nés-fatigués

Ma vie : Traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 455.

David Farreny, 22 juin 2002
intérêts

Il observait du mieux qu’il pouvait la tête rouge qui, comme fanée, était suspendue au cou gras et semblait perdre sa couleur ; car la large moustache blanche était, à ses racines, entièrement d’un jaune sale. Pepi était assis penché en avant, les coudes appuyés sur les genoux, et crachait de temps à autre à travers ses mains jointes sur le sable, où se formait déjà un petit marécage. Il avait énormément bu toute sa vie et semblait condamné à rembourser à la terre, par acomptes au moins, les intérêts du liquide absorbé.

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
lambin

Une volée de marches. Sonner chez Eduard. Attendre tranquillement. Puis resonner deux fois : il n’était pas très rapide quand il devait se dépêtrer du fouillis de ses rêves.

 : « Eh mais ? ! » (moi ; étonné).

Car il existe bel et bien des gens qui, en ouvrant la porte, possèdent cette faculté d’examiner le visiteur d’un air si absent, si déconcerté-incrédule, qu’on se sent aussitôt inférieur ; une chose intermédiaire entre le commis voyageur et le mendiant ; on a envie de se protéger le visage du bras et de dévaler l’escalier ; avec l’impression d’être un fainéant, un lambin, un importun, un sarcopes minor – oh, vite, de l’air ! !

Arno Schmidt, « À la lunette », Histoires, Tristram, p. 126.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
vivre

J’ai apporté à vivre beaucoup plus de nonchaloir que d’attention.

Paul Morand, « 22 octobre 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 153.

David Farreny, 17 août 2010
parallèles

Heureusement pour moi, arriva un petit garçon de treize ans au visage couvert de taches de rousseur et qui lui aussi était énurétique. On nous mit ensemble. C’état un petit garçon troublé et merveilleux, d’une intelligence vive et immédiate, qui devinait et comprenait tout et ne jugeait jamais. Nous éprouvâmes instantanément une amitié entière l’un pour l’autre, absolue et sans limites, nous n’étions véritablement qu’une seule âme et, de ma vie, je n’ai plus jamais aimé aucun être de cette façon, de cet amour très particulier de l’amitié extrême qu’on n’éprouve probablement que dans l’enfance. C’était un amour absolument pur, dénué de ce trouble affectif si fréquent des amitiés de pensionnat, il se manifestait par une connaissance instantanée des pensées de l’autre. Il doit exister des âmes parallèles que seul le plus grand des hasards fait se rencontrer.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 201.

Cécile Carret, 15 juil. 2011
umlaut

« Nous traversons un moment difficile, dit-il d’une voix flûtée. Difficulté de reconnaissance. Difficulté de vision. Bien, peu importe. Il faut s’attendre à ce genre de choses. Cela peut se produire quand nos instincts sont sous-développés. On s’enlise alors dans le caprice, la croyance erronée que nous avons gagné de l’importance. Cet homme, fit-il en désignant Synge de son monocle, est un génie. Vous m’entendez ?

— Oui, Mr Yeats, grommelèrent deux comédiens.

— Qu’est-il ? Dites-le tous !

— UN GÉNIE, MR YEATS.

— En effet. C’est exact. Il est notre Eschyle. Notre Ibsen. Il est l’un des Mages qui s’humilie en pénétrant dans notre étable. Nous sommes les pourceaux, les bœufs, les ruminants de son apothéose. Nous sommes les bouses dans la paille. Que sommes-nous ?

— Les bouses, Mr Yeats, répondit avec docilité un figurant.

Personne ne se retourna vers lui.

— Tout à fait. Nous sommes des détritus. Nous sommes dérisoires. Viles présences. Et vous, et vous, et vous — oui, surtout vous ! — serez bienheureusement oubliés et redevenus poussière quand l’œuvre de cet Homère sera glorifiée. Il chevauchera notre cheval ailé vers le mont Olympe tandis que… nos misérables bicyclettes rouilleront chez un brocanteur. Aucun de nous — j’ai bien dit aucun de nous — n’est digne de cirer ses richelieus. Et quand vous serez vieux, perclus de lassitude, la meilleure chose dont vous pourrez vous souvenir concernant vos existences futiles de petits colporteurs sera qu’un jour vous avez côtoyé un titan. Vous descendrez alors ce même texte, que vous souillez à présent de votre bave grégaire, de l’étagère où il aura reposé des années — des décennies, peut-être — et le foyer ancien de notre muse vous brûlera de honte car vous ne vous êtes pas agenouillés quand vous en aviez l’occasion.

— Yeats, mon vieux, je crains que vous n’alliez un peu trop…

— Silence, Synge ! »

Yeats se retourna vers les comédiens, un rictus de dérision le faisait paraître plus grand, et il passa la main dans la masse de ses cheveux.

« Pitoyables ingrats qui vous croyez déjà arrivés, poursuivit-il d’un ton terrible. Vous n’êtes que verrues sur les cuisses d’un paysan !

— Ah, là, interrompit Dossie Wright.

— Vous ne comptez pas, Wright. Vous êtes un vide, un trou sans fond. Tous autant que vous êtes, vous n’êtes qu’un surplus de population. Des Z bâtards. Des lettres non nécessaires. Sans les œuvres de ce génie, vous êtes… des umlaut ! »

Il prononça ce dernier mot avec grandeur, feignant de ne pas y trouver de plaisir.

Joseph O'Connor, « Répétition au théâtre de l’Abbaye à Dublin », Muse, Phébus, pp. 100-102.

David Farreny, 3 sept. 2011
rêvaient

Un moment, ils restèrent ainsi, en position horizontale, dévêtus, couchés côte à côte sous leurs légères couettes d’été.

Puis une étrange lueur brilla derrière leurs paupières closes, et ils se levèrent, se quittèrent, traversèrent les murs, les années, s’en allèrent dans différentes directions, par des sentiers inconnus d’eux-mêmes, revêtus désormais de toutes sortes de costumes imaginaires.

Le miracle quotidien s’était accompli ; ils rêvaient.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 48.

Cécile Carret, 4 août 2012
opposé

Ils ne savaient reconnaître le crime que dans le parti opposé, cependant qu’ils tiraient gloire chez eux de ce qui chez l’adversaire méritait le mépris. Tandis que chacun tenait les morts des autres pour tout juste dignes d’être enterrés de nuit et sans lumière, il fallait que les siens fussent revêtus du suaire de pourpre, il fallait que retentisse l’eburnum et que l’aigle s’envole, qui s’élance vers les dieux, vivante image des héros et des croyants.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 57.

Cécile Carret, 27 août 2013
foyer

Non loin, la mer. Elle est horripilante, obstinée à choquer les falaises, à jeter contre elles des galets, comme le feraient les voyous. Les lames s’engouffrent dans les fissures, les crevasses, les grottes, transforment les rochers en sable. La masse aqueuse semble s’apaiser, comme ralentie par un geste invisible. Mais le mouvement reprend, s’enfle, montant du ventre de la mer, tremblant en vue d’une naissance ajournée.

Le tapage met l’enfer dans le monde. Le bruit nous éparpille hors de notre lieu : on cesse d’être l’habitant de sa maison. Plus de foyer.

La nuit devrait ne laisser entendre que le hululement des chouettes, le glapissement des renards. Ce serait compter sans les invitations entre les villas, les éclats de rire, les adieux des grands invitants aux petits invités. Les portières claquent. Les glaces s’abaissent pour les derniers mots futiles, et beuglés. La nuit, avancée comme un fruit mûr, s’emplit alors des chants de joyeux avinés. Hymnes à la nuit, cassés.

Jean Roudaut, « Jour de souffrance », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, pp. 30-31.

David Farreny, 7 juil. 2014
système

Il s’était fait un certain système lequel eut par la suite une telle influence sur sa manière de penser que les spectateurs voyaient toujours son jugement précéder de quelques pas son sentiment, malgré qu’il crût qu’il était resté derrière.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 230.

David Farreny, 17 déc. 2014
réfutation

Pour le chat, n’existe du mur que le faîte qui est aussi sa réfutation.

Éric Chevillard, « samedi 10 septembre 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 10 sept. 2016

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