le monde, c’est l’œuvre de l’Ordonnateur. Pour un corps de telle nature et si vaste, vous ne trouverez pas une place meilleure dans tout l’univers. Pour le pied non plus vous ne pouvez trouver dans le corps une place préférable à celle qu’il occupe. La position du pied et du soleil dénote une égale habileté. Ce n’est pas sans dessein que je compare l’astre le plus brillant à la partie du corps la plus abjecte. Qu’y a-t-il de plus vil que le calcanéum ? Rien. Cependant nulle part ailleurs il ne serait mieux placé. Qu’y a-t-il de plus noble que le soleil ? Rien. Dans tout l’univers il ne saurait être placé plus convenablement. L’univers est ce qu’il y a de plus grand et de plus beau.
Galien, « De l’utilité des parties du corps humain », Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales (1), Baillière, p. 263.
On y reviendra à cette évidence toujours à redire, et en particulier à propos du scandale, pierre d’achoppement de la déroute, car il se joue là un phénomène étrange, touchant au mystère même d’écrire, qui est qu’une métaphore n’atteint sa toute-puissance que lorsqu’elle est concrètement inédite, entraînant dans un même mouvement l’écrivain et son lecteur sur les terra incognita de cet univers infini qu’est la langue. Serait-elle neuve à l’oreille du lecteur, une métaphore préexistant à l’écriture d’un texte ne sera jamais qu’une métaphore tirée à blanc ; ce n’est pas seulement la lecture qui en est faite qui lui donne sa puissance de déflagration dans la langue, cela se joue en amont, à l’instant du surgissement dans l’écriture, comme s’il fallait qu’il y ait eu déflagration éprouvée par l’auteur au moment de l’écriture pour que le lecteur la ressente à son tour. Qu’il en soit ou non le créateur, un écrivain répétant une métaphore, quand bien même celle-ci serait inconnue du lecteur, provoquera peut-être de l’intérêt, de l’adhésion, du plaisir (celui-là même que l’auteur a pris à la répéter), mais pas ces étincelles mystérieuses qui jaillissent entre auteur et lecteur du plus obscur de la forge individuelle où se travaille la langue de tous.
Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 20.
Chevillé au corps, le style est aussi une malédiction, comme tout ce qui nous constitue, il pèse. L’écrivain peut en être las, comme de son éternelle figure, de ses réflexes, de toutes ses façons d’être si prévisibles. C’est une ornière encore, même si elle s’écarte des sentiers battus, même si elle est moins rectiligne que l’ordinaire sillon, moins parallèle aux autres sillons, même si le tour d’esprit qui en ordonne le tracé est décidément mal adapté au joug conçu pour la double échine d’une paire de bœufs. Il va devoir s’y résoudre, pourtant, au risque aussi de la solitude et du malentendu.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 90.
Je plains beaucoup les gens qui n’ont pas fainéanté jusqu’à vingt-cinq ans, au moins périodiquement, car je suis convaincu qu’on n’emporte pas l’argent gagné dans la tombe, le temps gaspillé, si.
Franz Kafka, « lettre à Hedwig Weiler (novembre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 607.
Le bleu tournoya longtemps
au-dessus des pins sylvestres
le vent négligemment
l’effaça
Les ronciers décochaient des obus siffleurs
qui n’explosaient pas
l’étang brassait
une joaillerie suspecte
Je flattai ce grand chêne
séculaire
je n’évitai aucune ornière
je bêtifiai avec les moutons
je vieillis d’un jour.
Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 44.
L’ennui est ma passion. Il arrive qu’il se dissipe quelque temps, mais il revient toujours, et c’est pourquoi la vie me paraît aussi trépidante que ses dimanches. Comme me le fit un jour remarquer cet ami qui a le sens de la formule : « Tu sembles traverser les jours dans le sens de la langueur. » Et il est vrai que je me promène en ce monde en traînant la fatigue d’un décalage horaire. Cet état chronique serait tolérable s’il ne me rendait pas inapte aux amusements comme aux activités sérieuses.
Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., p. 5.