fluide

Et elle passe ses journées dans l’attente de visites qui ne viennent guère, car l’attente, la dépendance, dans la vie sociale comme dans l’amour, dégagent un fluide invisible et impalpable qui dissuade les êtres de s’empresser auprès de ceux qui souhaitent trop leur présence, et dont ils se disent, plus ou moins consciemment, pour cette raison même, qu’ils les attendront toujours.

Renaud Camus, « samedi 20 juillet 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 347.

David Farreny, 3 juil. 2005
déborde

Tout va très vite. Nous ne pouvons compter ni sur les choses, ni sur les paysages, ni même sur nos attentes et nos pensées. Nous ne goûterons pas la douceur des permanences, la quiétude qui sourd de ce qui déborde et conforte notre brève saison. À peine commençait-on à se familiariser avec le visage du monde qu’il s’altère et s’évanouit. Un autre le remplace qui ne lui ressemble pas et dont on pressent, déjà, l’abolition prochaine.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 15.

David Farreny, 17 oct. 2006
lacune

Le sens, c’est l’homme. Le style, c’est l’individu, c’est l’être, c’est l’écart, et quelquefois le gouffre, le cratère. Le sens c’est l’espèce, c’est le commun, le collectif, le communicatif. Tel qui s’abstiendrait volontairement du sens, qui saurait se garder (et ce n’est pas moi, malheureusement la preuve) de s’exprimer, qui serait capable d’étouffer pour un moment en lui, pour une semaine ou deux, le vain désir de se dire, de se confier, de s’expliquer, le délice un peu niais de donner son avis, l’illusion toujours démentie de communiquer (et quand pour une fois elle ne le serait pas, ce serait pire), celui-là, cet autre, cet autre éternel, l’auteur d’un virtuel Lac de Caresse qui n’existera pas, dont une méchante petit bruine d’idées grises ne cacherait pas le grandiose paysage, que ne dépouillerait pas de sa qualité de miroir du ciel, et d’œil de la terre, le presque total assèchement des phrases autour de leur étroite signification (si tant est qu’elles en aient une, et qui soit à peu près transmissible), celui-là, cet homme, cet auteur, cette fiction, Personne, encore lui, serait maître, peut-être, à ce terrible, moderne, défaut d’absence de l’homme, dans le monde, défaut d’absence tout court, et donc défaut d’absence de Dieu, de répliquer par une salvatrice carence, entre les mots. Le vide, qui manque si cruellement au voyageur, désormais, au promeneur, au poète, à l’amoureux d’un élan, d’une incertitude, d’une marge entre lui-même et les réponses, lui-même et ses semblables, lui-même et la quotidienneté de son être, et de l’être, le vide et le silence des créatures, et des raisons, le vide ne pourrait-il, en effet, trouver refuge entre les lignes, entre les lettres ? À quel dessein seraient indispensables, évidemment, les lignes, et les lettres, et les pages, et le livre. Délasse ton regard, étranger, mon lecteur, mon inconciliable, mon rien. Soyons-nous l’un à l’autre un mystère. Brillons respectivement par cette absence même que le siècle, à nous dérober, met tant de soin vandale, et babillard. Offrons-nous réciproquement une vacance, une lacune, une solution de continuité dans l’entrelacs trop serré de vivre entre nos pairs.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 62-63.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
vivre

J’ai apporté à vivre beaucoup plus de nonchaloir que d’attention.

Paul Morand, « 22 octobre 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 153.

David Farreny, 17 août 2010
classement

« Technicien de la révolution » : cette qualification à part permet bien sûr d’échapper à toute classe. Un révolutionnaire, même éduqué, même d’origine bourgeoise, est un « ancien peuple ». Il est aux côtés des paysans et des ouvriers. Son travail de révolutionnaire le transforme et le sauve, le rapproche de l’ancien royaume Khmer et de l’idéal communiste.

Cette qualification montre d’emblée la fausseté – pire : la réversibilité – des classes définies par les Khmers rouges. Qu’est-ce qu’un paysan ou un ouvrier, qu’est-ce qu’un médecin, un avocat ou un « féodal »… si certains intellectuels échappent à leur classe ? S’ils sont lavés par l’Angkar de leur impureté originelle ? S’ils échappent à la rééducation ou à la mort ? Définir les êtres, les classer, c’est les réduire au classement même – autrement dit : à son désir. Définir les êtres, ce n’est pas travailler à la justice, à l’égalité, à la liberté, ce n’est pas préparer un horizon de lumière. C’est organiser l’anéantissement.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 96.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
inverse

L’amour est le sens inverse de la vie. Toujours on va vers le néant.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 169.

David Farreny, 24 août 2014
quand

On n’a qu’une vie, j’ai bien compris, mais elle commence quand ?

Éric Chevillard, « samedi 13 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014
pensé

Épilogue des cérémonies funèbres consécutives à la mort du général de Gaulle : tous les troncs de l’église de Colombey, lourds de l’argent des cierges allumés à la mémoire du général, ont été fracturés cette nuit (les journaux). Il est rafraîchissant que le train de ces petits métiers sagaces et inusables — aussi paisiblement imperméables à la grandeur qu’un chien qui regarde un évêque — recoupe ainsi avec ingénuité les grands événements de ce monde et en éclaire une face cachée, mais non indigne d’intérêt. Brusquement on s’avise du menu génie de l’à-propos, de la jugeotte admirablement objective qu’il faut à certains déployer pour survivre, et on sourit, on admire un peu. Ils y ont pensé !

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, p. 60.

David Farreny, 19 oct. 2014
image

Je donnerais tout pour une image qui m’entraîne à sa suite dans un bruit de départ général.

Philippe Muray, « 20 août 1978 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 9.

David Farreny, 2 mars 2015

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