Lazare disait encore : Je suis fatigué de ce pays qui ne peut rien pour un gars comme moi, mais, si je rentre, j’aurai l’impression d’avoir vieilli inutilement alors qu’ici, où il n’y a rien à faire, ma jeunesse s’étire sans se rompre.
Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, p. 249.
Sans volonté, nul conflit : point de tragédie avec des abouliques. Cependant la carence de la volonté peut être ressentie plus douloureusement qu’une destinée tragique.
Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1721.
Pour tromper son vide, battre son plein.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 65.
Les premières journées d’un séjour en un lieu nouveau ont un cours jeune, c’est-à-dire robuste et ample — ce sont environ six à huit jours. Mais ensuite, dans la mesure même où l’on « s’acclimate », on commence à les sentir s’abréger ; quiconque tient à la vie, ou, pour dire mieux, quiconque voudrait tenir à la vie, remarque avec effroi combien les jours commencent à devenir légers et furtifs ; et la dernière semaine — sur quatre, par exemple — est d’une rapidité et d’une fugacité inquiétantes. Il est vrai que le rajeunissement de notre conscience du temps se fait sentir au-delà de cette période intercalée, et joue son rôle, encore après que l’on est revenu à la règle : les premiers jours que nous passons chez nous, après ce changement, paraissent, eux aussi, neufs, amples et jeunes, mais quelques-uns seulement : car on s’habitue plus vite à la règle qu’à son interruption, et lorsque notre sens de la durée est fatigué par l’âge, ou — signe de faiblesse congénitale — n’a pas été très développé, il s’assoupit très rapidement, et au bout de vingt-quatre heures déjà, c’est comme si l’on n’était jamais parti et que le voyage n’eût été que le songe d’une nuit.
Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 121-122.
La confession doit être grave. Il étudie son mal avec un grand scrupule, comme s’il s’agissait d’une infection inconnue qu’il y aurait grand profit à connaître.
Louis-René des Forêts, Scolies à propos du « Bavard ».
Parce qu’il y a plein de choses partout, colorées, curieuses, intéressantes et qu’il est, qu’il serait plaisant de faire partager à quelqu’un au sort de qui l’on s’intéresse l’intérêt qu’on leur trouve. C’est mieux si l’agrément qui s’attache au temps qui passe, à ce qui arrive est partagé. De même qu’on supportera mieux le froid, le chagrin s’il y a un tiers qui trouve que ce n’est pas à rien qu’ils s’appliquent. À sa manière, il contribuera à supporter ce qui est lourd, cruel et ce le sera beaucoup moins.
Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 135.
Je tourne en vain autour d’un souvenir très flou, peut-être imaginaire, d’une terrasse en Périgord, un jour d’hiver — mais c’était peut-être au printemps : il suffit que ce ne soit pas pendant la saison. Ici, dans le parc, les jardiniers taillent les haies. Il fait assez frais, mais très beau. Marcher sur la terrasse, au-dessus du viale, entre la villa et ma maison, leurs travaux d’un côté, donc, et de l’autre la ville… Il n’y a pas dans l’année d’époque moins touristique, à Rome. On n’aperçoit pour ainsi dire pas d’étrangers, le long des rues. Ce silence, cette lenteur, cette tranquillité, cette merveilleuse ordinaireté de la beauté, ce pourrait donc être la vraie vie ? Un jour si beau être cette chose si rare, un jour comme un autre ?
Renaud Camus, « mardi 3 février 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 42.
150. Choses magnifiques
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Le paravent dont les peintures représentent les paysages de la « Description originale de la terre ». Il a un nom auquel j’aime à penser.
Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 293.
Avait-il dormi toute la nuit, comme cela, sur le dos ? jambes croisées ? À la fenêtre grande ouverte, dans un mur de nuages qui allait grandissant, la lune décroissante avait fait son apparition, un moment, comme tombée en avant, le visage vers le bas.
Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 60.