subreptice

Ce serait une raison — il en est d’autres — à l’envie subreptice de crever en qui j’ai trouvé, de bonne heure, une très attentionnée, douce et persuasive compagne.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 72.

David Farreny, 6 août 2003
dit

Aurait-il fallu lui parler, à ce garçon mécanique ? Lui dire ce que j’aurais souhaité, qu’il me caresse ici ou là, qu’il m’embrasse et me laisse l’embrasser, qu’il m’offre un moment sans but, dans la pure effusion de la peau, au lieu de me seriner sans parole mais par tous les moyens qu’il fallait que je l’encule dans les plus brefs délais, et qu’il n’y avait pas lieu à tergiversations ? Mais non, parler n’aurait servi à rien. Le comportement sexuel, c’est vraiment la vérité de l’être. Le corps dit dans l’amour ce que l’esprit ne peut entendre, et ce qu’il n’entreverra jamais — pas avant une très profonde révolution culturelle et psychologique qui prendrait des années, si tant est qu’elle ait une chance de survenir.

Renaud Camus, « lundi 16 décembre 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 288.

Élisabeth Mazeron, 5 fév. 2004
instituteur

L’histoire de la tragédie de la demi-instruction n’est pas encore écrite. Il me semble que la biographie d’un instituteur de village peut de nos jours devenir un livre de chevet, comme autrefois Werther.

Ossip Mandelstam, « Achtarak », Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme, p. 77.

Guillaume Colnot, 2 juin 2009
racheter

Tu te disais : ces choses banales et qui sont à n’importe qui, elles vont devenir moi. Ils verront, tous, ceux qui l’ignorent, à quel point je suis malin. Je passe pour intelligent, oui, mais toute intelligence est hypothétique. On ne sait pas où elle est, on ne l’a jamais sous les yeux. Avec le livre, elle deviendra visible, indubitable. Ce sera l’intelligence absolue, celle qu’on peut toucher, celle pour laquelle on fait un chèque au libraire. Le problème, bien sûr, c’est qu’à vouloir paraître malin, on l’est moins. Or toute la ruse est là : je ne serai pas mon livre. Il se sera produit malgré moi, je me serai montré intelligent sans le faire exprès. L’auteur d’un livre est innocent de son propre génie. Voilà ce à quoi il faut parvenir : être justifié par le livre, et en même temps rester au-dessus de ça. Aussi tu t’évertuais devant ton écran à être et à n’être pas ton livre, à l’écrire sans l’écrire. Avec cette technique, il n’avançait pas beaucoup.

Tu en avais pourtant besoin. Ces longues stations à ton clavier t’évitaient de devoir admettre que tu n’étais que toi. Tu n’imaginais pas qu’on puisse ne pas vivre un pied dans l’éternité, dans ce monde comme si on n’était pas déjà, en partie, hors du monde. Aussi demeurais-tu incapable de comprendre les réactions et les motivations de tous ceux qui ne pouvaient pas, au prix de ces heures à frapper sur des touches, se racheter de leur vie.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, pp. 244-245.

Élisabeth Mazeron, 5 nov. 2009
conclure

Oui, la bêtise consiste à vouloir conclure. Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame. […] Maintenant on passe son temps à se dire : nous sommes complètement finis, nous voilà arrivés au dernier terme, etc., etc. Quel est l’esprit un peu fort qui ait conclu, à commencer par Homère ? Contentons-nous du tableau ; c’est aussi bon.

Gustave Flaubert, « lettre à Louis Bouilhet (4 septembre 1850) », Correspondance (2), Gallimard, p. 680.

David Farreny, 7 janv. 2010
calao

On est parce qu’on porte un brin de paille. Quelqu’un nous l’a laissé quand ce fut l’heure de le porter. Et la réciproque est vraie : on porte un brin de paille, un étui pénien, l’ordre du grand calao parce qu’on est.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 7 juin 2010
conjonction

Au début, j’eus du mal à croire que Sophie Gironde était de nouveau à mon côté, et que pour la rejoindre il n’y avait pas besoin d’attendre une conjonction de rêves particulière ou de voyager trois mille ans à travers les lentes laideurs obscures de l’enfer. Parcourir quelques mètres suffisait pour que je m’approche d’elle, étendre la main suffisait pour la toucher. Voilà ce qui m’étonnait. J’allongeais la main vers elle, j’ouvrais le bras comme pour l’inviter à danser, et aussitôt je retrouvais, dans leur banalité merveilleuse, les gestes de la rencontre amoureuse, ces gestes rabâchés mais qui toujours, quand aucun partenaire ne ment, offrent des vertiges inépuisables. Sans avoir à languir le temps d’une vie, simplement une seconde après l’avoir désiré, je pouvais maintenant caresser son épaule, la naissance de son dos, puis l’attirer enfin contre moi, avec une douceur dont on n’ose rêver que dans les rêves, contre ma bouche et mon corps que le long abîme de l’absence avaient rendus incrédules.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 88.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
drame

Et c’est la Mer qui vint à nous sur les degrés de pierre du drame :

Avec ses Princes, ses Régents, ses Messagers vêtus d’emphase et de métal, ses grands Acteurs aux yeux crevés et ses Prophètes à la chaîne, ses Magiciennes trépignant sur leurs socques de bois, la bouche pleine de caillots noirs, et ses tributs de Vierges cheminant dans les labours de l’hymne,

Avec ses Pâtres, ses Pirates et ses Nourrices d’enfants-rois, ses vieux Nomades en exil et ses Princesses d’élégie, ses grandes Veuves silencieuses sous des cendres illustres, ses grands Usurpateurs de trônes et Fondateurs de colonies lointaines, ses Prébendiers et ses Marchands, ses grands Concessionnaires des provinces d’étain, et ses grands Sages voyageurs à dos de buffles de rizières,

Avec tout son cheptel de monstres et d’humains, ah ! tout son croît de fables immortelles, nouant à ses ruées d’esclaves et d’ilotes ses grands Bâtards divins et ses grandes filles d’Étalons — une foule en hâte se levant aux travées de l’Histoire et se portant en masse vers l’arène, dans le premier frisson du soir au parfum de fucus,

Récitation en marche vers l’Auteur et vers la bouche peinte de son masque.

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 265.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
chat

On ne possède jamais que le chat du voisin.

Éric Chevillard, « mardi 9 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 juil. 2013
redisposer

Et le pharmacien, à nouveau perdu dans ses pensées, grimpa sur la table de son laboratoire, se retroussa les manches et se mit à se soulever sur la pointe des pieds ; un simple changement d’angle de vue, et qu’on ne voit que si on le connaît, suffit donc parfois à donner aux choses une autre tournure et à en redisposer l’ordre.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 48.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
or

Tu peux épingler huit cent sept papillons ; mais pas le vol d’un seul.

Or j’ai deux paupières.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 73.

Cécile Carret, 10 fév. 2014

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