appuyais

Ainsi, à l’insuffisante clarté d’une lampe d’un modèle ancien, découpant un grêle cône de lumière au sein d’une masse d’ombre de plus en plus compacte au fur et à mesure que l’heure tourne, ainsi m’appuyais-je la lecture de l’œuvre inachevée du général Bonnal : trois volumes in-quarto publiés à la veille de la Première Guerre mondiale et consacrés à La Vie militaire du maréchal Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskova.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 14.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
saigne

Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le cœur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d’un bout à l’autre du monde et pour ne pas y tomber.

Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard, p. 139.

Élisabeth Mazeron, 14 déc. 2003
virtualité

Les avantages d’un état d’éternelle virtualité me paraissent si considérables, que, lorsque je me mets à les dénombrer, je n’en reviens pas que le passage à l’être ait pu s’opérer jamais.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 138.

David Farreny, 12 mars 2008
phrase

Dans le brassage des concepts il était de plus en plus difficile de trouver une phrase pour soi, la phrase qui, quand on se la dit en silence, aide à vivre.

Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 222.

Élisabeth Mazeron, 23 mai 2008
confond

Qu’est-il arrivé entre-temps ? Du temps. Je ne suis ni plus riche ni plus fameux, ni plus aimé, ni plus sage — tout juste un peu plus mélancolique, sans doute. J’ai oublié beaucoup de choses que je savais, j’en ai appris quelques autres, que je vais oublier pareillement.

Il faudrait voyager. Le voyage étire le temps. Il donne une couleur aux années. D’ici tout se confond.

Renaud Camus, « vendredi 1er mai 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 192.

Élisabeth Mazeron, 6 avr. 2010
mainates

Nous nous embrassâmes. Sophie Gironde avait grossi. Elle avait l’air triste. Elle vint se frotter avec impudeur contre moi pendant plusieurs minutes, comme si nous étions seuls au monde ; elle me soufflait sur le visage une haleine capiteuse de chamane fatale, elle me touchait les omoplates et les hanches, et nous restâmes ainsi, suspendus dans la lumière imprécise, incapables de prononcer la moindre syllabe et même de formuler une pensée nostalgique ou constructive, seulement conscients de notre absence de passion et conscients qu’autour de nous les secondes s’égrenaient et que des corbeaux atterrissaient sur le bitume et s’assommaient, des vautours moines, des hornbills, des mainates, des pigeons. Après un moment, Patricia Yashree se joignit à nous et déploya sur nous un châle noir qu’elle avait porté jusque là sur les épaules, et elle nous enlaça. Avec une tendresse incrédule, nous nous balancions tous les trois sur le trottoir, échangeant de confus messages charnels, désolés de ne pas être plus émus car, pour tout dire, nous ne réussissions pas à savourer pleinement l’instant.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 194.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
estonien

Le jour est bientôt là, puissant, d’une implacable blancheur qui me fera me tendre tout entier vers la nuit — cette nuit que j’espérais trouver presque totale, en ce mois de février, et qui eût été, un mois plus tôt, la dimension nocturne du jour.

Au moins, dans cet appartement, ai-je en plein jour le silence de la nuit.

Même Katrina et sa sœur, conversant en estonien, au salon, me donnent l’impression de remuer du silence.

Je suis condamné à écouter.

Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 32.

David Farreny, 4 sept. 2012
seul

Voici la vérité, je suis seul,

seul dans ma propre nuit où mon ombre se couche

dans la chose qui fuit je me touche et me perds

égoutier du grand songe,

ma main me pousse pleine de lignes, de racines,

— ai-je vraiment manqué de foi ?

Je grimpe les Alpes de force et je n’ai pas de guide

je ne suis pas alpiniste,

je n’ai pas demandé le danger, il est là,

je n’aime pas marcher, qui est-ce qui marche en moi ?

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 47.

David Farreny, 21 juin 2013
écrivain

L’écrivain est l’homme le plus insignifiant au monde. Il est vide, complètement vide. Sa consistance se trouve dans ses livres.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.

Cécile Carret, 22 juin 2013
éteignoir

car on est prisonnier de la vie du corps. si le corps s’éteint, et il s’éteint progressivement dans la vie, le corps est un éteignoir pour la vie.

Charles Pennequin, « Le harcèlement textuel », Pamphlet contre la mort, P.O.L., p. 103.

David Farreny, 11 fév. 2014
quinquagénaire

Quinquagénaire, quel mot lent et pesant, et comme articulé déjà à un déambulateur. Je le réfute. Il ne dit rien de moi. […]

Quinquagénaire ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 78.

Cécile Carret, 16 fév. 2014

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