treuil

Il avait toujours rêvé de n’être relié au monde que par un regard immobile et tenu, comme un filet d’eau qui ne tombe pas, ne se divise pas, mais renouvelle son équilibre et son silence. On ne le sut qu’après : son regard était un câble enroulé au treuil du fond des vases.

Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 75.

David Farreny, 24 mars 2002
étalé

Le comble est que je ne me souviens pas si pour ma part je suis arrivé jusqu’à l’orgasme. Mais peu importe : l’orgasme est étalé sur les mois et sur les années, multiplié par le souvenir et par son immanquable effet, attesté hier encore et ce matin, à l’instant, à cause de ces phrases même — le point de renversement égaré étant atteint sur le mélange d’une sensation visuelle étroite, obscure et vaporeuse, très rapprochée et d’une sensation tactile, procédant plus exactement du toucher, à la fois, et du goût, celle que me donnaient ma langue et mes lèvres, avançant sur les poils en sueur, très denses, du haut du dos de cet inconnu, entre son épaule et sa nuque.

Renaud Camus, « mercredi 14 avril 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 94.

Élisabeth Mazeron, 12 août 2003
paroi

Aucune nouvelle. Il est trop tard, maintenant. L’amour que j’étais sur le point d’avoir pour lui est déjà mêlé, avant même d’être né, de trop d’amertume pour sa bonne santé. Pas de nom, pas d’état, pas de signe : on ne peut faire que glisser, dans de telles conditions, sur la paroi du sentiment, puisqu’on ne peut se raccrocher à rien.

Renaud Camus, « mardi 12 octobre 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 132.

Élisabeth Mazeron, 15 août 2003
du

Windisch presse son visage contre la vitre. Au mur du compartiment une photo de la mer Noire. L’eau est calme. La photo se balance. Elle est du voyage.

Herta Müller, L’homme est un grand faisan sur terre, Maren Sell, p. 118.

Cécile Carret, 4 sept. 2010
écoulement

La rumeur d’une cataracte enfla brusquement, puis le vacarme hésita et reflua. Il pleuvait en bordure de l’espace noir. Comme l’écoulement du temps n’avait pas encore débuté, l’ondée prit fin dans l’incertitude et, après des chutes de gouttes isolées, le silence se rétablit.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 208.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
rit

Son rire eût arraché comme une trombe les perruques poudrées des philosophes qui cherchent Dieu ou le big-bang dans un nuage de talc – volent aussi les feuillets de Descartes, noircis à la fumée des chandelles, ses méditations cachetées à la cire, Dino Egger rit. Son rire profite de la résonance des gouffres où il se forme pour retentir partout sous la voûte du ciel, jusque dans les provinces administrées par le bon sens populaire.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 46.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
cyprès

Cyprès vus au tournant d’une route, en Toscane. Et teneram ab radice ferens… Les accents, tous sur E ou A : E A E A E, avec des rappels à la basse : e a e… Mais il faut avoir beaucoup regardé les cyprès ; la montée droite, d’un seul jet, le dos Silvane nu et pur, la nuque ferme et soudain la ligne nette au-dessus de laquelle à la peau brune se substituent les cheveux, feuillage noir, touffes et boucles de flammes noires, « Grazie » la bouche de travers, cupressum.

Valery Larbaud, « Aux couleurs de Rome », Œuvres, Gallimard, p. 995.

David Farreny, 12 avr. 2011
réactionnaire

Ce que dit le réactionnaire n’intéresse jamais personne. Ni quand il le dit, car cela semble absurde ; ni au bout de quelques années, car cela semble évident.

Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite, p. 31.

David Farreny, 26 mai 2015

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